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Bidouillages

Étrange, cette manie qu’a notre bâtarde de démocratie de se placer dans les situations les plus inextricables. Quitte, pour s’en sortir, à recourir à toutes sortes d’expédients : ce qui ne fait, bien entendu, qu’abâtardir un peu plus encore le bâtard. Particulièrement gâté en la matière, et là réside le comble, est le Parlement, source de tous les pouvoirs.

 

Du fait de la guerre qui sévissait dans notre pays, et donc de l’impossibilité absolue de procéder à des élections, nous avons fait la rare expérience d’une Assemblée qui, durant près de deux décennies, se reconduisait régulièrement elle-même. C’est d’ailleurs à ce même aréopage passablement défraîchi (et même périmé, pourrait-on dire) que l’on doit le règlement de Taëf et l’actuelle Constitution. Nous avons vu un Parlement cadenassé durant près de deux ans par son propre président, sous les prétextes les plus fallacieux. Et comme il est d’usage tous les quatre ans, c’est aux élus en place qu’il revient de fixer eux-mêmes les règles du jeu électoral en veillant à s’assurer les meilleures chances de conserver leurs sièges ...


Ce qu’il y a de nouveau cette fois, c’est que le casse-tête originel a fait des petits, ce qui commande aux bricoleurs de service un surplus d’imagination. Répudiée de toutes parts pour cause de désuétude, la loi électorale de 1960 reste tout de même une loi, avec toutes les contraintes qu’elle renferme : la seule en vigueur, de surcroît, aussi longtemps qu’un clou n’est pas venu chasser l’autre. Il reste qu’au Liban, contourner une loi ne pose pas trop problème, qu’on soit responsable ou simple citoyen. À plus d’une reprise, le Parlement est passé outre, pour une seule fois (sic) à l’interdiction faite à tout président de la République de solliciter un second mandat. Et par deux fois ont été levées, de manière tout aussi exceptionnelle, les restrictions barrant l’accès à la magistrature suprême de commandants de l’armée en exercice.


Toujours est-il qu’en repoussant d’une semaine la date du déroulement des élections, et d’autant le délai de dépôt des candidatures, le ministre de l’Intérieur n’a fait qu’offrir un maigre répit – renouvelable, il est vrai – à la république en panne. Éminemment pernicieux, certes, est le projet de loi dit orthodoxe, aux termes duquel chacune des communautés libanaises serait à même d’élire, à l’exclusion de tous les autres, ses propres représentants à l’Assemblée; mais est-elle beaucoup plus sensée, l’idée d’un mélange des genres entre scrutins majoritaire et à la proportionnelle que d’aucuns lui opposent ? Que les divers blocs politiques arrivent, dans le meilleur des cas, à s’entendre sur une nouvelle loi électorale, et le scrutin est retardé de six mois pour le moins, période jugée nécessaire pour la mise en place de l’intendance administrative adéquate. Que les désaccords persistent toutefois, et c’est la porte ouverte aux hypothèses les plus saugrenues, la moindre n’étant pas l’élection par forfait, régulière du strict point de vue technico-légal, des happy few qui se sont déjà empressés de faire acte de candidature.


En attendant, et toujours sur la question des délais constitutionnels, c’est sur les implications de ces deux maîtres mots de prorogation et de suspension que va devoir plancher l’Assemblée. D’une belle collection de mauvaises solutions, c’est la moins mauvaise de toutes que va falloir choisir une société persistant à se décliner (au pays des aveugles, le borgne est bien roi) comme la plus démocratique du monde arabe.
Elle est loin, l’ère du bricolage de génie. Voici venu le temps du pis-aller.

 

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Étrange, cette manie qu’a notre bâtarde de démocratie de se placer dans les situations les plus inextricables. Quitte, pour s’en sortir, à recourir à toutes sortes d’expédients : ce qui ne fait, bien entendu, qu’abâtardir un peu plus encore le bâtard. Particulièrement gâté en la matière, et là réside le comble, est le Parlement, source de tous les pouvoirs.
 
Du fait de la...