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Un monde de solutions - Liban

Cultivateurs de cannabis, ils ont osé parier sur la vigne

Dans la Békaa, la coopérative des Coteaux d’Héliopolis offre de nouvelles perspectives d'avenir aux agriculteurs.

Dans la Bekaa (Liban-Est), un agriculteur s’occupant de ses pieds de vigne. Grâce à la coopérative des Coteaux d’Héliopolis, des planteurs de cannabis se sont convertis à la vigne. Photo Marisol Rifaï.

En ce début de printemps, un vent sec balaie la région de Deir el-Ahmar dans le nord de la Békaa (est du Liban), le thermomètre affiche déjà plus de 30°.

Au milieu d’un vaste champ d’une terre d’un rouge profond, un homme dispose en ligne quelques dizaines de pieds de vigne « d’appoint ». « Ils serviront à remplacer les ceps qui ne survivront pas au cours des prochains mois », explique Walid Habchi. Depuis plus de dix ans, cet agriculteur libanais de 37 ans se consacre à la culture de la vigne au sein de la coopérative des Coteaux d’Héliopolis.

 

Lancé en 2000 par Sami Rahmé, un médecin originaire de la région, avec l’aide financière du département français de l’Oise, le projet vise à remplacer la culture illicite de cannabis par une production viticole et à repeupler la région qui subit un exode rural important faute de perspectives d’emplois.

Si l’origine des cultures illicites, cannabis et pavot essentiellement, dans cette région du Liban n’est pas déterminée avec exactitude, « dans les années 1920, la culture de cannabis est généralisée dans la partie nord de la Békaa », indique la chercheure Karine Bennafla dans une étude publiée en 2006. Elle va foisonner pendant la guerre civile jusqu’au milieu des années 90, quand une politique d’éradication est lancée par l’État libanais sous pression internationale. Un programme de cultures de substitution est mis en place, mais c’est un échec (plus de détails dans l’encadré ci-dessous).

 

Selon M. Rahmé, qui cite une étude réalisée par un chercheur français en 1998, la région de Deir el-Ahmar, soit une dizaine de villages, possède les conditions idéales pour la culture de la vigne, du climat à la nature du sol. Cependant, mis à part quelques hectares consacrés à la culture du raisin de table au cours de la première moitié du XXe siècle, la région n’avait jamais vraiment exploité ce potentiel, sauf à l’époque romaine.

Face à un État absent, le concept de la coopérative a rapidement séduit les agriculteurs. « Je terminais ma maîtrise en informatique à l’Université libanaise quand j’ai été arrêté et emprisonné à cause de mes champs de cannabis », se souvient Walid Habchi, qui n’aime plus revenir sur cette époque. « La coopérative a été une révélation pour moi. Me lancer dans la vigne allait me permettre de rester au village et de cultiver un produit noble et tout aussi rentable que le cannabis », poursuit le jeune homme, qui traite la vigne comme « on doit traiter une femme, avec tendresse, affection et attention ».

 

 

 

 

 

La patience, clé de la réussite du projet

Mais la rentabilité reste un facteur essentiel pour convaincre les agriculteurs d’abandonner le cannabis.

Sur ce point, Sami Rahmé est catégorique : la vigne est rentable. Pour chaque donom (1 000 m²) de vigne cultivé, l’agriculteur perçoit environ 600 dollars de la part de la coopérative, qui lui assure l’achat de toute sa production à un prix supérieur à celui du marché. « Les acheteurs reconnaissent la qualité exceptionnelle de nos vignobles et apprécient à sa juste valeur le label “raisins de culture biologique” délivré à notre production par l’Institut méditerranéen de certification (IMC) », explique le responsable de la coopérative. Ainsi, le kilo de raisin « Coteaux d’Héliopolis » peut être vendu à un peu plus d’un dollar à certaines caves de la région, contre environ 60 cents pour d’autres vignobles libanais. « La rentabilité d’un champ de cannabis tourne, elle, aux alentours de 400 dollars par donom pour l’agriculteur.

 

Pour Chawki Fakhry, un ingénieur à la retraite originaire de Deir el-Ahmar, « si nombreux sont ceux qui hésitent encore à se convertir à la vigne, c’est parce qu’il faut investir beaucoup au début pour apprêter le champ, rembourser les plants avancés par la coopérative, et compter au moins cinq ans avant de pouvoir tirer bénéfice de sa production ».

 

Certains agriculteurs voient toutefois au-delà de l’aspect purement financier de la chose.

