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Utopies

Si minuscule Liban, où trouvent pourtant moyen de se bousculer, d’entrer régulièrement en collision, deux planètes différentes, deux mondes à part !

De cette propension des Libanais à se mettre en désaccord sur tout, les exemples abondent. Il y a plus grave cependant que leur incapacité chronique à se doter d’un mode de gouvernement et d’un système électoral rendant réellement justice à toutes les composantes communautaires du pays, deux questions qui monopolisent depuis quelque temps l’actualité politique. Ce qui continue de boiter pitoyablement, c’est l’axiome de base, à savoir l’identité, la vocation du Liban, le rôle qui lui est naturellement dévolu dans cette partie chroniquement instable du globe.

De ce tragique malentendu, ce sont deux illustrations plutôt qu’une qu’a donné à voir la journée de jeudi. Plus de soixante ans après, le rêve d’une neutralité du Liban, brandi par le leader défunt du Bloc national Raymond Eddé, reprend vie, et cela à l’initiative de ses vieux adversaires du parti Kataëb. Mais Raymond Eddé était-il vraiment un rêveur, lui qui, bien avant l’apparition de la guérilla palestinienne et l’irruption de l’Iran dans le conflit arabo-israélien, mettait en garde contre la ruine assurée du pays s’il venait à laisser son territoire servir de tremplin à des actes de guerre ; qui bien avant les guerres civiles du Liban, et maintenant de Syrie, s’égosillait en vain à souligner les risques de balkanisation de la région ?

Idéaliste à son tour le jeune député Kataëb Sami Gemayel, auteur d’une proposition visant à faire sanctionner par la Constitution le statut de neutralité du Liban et qui a entamé à cette fin une tournée générale des fractions politiques ? Inconséquent, le Courant patriotique libre qui, bien qu’allié aux va-t-en guerre du Hezbollah, s’est montré tout disposé à envisager la question ? Habile dérobade du président de l’Assemblée qui a soutenu l’idée tout en en désavouant le timing ? Simple et gratuite concession à une utopie irréalisable que ce pourquoi pas n’engageant de toute manière à rien, par lequel ont répondu d’autres partis consultés ?

Le fait demeure que si la neutralité ne devait effectivement être qu’une utopie, dans un pays aussi profondément divisé en effet que le nôtre sur des questions telles que l’israélienne et la syrienne, ce serait, du moins, une utopie douce : une utopie n’ayant d’autre et noble objectif finalement que la sécurité et l’intégrité du Liban dans le magma des tensions proche et moyen-orientales. Elle ne conduit en aucun cas à pactiser avec l’ennemi commun des Arabes, mais seulement à épargner les malheurs de la guerre au pays arabe précisément le moins adapté aux dures exigences de la guerre.

Aux antipodes de cette démarche, c’est en revanche du délire guerrier – et pratiquement suicidaire – que relève, quant à elle, la nouvelle stratégie du Hezbollah, telle que déclinée au cours d’une apparition télévisée, ce même et surréel jeudi, par son chef, Hassan Nasrallah. On savait la milice trop occupée, ces derniers temps, à guerroyer aux côtés de la dictature baassiste pour se soucier de reprendre ses opérations contre Israël à partir du Liban-Sud. Qu’à cela ne tienne, c’est à la libération du Golan occupé, ce même Golan depuis longtemps oublié de son légitime propriétaire syrien, qu’elle se promet d’aider cette fois. Fort bien ; mais aider qui au juste, du moment que les Syriens sont trop occupés à casser du Syrien ?

Plus sérieuse et préoccupante est l’éventualité, évoquée par Nasrallah, d’un transfert au Hezbollah d’armements capables de modifier l’actuelle balance des forces : capables, autrement dit, d’attirer une fois de plus sur le Liban les imparables retombées de ces guerres si docilement menées pour le compte des autres. Rendre au régime nu de Damas son honneur de résistant, la voilà bien l’utopie des utopies ...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Si minuscule Liban, où trouvent pourtant moyen de se bousculer, d’entrer régulièrement en collision, deux planètes différentes, deux mondes à part !De cette propension des Libanais à se mettre en désaccord sur tout, les exemples abondent. Il y a plus grave cependant que leur incapacité chronique à se doter d’un mode de gouvernement et d’un système électoral rendant réellement...