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Liban

Chawki Azouri part en guerre contre « la maladie institutionnelle »

Peut-on imaginer qu’un cadre aussi créatif que celui de la cure analytique, inventée par Sigmund Freud pour libérer l’homme de ses chaînes, se retrouve muselé par l’orthodoxie régnant dans l’institution ?
C’est partant de cette interrogation fondamentale que le psychanalyste Chawki Azouri a fondé il y a quelques mois l’École libanaise de psychanalyse et de psychothérapie. Son objectif avoué : tenter de modifier le rapport de l’institution au cadre analytique.


Freud avait rapidement établi, dès la formation de l’IPA en 1910, un mode de transmission dogmatique, qui deviendra si rigide, à partir de 1912, que le rôle de l’institution sera d’exclure ceux qui remettent en cause les concepts freudiens : une dérive mortifère marquant définitivement l’analyste d’une identité fondée sur la haine. Dans son texte sur la fin de l’analyse, en 1936, Freud, qui répond à Sandor Ferenczi, considère ses critiques comme de l’insoumission et de l’ingratitude.


En fait, explique Chawki Azouri, « l’institution fut créée pour sanctuariser ». L’analyse suppose en effet une entreprise progressive de désaliénation entre l’analyste et son patient (l’analysant, le futur analyste), qui doit déboucher en fin de compte, comme le dit Lacan, sur « la chute du “nom” de l’analyste au rang d’un signifiant quelconque ». L’analyste liquide ainsi la névrose de transfert, c’est-à-dire le symptôme de dépendance établi entre lui et son analysant. Mais l’institution va s’interposer dans ce processus de libération.


Ainsi, Jacques Lacan, dans sa théorie de la fin de l’analyse, va-t-il en 1956 jusqu’à accuser l’institution d’être « une armée et une Église », un espace où le groupe a pris le dessus sur le sujet et qui empêche la désidéalisation de l’analyste lorsque vient le moment de quitter le maître. Car si le futur analyste quitte le maître en espérant avoir liquidé la névrose de transfert, il va néanmoins retrouver ce maître sur la scène sanctuarisée de l’institution. En fait, l’analyste ne veut simplement pas lâcher son analysant ! Partant, l’identité du psychanalyste va se retrouver inéluctablement marquée par l’opposition que secrète l’institution entre le « bon dedans » et le « mauvais dehors », explique Azouri.

 

C’est pourquoi Lacan va tenter, en fondant en 1963 l’École freudienne de Paris, d’éviter les dérives de l’institution fondée par Freud en 1910. Dans l’objectif de libérer les futurs analystes des liens transférentiels avec leur analyste, il va inventer la procédure dite de « la passe », pour créer un processus de désidentification et délivrer l’analysant de la névrose de transfert. Mais aussi pour contrer les effets de groupe qui continuent à idéaliser le nom de l’analyste. L’institution apparaît ainsi comme une volonté de s’agripper à une sorte de père idéalisé, une entrave à la transmission du savoir analytique. L’expérience qui tourne court, cependant. Dans l’acte de dissolution de l’École freudienne, Lacan reconnaît ainsi que la passe a échoué et que le grégaire a donc repris le dessus sur la parole du candidat.