C’est pour avoir la conscience tranquille que Walid Habchi s’est engagé dans la vigne en sortant de prison. « Contrairement à ce que pourraient penser certains, ici les gens n’aspirent pas forcément à devenir millionnaires. Les agriculteurs cultivent du cannabis car ils n’ont pas vraiment le choix pour survivre », explique l’agriculteur. Selon lui, pour un revenu moyen de 2 000 dollars par mois, tous les villageois sont prêts à abandonner les cultures illicites afin de ne plus avoir à vivre avec la peur quotidienne d’être arrêtés ou de voir leurs champs détruits par l’État. Et au prix de vente que lui assure la coopérative pour son raisin, un agriculteur qui possède un « petit » vignoble de 40 donoms peut facilement s’assurer ce revenu moyen.

 

La coopérative permet aussi aux agriculteurs d’éviter l’obstacle de la superficie. « Avec la coopérative, il n’est pas nécessaire de posséder d’énormes surfaces de terrain pour être rentable, comme c’est le cas pour la culture de la pomme de terre ou du tabac, également très répandus dans la région », explique M. Fakhry.

 

 

Un pied de vignes sur les terres rouges de la Bekaa. Photo Marisol Rifaï.

 

 

Du projet viticole au rêve vinicole

Depuis le début du projet, la surface dédiée dans cette région à la culture de la vigne a augmenté de quelque 200 donoms tous les ans pour atteindre aujourd’hui 2 400 donoms répartis entre environ 275 agriculteurs. Parmi eux, des agriculteurs musulmans qui ne rechignent pas à cultiver la vigne dont le produit finira en vin. Aujourd’hui, des dizaines d’autres agriculteurs veulent se lancer dans l’aventure des Coteaux d’Héliopolis.

 

Un engouement que les responsables, « victimes » de leur succès, tentent de freiner temporairement. « Notre rêve est de mettre complètement fin à la culture de cannabis et de cultiver de la vigne sur les 12 000 donoms exploitables » déterminés dans l’étude menée par le chercheur français en 1998, souligne Michel Imad, l’un des responsables de la coopérative. Jusqu’à l’année dernière, la majorité de la récolte était vendue à des caves de la région, « mais le marché est restreint et si on augmente de beaucoup la production, le problème de l’écoulement se posera tôt ou tard », poursuit-il.

 

« C’est pourquoi la deuxième phase du projet consiste en la création d’une cave pour produire notre propre vin avec les raisins de nos vignobles », explique Sami Rahmé. Ce projet tarde cependant à se concrétiser faute de moyens, l’arrêt du financement par le département de l’Oise l’année dernière ayant été un coup dur pour la coopérative. « C’est à l’État libanais de se soucier du secteur agricole, de soutenir des projets innovants comme le nôtre, mais surtout de développer l’industrie agroalimentaire pour transformer les produits agricoles qui sont par définition périssables et qui ont du mal à être écoulés sur des marchés trop instables », martèle M. Rahmé.

 

Ne se laissant pas décourager, la coopérative a loué des caves dans la région pour produire son propre vin, un rouge baptisé « Domaine des Cèdres », qui est ensuite revendu à l’étranger grâce à un accord avec l’association de commerce équitable FairTrade. « Nous avons déjà exporté 25 000 bouteilles au Japon et nous avons une commande de 15 000 bouteilles pour la Suède et de 300 000 bouteilles pour l’Angleterre », rapporte M. Rahmé.

 

Walid Habchi, lui, n’a pas voulu attendre la cave de la coopérative. L’agriculteur et un associé, Charbel Fakhry, également originaire de Deir el-Ahmar, ont lancé la construction de leur propre cave, « Couvent rouge », qu’ils espèrent inaugurer dès l’année prochaine.

 

 

 

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Échec du programme de substitution des cultures illicites


La Békaa, grande plaine de l’est du Liban, est souvent associée à la culture du cannabis. C’est durant la guerre civile libanaise (1975-1990), que la culture du cannabis, mais aussi du pavot, explose dans cette région. En 1991, les cultures illicites couvrent près de 80 000 hectares, elles font travailler 54 000 personnes sans compter les saisonniers et rapportent environ 100 millions de dollars par an.

Sous la pression internationale, des opérations d’éradication sont lancées en 1995 par l’armée libanaise et les forces syriennes qui occupent le pays. Un programme de cultures de substitution (safran, coton, câpres) et un bureau de l’ONU sont mis en place, mais l’échec est cuisant. Selon plusieurs rapports, les problèmes sont de divers ordres : les cultures de substitution sont proposées sans véritables études préalables ; sur les 55 millions de dollars promis par les bailleurs de fonds, seuls 12 millions sont versés ; une partie substantielle de l’aide s’est évaporée en frais de mission et d’expertise. Avec ce programme, la situation des agriculteurs s’est souvent aggravée : non seulement ils n’ont pas reçu d’aides financières, mais ils ont souvent dû s’endetter pour suivre à marche forcée la diversification agricole. D’où un retour de certains à la culture du cannabis.

 

Source : Le développent au péril de la géopolitique : l’exemple de la plaine de la Békaa (Liban), Karine Bennafla, Géocarrefour, vol. 81/1 – 2006)

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

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