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Un monde de solutions - France

Prête-moi un senior !

En France, la loi Cherpion permet à un grand groupe de prêter un expert senior à une PME pour l’aider à grandir.

En France, le « Pass’ compétences » est initiative qui permet à un grand groupe de prêter un expert senior à une PME pour l’aider à grandir. Photo d'illustration AFP

François Barre n’a pas vu le temps passer. Sept mois déjà, qu’il a rejoint Celeste, cette PME spécialisée dans la fibre optique et le data center et basée à Champs-sur-Marne en Seine-et-Marne (région parisienne). Il ne lui en reste donc plus que cinq, et il faudra repartir. François Barre, 55 ans, est ici de passage : un salarié en « prêt ».

Si la carte de visite que cet ingénieur présente fièrement porte le logo de Celeste, sa feuille de paie, elle, est en effet estampillée Alcatel-Lucent. Pour un an, d’octobre 2012 à octobre 2013, le grand groupe a détaché son salarié dans cette PME de 50 salariés, à la faveur du « Pass’ compétences ».

 

Ce programme, imaginé en 2011 par Géris, une filiale du groupe Thales, et l’Agence Régionale de Développement de Paris Ile-de-France (ARD), repose sur une idée simple : un grand groupe prête un expert senior à une PME pour l’aider à grandir. Un « prêt » de main d’œuvre rendu possible par loi Cherpion de 2011 sur la sécurisation des parcours professionnels, qui encadre la mise à disposition de personnel.

Le dispositif, dont la gestion opérationnelle a été confiée au Pôle Systematic Paris-Région, en est à sa phase de test. Comme François Barre, cinq autres cadres seniors de grands groupes sont actuellement en goguette dans une PME de la région parisienne.

 

« Dans notre écosystème très technique, les PME rencontrent de gros problèmes d’accès aux compétences », explique Armelle Jamault, chef de projet Compétences au Pôle Systematic, qui a interrogé 430 PME pour cerner leurs besoins. « Cette année, environ 900 postes ne sont pas pourvus ». Parmi les profils les plus recherchés : « ingénieurs ; développeurs ; ou encore ‘business developer’ ».

 

 

Manque de compétences commerciales et de gestion

La carence n’est pas simplement technique. « Ces start-ups, souvent créées par des ingénieurs, manquent de compétences commerciales et de gestion », souligne Anne Fahy, directrice accompagnement des entreprises à l’ARD. Mais dans les deux cas, « les PME franciliennes souffrent de la concurrence des grands groupes au moment de recruter ».

« Dans notre secteur réseau-télécom, les jeunes sont soit mal formés, soit captés par les grands acteurs, confirme Frédérique Dofing, directrice générale de Celeste. L’intérêt d’un détachement limité dans le temps ? « Avec François, j’ai un œil extérieur et expérimenté pendant 1 an ». Une « ressource ponctuelle » qu’elle a choisi de mettre en appui sur la commercialisation de son activité datacenter. « François fait office de ‘super coach’ pour mes commerciaux, et fait monter l’équipe en compétence ».

 

Pour autant, la PME n’aurait pas pu s’offrir les services de François Barre. Dans le cadre du Pass’ compétences, la PME s’acquitte de 60% de son salaire (part plafonnée à 56.000 euros annuels), et le Pôle Systematic lui rembourse 20.000 euros. Résultat ? « A raison de 3.000 euros net par mois, j’ai quelqu’un d’expérimenté pour le prix d’un junior en License pro », résume Frédérique Dofing. Les 40% restants sont financés par le grand groupe.

« Oui, le salaire est un véritable obstacle », concède Ludovic Deblois, PDG de Sunpartner, PME innovante dans le secteur de l'énergie d'origine lumineuse, qui accueille depuis octobre Robert Monteillier, 57 ans, cadre de Schneider Electric. Mais pour cet ingénieur de 35 ans, la plus-value est bien là. « Il a pour mission de constituer la stratégie de la branche ‘Building’ Asie ». Or « il arrive avec son réseau et des outils de gestion stratégie marketing : ça nous permet d’aller plus vite ». Et pour cause : chez Schneider, Robert Monteillier est directeur marketing d’un service ‘Building’, et il a travaillé 20 ans avec la Chine. Et puis, ajoute Ludovic Deblois, en termes de management, « les 55/60 ans sont plus faciles à gérer que les jeunes, qui visent un poste, un titre et pensent carrière ».

