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Culture - Initiative

« Rituel pour une métamorphose », première pièce arabe au répertoire de la Comédie-Française

Avec « Rituel pour une métamorphose » de Saadallah Wannous, c’est le premier texte de théâtre arabe qui est inscrit au répertoire de la Comédie-Française. Et comme une exception ne va jamais seule, la prestigieuse institution en a confié la mise en scène à Sulayman el-Bassam, metteur en scène anglo-koweïtien, ne faisant pas partie du sérail et étranger qui plus est ! Le vent des printemps arabes soufflerait-il sur la vénérable maison de Molière, dépoussiérant ses planches ?

Dans l’enceinte des murs d’une maison damascène, les drames vont se nouer avant de faire tout imploser sur leur chemin...

Sur scène, nous sommes à l’intérieur d’une maison damascène, aux murs dorés, couleurs chaudes de l’Orient – malgré une intention qui veut éviter l’orientalisme –, le résultat reste néanmoins assez emprunt... d’exotisme. Ces murs abriteront «Les intrigues», 1re partie du spectacle, ils éclateront sous la pression des événements, pour laisser la place à un décor ouvert, noir, chaotique, plus en rapport avec la 2e partie, «Les destinées».
Première scène: en bruit de fond, la voix étrange et langoureuse de Yasmine Hamdan – la jeune Libanaise signe et interprète la musique originale de la pièce – donne le tempo d’une maison close. Sur scène, Abdallah, le prévôt des notables, et Warda, la courtisane, s’adonnent aux jeux des plaisirs charnels quand fait irruption Izzat Bey, le chef de la police. Les éléments du drame sont établis, les premières secousses du séisme sociopolitique commencent à se faire sentir. Le spectateur va, de rebondissement en rebondissement, suivre les méandres de l’intrigue pour arriver au raout final : la mort.
Étranges chemins que prend la destinée de chacun des personnages: le prévôt abandonne son costume de puissant débauché, pour se revêtir de la nudité du mystique; la courtisane se venge enfin d’une lourde prédestination; l’épouse bafouée se libère de toute entrave, entraînant dans son sillage la ville entière, jusqu’à la fin tragique de l’une et l’embrasement chaotique de l’autre; le mufti poursuit sa logique implacable et finit par en être broyé; le tabou de l’homosexualité est levé, laissant chacun maître de ses choix, responsable de leurs conséquences...
Une action, aussi maîtrisée et organisée soit-elle, n’aboutit jamais – loin s’en faut – au but qui lui avait été assigné.
Le texte de Saadallah Wannous, bien que décrivant un Damas du milieu du XIXe siècle, fait écho aux sociétés d’aujourd’hui, liberticides, restrictives, maintenant une tradition de domination masculine et patriarcale, aussi bien au niveau collectif que familial et individuel, reniant tout droit à la femme de disposer de son corps, de sa vie... Et c’est une femme, justement, qui va être à l’origine de ce chamboulement. Et comme pour souligner ce parallèle avec les sociétés actuelles, la mise en scène foisonne d’éléments qui renvoient à ces derniers mois de révolutions arabes: drapeaux/étendards déployés, textes calligraphiés sur les murs, voix de la foule... Pour Sulayman el-Bassam, la phrase qui résumerait le mieux la pièce de Wannous, l’ancrant dans un contexte social contemporain, est la réponse que fait Almassa au mufti Qâssem, qui sollicite son amour: «Moi-même, Qâssem, je ne sais pas encore très bien ou j’en suis. Je ne voudrais ni faiblir ni reculer. De toute manière, je suis perdante, car ce que je cherche est impossible dans un pays d’esclaves et de prisonniers.»

