Il faut parcourir cinq kilomètres pour passer du premier poste frontalier libanais au deuxième à Macharih el-Qaa, zone située entre le Hermel et la Békaa, mais la frontière officielle, pour entrer en Syrie, est fermée du côté syrien depuis le mois d’août dernier.
Et pourtant, on a l’impression, quand on arrive au premier poste frontalier, que la route est grande ouverte jusqu’à la Syrie. Les membres de la Sûreté générale postés au barrage vous mettent en garde : « Ne dépassez pas le dernier barrage de militaires libanais. Ne vous approchez pas trop près de la frontière. Vous essuierez des tirs venus du côté syrien. »
Macharih el-Qah dépend de la municipalité de Qaa, localité exclusivement chrétienne de la Békaa. Mais les terrains de la zone appartiennent à des personnes originaires de toutes les localités des alentours. Comme son nom l’indique en arabe, Macharih el-Qaa, ce qui veut dire en français « les projets de Qaa », représente des zones agricoles prises en charge par les habitants de toute la région.
La localité présente aussi des habitations, notamment à la frontière avec la Syrie.
Ces maisons sont actuellement vides, leurs habitants ayant fui à deux kilomètres plus loin, en territoire libanais. Et cela à cause de l’armée syrienne qui pilonnait constamment la zone. Aujourd’hui, le pilonnage s’est arrêté, mais presque à chaque tombée de nuit, les habitants entendent des coups de feu et préfèrent rentrer chez eux. Sait-on jamais...
« Il y a 20 jours, ma sœur, âgée de 27 ans, a été blessée au dos par une balle syrienne, tirée de l’autre côté de la frontière. Elle ne pourra plus jamais marcher. Elle était dans un terrain agricole et puis les tirs ont commencé. Elle courait pour monter avec son mari dans la camionnette. Les soldats l’on visée au dos. Un enfant de dix ans est mort il y a un mois », indique Jamilé.
Jamilé et Khawla sont toutes les deux Libanaises. Elles ont quitté leurs maisons situées à quelques mètres de la frontière libano-syrienne, l’été dernier, pour s’installer deux kilomètres plus loin.
Khawla raconte : « L’armée syrienne nous bombardait presque tous les jours, c’était devenu intenable. Nous avons décidé de partir. Depuis l’été dernier, je n’ai plus remis les pieds chez moi. Nous avons loué une petite maison ici. J’y vis avec mon mari et mes enfants célibataires ainsi qu’avec mes deux fils mariés, mes belles-filles et leurs enfants. Ce n’est pas facile mais nous n’avons pas les moyens de louer plus qu’une maison. »
« Macharih el-Qaa » abrite également des réfugiés syriens. Certains d’entre eux sont originaires de la localité syrienne de Kousseir, alors que d’autres habitaient tous, comme les Libanais déplacés, à quelques mètres de la frontière... mais de l’autre côté.
Selon le dernier bilan du HCR, le nombre de réfugiés syriens au Liban s’élève aujourd’hui à 300 000. Mais ces chiffres doivent être inévitablement revus à la hausse, car les réfugiés syriens riches ne sont pas enregistrés et les moins nantis arrivent par milliers au Liban. Leur nombre progresse si rapidement que les ONG et les organisations internationales ne peuvent pas suivre la cadence.
Campements champignons
Partout dans la Békaa on compte des camps champignons, c’est-à-dire des campements de réfugiés syriens qui grossissent avec le temps qui passe.
À Ali Nahri, non loin de Baableck, un campement champignon regroupe 100 adultes mais il faut aussi compter en moyenne huit mineurs par famille.
Ici, personne n’a encore été enregistré auprès des organisations internationales. Des tentes ont poussé dans ce terrain vague. « Chaque mois, nous payons au propriétaire 150 000 livres par tente, 20 000 livres pour l’eau et 15 000 pour l’électricité », indique Assem, venu avec sa famille de neuf enfants, il y a deux mois, de Kfarzeit, un village du district de Hama.
Assem, comme d’autres réfugiés du camp, racontent qu’il a de la famille qui a fui en Jordanie et en Turquie ainsi que dans des camps de réfugiés à l’intérieur de la Syrie.
Ici, les enfants ne vont pas à l’école. Ils marchent pieds nus dans la boue et entre des pousses d’oignons verts que les réfugiés ont planté et qu’ils mangent dans du pain qu’ils cuisent eux-mêmes. On voit des femmes transportant l’eau d’un réservoir en plastique placé à l’entrée du campement, alors que d’autres font cuire du pain, assises par terre.
« Nous n’avons pas les moyens d’envoyer nos fils à l’école », souligne Assem de Deir ez-Zor, expliquant que dans son village, les garçons suivent des cours jusqu’à l’âge de douze ans, alors que le trois quarts des petites filles restent à la maison.
Ces réfugiés qui vivent dans le dénuement le plus total actuellement au Liban viennent de villages très pauvres en Syrie.
Hana’, qui veut rentrer dans son pays au plus tôt, parle du froid, surtout celui du mois dernier. « C’était intenable, mais regardez, nous avons rassemblé de vielles branches et nous parvenons à nous chauffer », dit-elle.
Nidal, lui, a quatre enfants. Il est originaire d’Idleb. Il n’est plus rentré chez lui depuis un an. « Avant les événements en Syrie, j’étais journalier au Liban. Et puis, les réfugiés ont commencé à affluer. Il n’y a désormais plus du boulot pour tout le monde. Je travaille un jour sur quatre. Souvent, je n’ai pas les moyens d’acheter de quoi manger à ma famille. Comment fait-on ? Certains nous aident. Regardez le barrage de l’armée libanaise là-bas, les soldats nous donnent ce qui reste de leur repas. Mais il n’y a pas de quoi nourrir tout le monde. Cela suffit à trois familles », dit-il.
Jawaher est du village de Rakka dans la région d’Alep. Cela fait huit mois qu’elle est au Liban avec sa famille, dont sept enfants. « Nous partageons une tente avec une autre famille. Il y a quelques jours, mon mari a construit la charpente d’une nouvelle tente », dit-elle montrant des poutres « mais nous n’avons pas trouvé des bâches pour couvrir les planches de bois ».
Selon l’Unicef, « les réfugiés syriens qui arrivent au Liban n’ont aucun recours ni au niveau étatique ni au niveau des organisations internationales, d’où la grande difficulté d’arriver et de faire parvenir des aides à tout le monde. Ce problème ne se pose pas en Turquie et en Jordanie qui accueillent également des réfugiés. Beaucoup de personnes ne sont donc pas enregistrées et ne reçoivent pas d’aide. De jour en jour, les camps champignons changent de visage, le nombre de réfugiés vivant sous les tentes augmentant très rapidement et ceci pose véritablement problème. Les organisations internationales se trouvent devant un énorme défi à relever ».
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