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Moyen Orient et Monde - Eclairage

Erdogan, ou « la tactique du salami »

Le Premier ministre turc accusé de dérive autoritaire

Pendant que le mouvement de contestation se poursuit en Turquie, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est en tournée au Maghreb. AFP /FADEL SENNA

Une série de bourdes politiques pour les uns, une dérive autoritaire pour les autres, des craintes d’une islamisation rampante de la société et, plus que tout, dix années de pouvoir sans partage : voilà les ingrédients de la crise turque actuelle. Les facteurs qui ont poussé des milliers de manifestants à s’opposer aux forces de l’ordre dans des heurts désormais qualifiés d’historiques.

Les faits
Vendredi 26 avril : le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, stigmatise les effets néfastes de l’alcool : « notre boisson nationale, c’est l’ayran », non pas la bière ni le raki. Ce jour-là, le gouvernement turc mené par le Parti de la justice et du développement (AKP) promulgue une loi qui impose des limitations de vente d’alcool aux magasins et supermarchés. Cette nouvelle loi vient s’ajouter à une série de mesures limitant la consommation d’alcool sur les terrasses des cafés et des restaurants... et vient compléter une série de lois conservatrices comme l’interdiction des baisers dans les transports publics à Istanbul.
Mardi 28 mai : Erdogan inaugure le chantier d’un troisième pont suspendu sur le Bosphore. La date n’est pas choisie au hasard, elle correspond à celle de la prise de Constantinople par les armées du sultan ottoman Mehmet, surnommé « Fatih » le « Conquérant », le 28 mai 1453.
Si le « Fatih » a déjà un pont en son nom, le troisième ouvrage d’art qui reliera les deux rives du détroit en 2015 portera le nom d’un autre sultan, Selim 1er, surnommé « Yavuz » le « terrible » suite à ses exploits militaires, accompagnés de massacres perpétrés envers ceux que les Ottomans considéraient comme « impies » et « hérétiques » : les chiites alévis (voir par ailleurs). Plusieurs personnalités alévies ont en effet protesté contre ce nom. Celui-ci n’est pas choisi au hasard : le « Yavuz » est aussi le premier calife ottoman, après la défaite des Fatimides en Égypte (voir par ailleurs).
Vendredi 31 mai : la police réprime brutalement les manifestants sur la place Taksim. On dénombre jusqu’à ce jour 1 800 arrestations et des centaines de victimes. Les protestataires s’opposaient à un chantier qui prévoit la transformation du parc Gezi en projet immobilier comportant une zone piétonne, un centre commercial, la reconstruction d’une ancienne caserne ottomane et l’édification d’une mosquée...

 

(Reportage : Sous les pavés... à Istanbul)

La conquête du pouvoir
Retour sur l’accession au pouvoir de l’AKP : le parti d’Erdogan est arrivé au pouvoir en 2002, seulement un an après une grave crise financière. Le parti qualifié d’« islamiste modéré » s’est propulsé sur le devant de la scène politique turque suite à ses succès aux élections municipales locales (Erdogan était le maire d’Istanbul entre 1994-1998).
Erdogan a profité aussi de son image d’« opprimé » suite à son incarcération et à cause des longues années d’oppression que les islamistes turcs ont subies de la part des autres partis laïcs et surtout de la jadis très puissante intervention de l’armée en politique. Il est considéré comme l’héritier de Necmettin Erbakan, ancien leader du Refah, le parti de la prospérité, interdit à l’époque par le gouvernement et les militaires.
Lors de son arrivée au pouvoir, l’AKP a allié la réussite économique à la lutte contre la corruption endémique qui gangrenait la classe politique turque. Les partisans de l’AKP ainsi que bon nombre de leurs adversaires politiques reconnaissent la bonne gestion du gouvernement. Ajoutée à cela la ligne dure adoptée contre Israël, ce cocktail de facteurs a fait grimper les voix de l’AKP de 35 % en 2002 à plus de 50 % en 2011.

 

(Lire aussi : La « femme en rouge », nouvelle icône des manifestantes d’Istanbul)

Les racines islamistes
Recep Tayyip Erdogan a une très solide expérience de la charia et son idéologie sunnite se base essentiellement sur les écrits de Fethullah Gülen, leader du mouvement du même nom, dont la pensée est influencée par la secte de Said-i Nursi.
Fethullah Gülen a également une grande influence dans le système politique à travers l’arrivée de ses partisans aux postes-clés de l’appareil policier et judiciaire. Ils ont eu même le pouvoir de contenir la puissance de l’armée, surtout par le biais du procès du complot présumé « Ergenekon », qui a permis l’emprisonnement de plusieurs généraux, dont le chef de l’état-major, soupçonnés de fomenter un coup d’État militaire. Plusieurs autres intellectuels et journalistes ont été aussi emprisonnés pour avoir publié des livres et autres articles sur Gülen.
Jour après jour, la pression s’accroît sur la liberté d’expression, beaucoup de gens ont peur de l’emprisonnement et, aujourd’hui encore, des centaines de journalistes et d’étudiants accusés de faire partie d’une organisation terroriste sont encore en prison.


Le Premier ministre Erdogan utilise en outre son pouvoir, sa majorité parlementaire et ses partisans pour faire pression sur les médias, en particulier sur les chaînes télévisées.
La plupart des laïcs ont peur de perdre leurs droits et en particulier la liberté d’expression, ainsi que leur style de vie.

 

Par ailleurs, les islamistes au pouvoir interviennent dans le secteur de l’éducation. La Turquie compte aujourd’hui 400 000 élèves des écoles coraniques, appelées « Imam Hatip », censées former les imams-fonctionnaires. Rien que l’année dernière, 76 écoles publiques et laïques ont été converties en « lycée Imam Hatip ». Erdogan se justifie en affirmant qu’il « veut une génération religieuse au lieu d’une génération toxicomane » !


Ainsi, en renforçant son emprise sur la police, le gouvernement, la justice et l’éducation, Erdogan semble plus que jamais vouloir adopter la tactique du salami, découpant l’opposition « tranche après tranche, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien »...

 

 

 

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Reportage

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Eclairage

"La majorité, c'est toujours Erdogan"
Une série de bourdes politiques pour les uns, une dérive autoritaire pour les autres, des craintes d’une islamisation rampante de la société et, plus que tout, dix années de pouvoir sans partage : voilà les ingrédients de la crise turque actuelle. Les facteurs qui ont poussé des milliers de manifestants à s’opposer aux forces de l’ordre dans des heurts désormais qualifiés...

commentaires (3)

Le pouvoir monte a la tête. Seulement voila que la société Turque rejette ses mesures stupides a la face. C'est un retour boomerang douloureux et il va en avoir des maux de tête!!!

Pierre Hadjigeorgiou

12 h 56, le 05 juin 2013

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Commentaires (3)

  • Le pouvoir monte a la tête. Seulement voila que la société Turque rejette ses mesures stupides a la face. C'est un retour boomerang douloureux et il va en avoir des maux de tête!!!

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 56, le 05 juin 2013

  • M A L I N, CE P R E M I E R ERDOGAN........... !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 31, le 05 juin 2013

  • SANS RAKI LE SALAMI N'A PAS DE GOÛT !

    SAKR LOUBNAN

    07 h 53, le 05 juin 2013

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