Partant de cette volonté d’échapper à l’institutionnalisation qui empêche l’émancipation, la libération de l’analysant vis-à-vis de son analyste, Chawki Azouri a donc décidé de créer sa propre école à lui. « J’avais deux possibilités : démissionner de la Société libanaise de psychanalyse, ne plus avoir de visées de formation et de transmission, et compter sur la transmission sur le divan ou la supervision en face à face, ou bien créer quelque chose de nouveau, mais sans structure institutionnelle. » Cependant, Azouri souhaite renouer avec les procédés socratiques, la maïeutique, loin des voies traditionnelles, loin de la formule consacrée : « Le maître parle, l’élève écoute. » Le pari de l’école est donc de permettre, dit-il, l’émergence d’un savoir qui n’appartient ni au maître ni à l’élève, mais qui tente, par le dialogue et la maïeutique, de « mettre en forme les pensées confuses ». Il crée ainsi un groupe avec des analystes, des analysants dans les différents moments de leurs parcours, dont des analysants en fin d’analyse, et tient un séminaire deux fois par mois. Le premier porte sur la pratique de l’écoute basée sur comment, dans notre écoute, on peut être déterminé et induit par l’institution, ce que le psychanalyste français Serge Leclaire appelle « l’agencement collectif des résistances », et qui a pour résultat que la parole ne passe plus, en définitive, et que les résistances se transmettent de génération en génération. Chawki Azouri souhaite en fait « former des analystes qui écoutent plus ou moins librement, à même de prendre l’institution à rebours ». Il souhaite enfin remédier à la rigidité de la technique analytique et sa transformation en « orthopraxie », ce qui a fini par la déshumaniser, avec, pour résultat, la fuite d’un très grand nombre de patients des cabinets des analystes pour se réfugier chez des pseudo-analystes et psychothérapeutes... « quand ce n’est pas chez des charlatans... ».


Mais il reconnaît que ce qu’il fait « n’est pas tout à fait un séminaire ». « Ce n’est pas non plus un enseignement. Je veux tenter de remédier à la nocivité de l’institution et de la pratique lorsqu’elle dépend de l’idéologie institutionnelle. La logique selon laquelle il ne faut pas répondre à la demande du patient dans le cadre analytique, qu’il ne faut pas le laisser exprimer pulsionnellement ses besoins mais uniquement le pousser à en parler est obsolète », dit-il, en dénonçant la « primauté de l’institution sur la pratique de l’analyste », ou encore la dérive des institutions dans « la guerre du nombre et des boutiques, avec l’obsession des cotisations ». « En fin de compte, il est vrai que ce que je propose aux analystes, ce n’est pas le confort du maître qui sait, mais plutôt l’angoisse. Et je compte sur les jeunes. Ceux qui ont terminé leur analyse sont dans l’angoisse. Ils peuvent chercher à tempérer leur angoisse dans une relation avec un maître, ou bien ne plus se laisser avoir par cette relation et comprendre qu’à la fin de l’analyse, personne n’a le dernier mot – et pas le maître, en l’occurrence. Le “sujet-supposé-savoir”, cette nomination par Lacan de la fonction de l’analyste, indique que personne n’a le savoir puisqu’il est supposé. C’est ce que je cherche à transmettre », ajoute-t-il.


Des propos inhabituels au Liban qui font la promotion de la transversalité et la non-appartenance dans un pays dont le champ public est ravagé depuis des temps immémoriaux par la verticalité et l’obsession de toujours tout institutionnaliser, jusqu’à l’absurde. Ce que Chawki Azouri tente de nous dire, c’est que c’est la reconnaissance de l’autorité du savoir qui est fondamentale, pas celle du pouvoir, surtout lorsque l’exercice de ce pouvoir est perverti et que cette perversion est contaminatrice.


Puissent un jour les différents responsables locaux de ce corps famélique que l’on appelle la « chose publique » en tirer quelque leçon, avant qu’il ne soit définitivement trop tard.

 

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Peut-on imaginer qu’un cadre aussi créatif que celui de la cure analytique, inventée par Sigmund Freud pour libérer l’homme de ses chaînes, se retrouve muselé par l’orthodoxie régnant dans l’institution ? C’est partant de cette interrogation fondamentale que le psychanalyste Chawki Azouri a fondé il y a quelques mois l’École libanaise de psychanalyse et de psychothérapie. Son...

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Au pays d'Adonis une affection maligne __ Frappe indistinctement les leaders de tous bords, __ Elle s'empare d'eux et, maléfique signe, __ Elle infecte leurs nerfs, leur esprit et leur corps.

SAKR LOUBNAN

08 h 48, le 21 juin 2013

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Commentaires (1)

  • Au pays d'Adonis une affection maligne __ Frappe indistinctement les leaders de tous bords, __ Elle s'empare d'eux et, maléfique signe, __ Elle infecte leurs nerfs, leur esprit et leur corps.

    SAKR LOUBNAN

    08 h 48, le 21 juin 2013

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