Une interprétaion intériorisée
Sollicité par la direction de la Comédie-Française pour sa connaissance des cultures arabes, ses expériences de mélange entre cultures orientales et occidentales et ses productions théâtrales internationales, Sulayman el-Bassam n’a pas hésité une seconde à accepter la proposition de mettre en scène ce texte, «parce que c’est Wannous, parce que c’est Rituel pour une métamorphose, j’étais fier de répondre à cette invitation, même si cela représentait une grande responsabilité pour moi», souligne-t-il. Certes, en travaillant pour une institution telle que la Comédie-Française, prestige et moyens sont au rendez-vous pour le metteur en scène – ce qui n’est déjà pas négligeable par les temps de crise qui courent. Mais en y collaborant, tout intervenant extérieur doit se conformer à des règles, une esthétique, parfois des carcans et partant des limites. «Il y a beaucoup de choses auxquelles je ne m’attendais pas, des particularités liées à la maison dans laquelle nous sommes: particularités techniques, humaines, etc. auxquelles s’est ajouté le paramètre de l’entrée au répertoire du texte de Saadallah Wannous», avoue le metteur en scène.
Sulayman el-Bassam n’a pas eu la tâche facile, mais il a relevé le défi. Cherchant dans sa mise en scène «à éviter la trivialité, à favoriser une interprétation intériorisée des personnages et des caractères, laissant ainsi une marge à l’imaginaire», affirme-t-il. Au risque de manquer de fidélité au texte, à l’univers et aux intentions de l’auteur? «Je n’ai pas voulu que le spectateur français se détache de l’intrigue, n’y voyant qu’une histoire d’étrangers», se justifie-t-il.

Quelques repères
Rituel pour une métamorphose est parue en arabe, en 1994, et en français, en 1996, aux éditions Actes Sud-Papiers. «C’est un des rares textes traduits et édités chez Actes Sud-Papiers avant sa mise en scène», précise d’emblée Farouk Mardam Bey, directeur éditorial de la collection Sindbad chez Actes Sud. Farouk Mardam Bey est entré chez la fameuse maison d’édition arlésienne avec les pièces de Saadallah Wannous dans ses valises. «Pour moi, Rituel pour une métamorphose est la pièce la plus aboutie de Saadallah Wannous,
affirme-t-il, surtout le personnage de la femme, Almassa, qui est un personnage dense, étoffé, complexe. Pour lui, que la Comédie-Française ait choisi ce texte pour l’inscrire à son répertoire est significatif d’une volonté d’élargissement.» Cette pièce a été choisie par le Cercle de la Comédie-Française – lancé en 2011 et rassemblant des entreprises et des particuliers engagés aux côtés de l’institution pour soutenir son développement – dans une volonté de ses membres «d’inscrire le spectacle vivant au centre des débats de société», lit-on dans le dossier de presse.
Peut-on y voir une volonté politique liée aux événements qui secouent la Syrie, aujourd’hui? «Ce texte a été choisi il y a deux ans, précise Farouk Mardam Bey, parmi plusieurs textes soumis au Cercle. Je pense que ce choix est avant tout un encouragement au mouvement théâtral arabe en général.» La nouvelle édition de Rituel pour une métamorphose a été revue et allégée par Rania Samara, traductrice attitrée de Saadallah Wannous en français. D’une plume précise, elle a réussi à reproduire l’essence même de l’œuvre de l’auteur.
«Saadallah Wannous est un auteur fondamental dans le monde arabe, qui utilise sa plume comme résistance à l’oppression, avec le talent des grands hommes de théâtre, écrit Muriel Mayette, administratrice générale de la Comédie-Française, dans le programme de présentation de la pièce. Rituel pour une métamorphose est un texte engagé, à la fois classique dans sa construction, mais également subversif comme savait l’être Molière en son temps.» Comme le sont les auteurs universels...

* « Rituel pour une métamorphose » est à l’affiche à la Comédie-Française jusqu’au 11 juillet.
Sur scène, nous sommes à l’intérieur d’une maison damascène, aux murs dorés, couleurs chaudes de l’Orient – malgré une intention qui veut éviter l’orientalisme –, le résultat reste néanmoins assez emprunt... d’exotisme. Ces murs abriteront «Les intrigues», 1re partie du spectacle, ils éclateront sous la pression des événements, pour laisser la place à un décor...

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