 

 

Changer d’air

Les PME, ce n’est pas une surprise, y trouvent donc leur compte. Et les salariés ? Le détachement se décide sur la base du volontariat. C’est d’abord un moyen de changer d’air, comme un retour aux sources en changeant d’échelle. « Redonner du peps à mon parcours », confie Robert Monteillier, 57 ans, dont une trentaine chez Schneider. « J’occupais un poste très ‘corporate’, assez loin… très loin de l’opérationnel ». Il est tombé par hasard sur une annonce postée dans l’Intranet de Schneider. Il postule en juin, et rejoint Sunpartner en octobre dernier. Son premier jour ? « Comme un gamin qui entre au collège et découvre tout : je n’avais jamais été dans une start-up ni une petite entreprise auparavant ».

 

François Barre, 55 ans, « directeur partenariat » chez Alcatel-Lucent, ne se sentait « pas très ‘challengé’ ». C’est l’effet ‘grand groupe’ : « avec les restructurations, vous vous retrouvez en stand-by, plus personne ne bouge ». En filant chez Celeste, il trouvait « intéressant de fréquenter d’aussi près des créateurs de valeur ».

Effet grand groupe… et le blues du senior ? « Dans ces entreprises, on devient vieux à 45 ans, à 55 on n’est plus expatriable, on quitte la liste des hommes clés », témoigne Robert Monteillier. Alors « la motivation s’étiole ». « Une PME raisonne différemment », affirme François Barre. « Ici, que je sois senior, ils s’en fichent ! ». D’ailleurs, la DG de Celeste s’est rendue compte que le Pass’ compétences était destiné aux seniors bien après l’arrivée de François Barre.

 

 

Dépaysement

De fait, le dépaysement est assuré. Il tient en deux mots : rapidité et prise de risque. « Ici on monte une stratégie à 4 ou 5, sur une info fragile, explique Robert Monteillier : c’est à la fois insécurisant et très stimulant ». A l’inverse, chez Schneider, « il faut un an de cuisine pour proposer une vision ». François Barre retient « la rapidité dans la gestion d’un produit innovant » : « les ‘process’ sont simplifiés pour pouvoir très vite tester le produit sur le terrain ». « Chez Alcatel –Lucent, il y a 5 phases pour la sortie d’un produit… ».

Il y a aussi les petits défis, aussi : « pas d’assistante », les mêmes rendez-vous « trois fois plus difficiles à décrocher » parce qu’on est une PME, ou apprendre à « transmettre ses compétences » et pas seulement les exercer.

 

Quid enfin des grands groupes ? Air France, Thales ou Sanofi sont notamment engagés dans le programme. Ce n’est pas un moyen de placardiser ses seniors, dément d’emblée Armelle Jamault chez Systematic. « Ce n’est pas non plus de l’intérim ou de la substitution ». Le détachement peut néanmoins s’avérer utile dans « des périodes d’activité plus calmes », ou permettre de « temporiser un retour d’expatriation, le temps de trouver un point d’atterrissage au cadre ». La « formation » aussi : pour diriger une filiale ou un service de taille modeste, il est intéressant pour le cadre d’aller piocher dans la « culture PME ».

La subvention du détachement par Systematic n’est valable qu’un an. A priori le cadre retourne donc au bercail. « S’il y a histoire d’amour entre le détaché et la PME, on n’empêchera pas le mariage, mais ce n’est pas l’objectif ! », souligne Armelle Jamault. A l’issue du détachement, le salarié bénéficie d’un poste équivalent, le retour est « hyper sécurisé ».

 

Prolonger l’immersion ? François Barre fera le point le 10 juin avec Alcatel et Celeste. Robert Monteillier, lui, retournera chez Schneider avec plaisir, mais demanderait bien une rallonge car dit-il, ces prochains mois, « Sunpartner aura plus besoin de moi » et qu’il n’aura pas « bouclé [ses] grands contrats ». Pour Ludovic Deblois, son patron chez Sunpartner, une chose est sûre : avec l’aide des seniors, « plus de start-ups deviendraient des PME ».

 

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

François Barre n’a pas vu le temps passer. Sept mois déjà, qu’il a rejoint Celeste, cette PME spécialisée dans la fibre optique et le data center et basée à Champs-sur-Marne en Seine-et-Marne (région parisienne). Il ne lui en reste donc plus que cinq, et il faudra repartir. François Barre, 55 ans, est ici de passage : un salarié en « prêt ».
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