Rechercher
Rechercher

Culture - Initiative

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige questionnent la pulsion créatrice...

À Aix-en-Provence, l’espace 3 bis F est un lieu d’arts contemporains hors normes, car niché depuis 1982 au cœur de l’hôpital psychiatrique Montperrin, toujours en activité. Cet espace dédié aux performances accueille un couple d’artistes libanais travaillant toujours en binôme, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Objet de leur présence : une exposition, « Khiam, l’emploi du temps », ainsi qu’une résidence de recherche et de création autour de leur travail sur ce camp de détention.

Les photos des objets hétéroclites fabriqués en détention sont étalées sur des tables à tréteaux, avec au fond les deux cellules où l’on peut visionner les films qui accompagnent l’expo.

Les manifestations qui émaillent l’année culturelle de Marseille, capitale européenne de la culture 2013, ne se déroulent pas que dans la cité phocéenne, mais débordent pour investir des lieux dans différentes villes de la région.
Le 3 bis F est logé à l’intérieur de deux anciens pavillons, lieu d’hospitalisation fermé, pour les femmes, sur la droite en rentrant sur le campus hospitalier, un peu à l’écart du bâtiment principal. Cette structure présente toutes sortes de performances, en lien, même lointain, avec le sujet de la dépendance, de la création artistique, de l’enfermement, etc. 


Le travail de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se présente en deux parties : la première offre dans deux cellules – anciennes cellules de logement des femmes internées ici – les deux vidéos Khiam et Khiam, 2000-2007, tournées avec les 6 détenus filmés en 1999 par les Hadjithomas/Joreige, au moment de leur libération et, 7 ans plus tard, juste après la destruction du camp par les bombardements israéliens de 2006. La 2e partie de l’exposition se déroule dans la grande salle commune et présente, pour la première fois, une soixantaine de photographies hyper-réalistes de quelques-uns des objets fabriqués par les détenus pendant leurs dix années de captivité. Les photos ne sont pas accrochées aux murs, mais posées sur deux grandes tables à tréteaux, pour leur conserver leur statut de documents. Nous sommes dans une sorte de no man’s land, entre galerie d’art et hôpital psy, dans un environnement blanc, neutre, dénué de tout repère visuel. 


Les œuvres présentées sur les photos sont hétéroclites, avec des objets utilitaires : peignes à cheveux en bois sculpté, épingle à coudre, brosse à dents, passe-temps en noyaux d’olive recouverts de fils multicolores, sac à main en tissus... et des objets de décoration: pierres sculptées, tissus brodés... Dans un enfermement où tout était prohibé, parole et acte, ces objets, reflet d’une pulsion artistique, sont l’image d’une liberté reconquise. Ils ont été l’occasion de sociabiliser, de se transmettre un savoir-faire entre détenus et même de se faire des cadeaux entre prisonniers..., de désobéir aux ordres, de lutter contre la déshumanisation à laquelle ces femmes et ces hommes étaient soumis... en un mot: de résister. 


Ces objets n’ont jamais été exposés, «car ils intégreraient alors un circuit artistique et commercial, ce qui n’est pas souhaitable, affirme Khalil Joreige. Pour nous, ils sont le prétexte d’une réflexion sur le surgissement de l’art.» Les photos de ces objets peuvent être exposées au 3 bis F car elles sont accompagnées de rencontres, de réflexions participatives organisées autour, avec le public, mais également avec d’autres professionnels.
Les films vidéo «sont là pour donner le contexte», souligne Khalil Joreige. «Le projet Khiam est pertinent ici, au 3 bis F, mais il ne fallait pas être tautologique en présentant un travail sur l’enfermement, mais dépasser le cadre dans lequel nous sommes et aborder plutôt le thème de la nécessité de créer», explique le cinéaste. 


Ces objets peuvent-ils être estampillés artistiques ou pas? Quelles sont les conditions à réunir pour avoir des œuvres considérées comme artistiques: qu’elles soient créées par des artistes? Qu’elles répondent à des critères bien définis? D’emblée, les questions se multiplient. Les deux cinéastes plasticiens, loin de tenir des discours ou de donner des réponses, sont davantage dans la rencontre, suscitant interrogations et discussions.
Ainsi, une journée de rencontres a accueilli autour d’eux Jean-Pierre Cometti, philosophe et traducteur, auteur de plusieurs livres consacrés à l’art, à la lumière d’une esthétique des usages, et Jean-Pierre Rehm, délégué général du Festival international de cinéma de Marseille. Et cette confrontation a embarqué le public, assez clairsemé, il faut le dire, dans les méandres de la création, artistique soit-elle ou résistante, objet d’art ou acte de survie...
Dans son analyse, Jean-Pierre Cometti a estimé que « rien ne qualifie l’objet artistique. (...) Intrinsèquement, ces objets sont liés à un acte de survie et estampillés comme art. Ce qui laisse perplexe, c’est qu’ils ne répondent pas à nos formatages. Leur signification reste énigmatique, faisant appel à notre imaginaire pour comprendre ce qui nous est transmis.» N’est-ce pas là la fonction première de toute œuvre d’art ? 


Petit retour historique sur un travail qui a commencé il y a une quinzaine d’années. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige découvrent le camp de Khiam vers la moitié des années 1990, en tant que simples citoyens militants, réclamant que la Croix-Rouge puisse entrer dans le camp et y apporter soin et secours aux détenus. «En 1999, plusieurs sont libérés, dont la figure emblématique du camp, Soha Béchara, militante communiste qui avait tenté d’assassiner le commandant de l’Armée du Liban-Sud». C’est l’occasion de rencontrer ces détenus. De rencontres en conversations, les deux artistes apprennent l’existence d’objets fabriqués pendant les années de captivité. «Ce sont à l’origine ces objets qui nous ont intéressés, explique Khalil Joreige. Quand nous nous sommes penchés sur le camp de Khiam comme sujet de travail, nous nous sommes heurtés à une double impossibilité: celle d’accéder au camp (qui ne sera libéré qu’en mai 2000, à la faveur du retrait de l’armée israélienne) et en un sens tant mieux, puisque, 2e impossibilité, nous étions dans l’incapacité de partager cette expérience.» Ils vont combler ces deux «lacunes » en abordant le problème par le biais humain et artistique en essayant de répondre à une question qui, au départ, semble très simple: «quel était l’emploi du temps de ces détenus?», qui en induit rapidement une autre: comment passe-t-on dix ans en captivité, dont six dans l’isolement le plus total, sans devenir fou? Et puis bien d’autres en rapport direct avec l’expérience de ces détenus. Le travail des deux artistes plasticiens ne se contente pas d’explorer une seule période, celle de la captivité, mais s’étend sur les années «après», la réinsertion, le regard porté par ces anciens détenus et par la société.

 

Pour mémoire

Au « Cours Julien », la culture du Street Art...


A Marseille, une année de créations et d’architectures « capitales »

 

Le « MaMo » sur le toit de La Cité radieuse : une main ouverte aux arts


Le Mucem de Marseille, cœur battant de la Méditerranée

 

Les manifestations qui émaillent l’année culturelle de Marseille, capitale européenne de la culture 2013, ne se déroulent pas que dans la cité phocéenne, mais débordent pour investir des lieux dans différentes villes de la région. Le 3 bis F est logé à l’intérieur de deux anciens pavillons, lieu d’hospitalisation fermé, pour les femmes, sur la droite en rentrant sur le campus...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut