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À La Une - Opinion

Petits plaisirs défendus

Régler les problèmes du Liban à coups de batte de baseball...

C’est le jour de Noël. Je cours vers le sapin, et elle est là. Elle m’attend. Fine, grande, élancée. Posée quand elle n’est pas couchée. Droite sans être carrée. Brillante sans être prétentieuse. Fière sans être arrogante. Ambitieuse sans être envieuse. Dure tout en étant juste. Avec ses reflets châtains et son regard brillant, si elle pouvait parler, je sais qu’elle serait drôle. Elle a toutes les qualités. Ma batte de base-ball.
C’est le jour de Noël. J’ai donc reçu une batte de base-ball, et j’ai fait don de mes scrupules. Je me rase en souriant. Je chante en m’habillant. Je porte mon plus joli costume. Je salue le miroir, elle approuve du haut de mon épaule. Au volant, comme il est impossible d’avancer, je jubile. Enfin !
Je sors de ma voiture et tape sur tout ce qui bouge. C’est une basse-cour, un cirque, un embouteillage. Des vieux, des femmes, des enfants. Coupables ou innocents, je tape. On discutera plus tard. Il faut avancer, il faut que cet embouteillage se dilue. Il faut que cette brume se dissipe. Tout stagne, ça fait un moment. Je fais du surplace sur une place que je n’aime pas. Et je tape. Un vieux qui demande des indications au milieu de la grande rue. Un taxi qui insiste pour convaincre le passager hésitant. Une femme en 4x4 qui se gare en textant. Un petit jeune qui se gare en double file en prenant la peine de mettre ses feux de détresse. Je tape. Cette bande d’étudiants en plein sur mon chemin par manque de trottoirs. Je tape. Le sans-gêne en sens interdit parce que le flic fait la sieste. Le flic qui fait la sieste pendant que je tape, parce que son salaire est misérable. Je tape, je tape, je tape. Tout ce qui bouge. Tout ce qui ronfle. Tout ce qui est à portée de batte.
Elle remonte en moi, cette excitation bestiale que je ressens quand je me mets au volant. Cette transformation en Mister Hyde qui se produit lorsque je lis dans les journaux les nouvelles cycliques d’un Liban sclérosé. Cette frustration face aux sables mouvants où s’enlise un pays tout entier. Et je la serre, ma batte. Elle seule me comprend. Ce matin, elle se cramponne à mes doigts. Elle m’encourage, et je tape droit.
Balayé, le convoi qui normalement me marche dessus. Écrasé, le garde du corps au QI négatif et à l’ego débordant. Humilié, ce voiturier insolent qui s’approprie une rue pour y abîmer les voitures qu’on lui confie. Pressé, le piéton qui piétine. Carbonisé, le feu qui est mal réglé et que d’habitude je respecte. Concassé, le bus qui fait la course à l’autre bus. Le camion qui double sur la route de Damas. Je tape. Et puis, tant que j’y suis, les riches, les pauvres, le système, la sécurité de l’emploi, la société de consommation. Le yoga, la chirurgie esthétique et les masques. Les priorités faussées par la cupidité, l’ignorance et l’oubli. D’un coup de batte, je fais le ménage. Rien à recycler. On est tellement mal, qu’il serait bien plus simple de tout recommencer. Et je me vois à la tête d’une nouvelle nation. Une société non individualiste. Un système où tous les êtres humains naîtraient égaux. Un système ou la bassesse humaine est dénigrée. Un orchestre sans chef d’orchestre. Une civilisation symbiotique.
Une foule m’acclame, une chorale loue mes vertus.
C’est l’interphone : dans ma rue il m’est impossible de me garer, et c’est les voisins que j’ai bloqués.


C’est le jour de Noël. Je cours vers le sapin, et elle est là. Elle m’attend. Fine, grande, élancée. Posée quand elle n’est pas couchée. Droite sans être carrée. Brillante sans être prétentieuse. Fière sans être arrogante. Ambitieuse sans être envieuse. Dure tout en étant juste. Avec ses reflets châtains et son regard brillant, si elle pouvait parler, je sais qu’elle serait...

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