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À La Une - La Perspective de Michel TOUMA

La grenouille plus grosse que le bœuf...

Cartes sur table ... Sans détours ; sans équivoque aucune. Son idéologie théocratique et ses postulats géopolitiques sont, à la base, suffisamment explicites, mais dans la posture médiatique de tous les jours, il n’y insistait pas outre mesure, voire il tentait de les camoufler ; ses alliés indéfectibles, eux, s’emploient à occulter purement et simplement les effets de cette fameuse doctrine fondée sur l’allégeance aveugle – car à caractère religieux – au waliy el-faqih, en l’occurrence le guide suprême de la révolution islamique iranienne. Mais désormais, dans la pratique quotidienne, le Hezbollah ne cache plus son jeu.


En reconnaissant publiquement ce que plus personne n’ignorait, à savoir qu’il participe directement aux combats en Syrie afin de sauver le régime de Bachar el-Assad, et en soulignant haut et fort que son implication dans la guerre syrienne fait partie de la bataille pour la Palestine et du combat contre les États-Unis et l’Occident, le parti de Hassan Nasrallah a consacré concrètement, dans les faits – au grand dam de ceux qui ne voulaient pas le reconnaître – une réalité indéniable : pour tout ce qui touche aux grandes décisions d’ordre stratégique, notamment la décision de guerre et de paix, le Hezbollah n’est pas un parti libanais. Ses cadres, ses membres, ses partisans sont, certes, pour la plupart, d’honnêtes citoyens libanais, courageux et dévoués à une cause, mais la décision politique qui dicte le comportement de l’appareil du parti n’est en aucune façon libanaise et elle n’obéit qu’à des impératifs transnationaux.
Un tel constat n’est nullement le fruit d’une quelconque analyse ou d’un procès d’intention. Plus d’une fois, nous avons rapporté dans ces mêmes colonnes un passage de l’ouvrage-clé du numéro deux du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, sur l’historique, les fondements et la doctrine du parti. Évoquant l’allégeance doctrinale au waliy el-faqih, cheikh Kassem souligne notamment dans le chapitre consacré au waliy el-faqih (pages 68 à 78, version arabe), dans son ouvrage ayant pour titre Le Hezbollah, que le waliy el-faqih jouit de « très larges prérogatives (...), il prend les grandes décisions politiques en rapport avec les intérêts de la oumma, et c’est à lui que revient la prérogative de prendre la décision de guerre ou de paix » (...).


À la lumière de ce passage exposant ce point précis de la doctrine du parti, l’on comprend mieux que c’est nécessairement sur instruction du régime des mollahs à Téhéran que le Hezbollah s’est engagé à fond dans les combats en Syrie pour voler au secours du pouvoir baassiste de Damas. D’ailleurs, quelques jours avant d’annoncer publiquement les motifs d’un tel engagement, Hassan Nasrallah était reçu à Téhéran par le guide suprême, Ali Khamenei. La survie du régime de Bachar el-Assad, considéré par la République islamique comme une partie intégrante de son « espace vital de sécurité » – comme l’a souligné explicitement un haut responsable iranien – est ainsi pour l’Iran, et donc pour le Hezbollah, de loin plus primordiale que les conséquences dévastatrices qu’a sur la scène libanaise l’implication du parti chiite dans la guerre syrienne.


Ce lien stratégique et doctrinaire avec Téhéran n’est certes pas nouveau et ne constitue en rien une surprise. Ce qui est nouveau, par contre, c’est que désormais Bachar el-Assad est profondément redevable au Hezbollah, et a fortiori à l’Iran. Nous sommes ainsi passés de la tutelle du régime syrien sur le Liban à la tutelle du Hezbollah sur le régime syrien... Avec toutes les conséquences qui pourraient en découler sur l’échiquier politique libanais si Bachar el-Assad parvenait à se maintenir, contre vents et marées, au pouvoir. Au plan régional, Hassan Nasrallah tente déjà de tirer profit des sacrifices qu’il a consentis pour sauver le clan Assad en se livrant à une escalade verbale face à Israël, affirmant que son parti est disposé à contribuer à la libération du Golan et qu’il pourrait se voir livrer par Damas des armes stratégiques susceptibles de rompre l’équilibre de force avec l’État hébreu.


Il est fort à parier, cependant, qu’une telle surenchère verbale constitue en réalité un message musclé adressé non pas à Israël, mais plutôt aux adversaires de l’axe irano-baassiste en Syrie et au Liban. On voit mal dans le contexte présent l’armée syrienne s’engager dans une aventure militaire contre Israël alors qu’elle a subi d’importantes défections et de grosses pertes au cours des deux années de guerre civile et que, surtout, elle a dû avoir recours à l’aide d’une milice libanaise pour échapper à une déroute qui semblait poindre rapidement à l’horizon. Quant au Hezbollah, sa participation active aux combats en Syrie étant, à l’évidence, vitale pour la sauvegarde du régime Assad, il n’a nullement intérêt à ouvrir un autre front avec un ennemi de taille.


La surenchère guerrière contre Israël n’est donc, dans la pratique, qu’une posture médiatique, un fonds de commerce, en quelque sorte, qui permettent au régime des mollahs de poursuivre son entreprise de grignotage de l’échiquier du Moyen-Orient, et au Hezbollah d’imposer de plus en plus son diktat à l’État libanais et aux composantes politiques locales, le tout sous le couvert du « projet de résistance » contre Israël et « l’hégémonie des États-Unis » dans la région. Une « résistance » qui se limite cependant, depuis 2006, à un slogan de mobilisation de masse, qui prend la forme d’un instrument de conquête politique qui cache mal d’autres desseins hégémoniques inavouables. L’un des principaux commandants de la révolution syrienne a été jusqu’à affirmer à cet égard, dans une déclaration rapportée dimanche par le journal turc Today’s Zaman, que « l’Iran et le Hezbollah coopèrent avec Israël afin de soutenir le régime de Bachar el-Assad ».


Ne concevant ainsi son action que sous le seul angle des ambitions régionales de son parrain iranien, le Hezbollah en vient à percevoir le Liban dans son ensemble et les acteurs politiques libanais comme des quantités négligeables devant le grand projet géopolitique de la République des mollahs. Du coup, la déclaration de Baabda, la position du président de la République, la politique de distanciation, le positionnement et les sensibilités de l’ensemble des composantes socio-communautaires du pays, l’exacerbation des tensions sectaires sunnito-chiites et les risques croissants de dérapage sur ce plan ne sont pour le Hezbollah que des considérations dérisoires qu’il regarde avec mépris. Sauf qu’à force d’agir comme si le pays et les Libanais sont sa propriété privée, sa chasse gardée qu’il s’obstine à vouloir contrôler jalousement, le Hezbollah finira par subir, tôt ou tard, le sort de la grenouille de La Fontaine qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf.

Cartes sur table ... Sans détours ; sans équivoque aucune. Son idéologie théocratique et ses postulats géopolitiques sont, à la base, suffisamment explicites, mais dans la posture médiatique de tous les jours, il n’y insistait pas outre mesure, voire il tentait de les camoufler ; ses alliés indéfectibles, eux, s’emploient à occulter purement et simplement les effets de cette fameuse...
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