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Liban - Coups d’épingle

La République ajournée

L’idée est d’abord insinuée, discrètement, subtilement, à intervalles pas trop rapprochés. Elle est ensuite murmurée, glissée insidieusement, l’air de rien, au détour d’une phrase qui voudrait dire ceci ou cela. Puis, sur un rythme ascendant, on la débarrasse des précautions qui l’enveloppent, comme on déchire un emballage, pour finalement l’asséner, aussi saugrenue qu’elle soit, à la face de l’opinion publique comme s’il s’agissait depuis toujours d’une évidence.


Passablement lasse et désorientée, l’opinion ne demande qu’à se laisser manipuler, au point de juger normal tout autant le processus de manipulation que la conclusion à laquelle il débouche.


Voilà plusieurs mois déjà que l’on parle de façon sibylline, dans certains milieux politiques plus que dans d’autres, de l’éventualité d’un ajournement des élections législatives, prévues en juin prochain. Étape après étape, le processus décrit plus haut a été mis en œuvre. Ces derniers jours, il est passé clairement à la vitesse supérieure.

 

(Lire aussi : Loi électorale : dernier sursis pour la sous-commission ?)


Le signal de départ de cette véritable campagne pour le report des législatives – il faut appeler les choses par leur nom – avait été donné par le Hezbollah. Mais celui-ci se contentait jusqu’à tout dernièrement d’évoquer la question à demi-mot. Il comptait manifestement sur certaines « grandes gueules » du CPL, peu familières de la rhétorique raffinée des caciques du Hezb, pour les besoins de la diffusion publique. Jusqu’à ce que le bulldozer du parti de Dieu, Mohammad Raad, se mette lundi de la partie.

« L’accord ou le report », a déclaré en substance M. Raad. Autrement dit, s’il n’y a pas de consensus sur une nouvelle loi électorale, il ne devrait pas y avoir d’élections. La récréation est en quelque sorte finie, semble ainsi dire M. Raad : on s’est bien amusé avec la loi « orthodoxe », le piège a bien fonctionné. Maintenant, le fruit est mûr, passons à l’étape suivante !


Mais comment en est-on arrivé là ? L’argument est des plus simples : la loi en vigueur, c’est-à-dire celle de 1960 revue et corrigée par l’accord de Doha, risque de nous (c’est le 8 Mars qui parle) faire perdre les élections. Il faut donc mener campagne pour tenter de stigmatiser cette loi aux yeux de l’opinion. Et, bien sûr, il ne peut s’agir ici que de l’opinion chrétienne, puisque c’est là et pas ailleurs que se jouent les résultats du scrutin.

 

(Pour mémoire : Pourquoi le projet dit orthodoxe est (franchement) mauvais)


À ce stade, on assiste à un paradoxe : la loi de 1960 devient subitement « antichrétienne ». Il y a moins de cinq ans, le général Michel Aoun s’était pourtant présenté comme le champion de son rétablissement. On se souvient des panneaux publicitaires du CPL se félicitant à cette occasion du « recouvrement des droits » par les chrétiens.


De fait, en raison des évolutions démographiques, on peut considérer que la loi en vigueur n’est plus très bonne pour la représentativité des chrétiens. Mais d’abord, les évolutions démographiques en cause n’ont pas eu lieu ces cinq dernières années ; il s’agit plutôt des cinquante dernières années. En d’autres termes, la loi de 1960 était déjà « mauvaise » en 2008-2009. Ensuite, toutes les autres formules électorales présentées ces derniers mois par le 8 Mars sont encore plus mauvaises, ou pour les chrétiens, ou pour le pays tout entier, et donc pour les chrétiens. Dès lors, lorsque ce camp stigmatise la loi de 1960, ce n’est pas dans le but de mettre en œuvre une formule meilleure pour les chrétiens, les chiites, les sunnites ou les druzes, c’est tout simplement pour suggérer l’impasse et obtenir le report des élections, si possible au milieu de l’indifférence générale.

 

(Pour mémoire : A la recherche d'une parité sans sectarisme)


Mais quelle signification peut-on donner à un report des élections législatives lorsqu’il n’existe pas de circonstances contraignantes justifiant ce report, comme par exemple l’éclatement d’une guerre ? C’est rien de moins qu’un acte d’escroquerie caractérisé que commettraient des parties politiques contre la République, l’État, les institutions, la démocratie et le peuple. Dût-il y avoir un accord entre tous les protagonistes politiques pour décréter un tel ajournement, ils seraient tous complices de cet acte d’escroquerie, de ce crime contre l’État de droit.


Que l’opinion ne soit pas vraiment consciente de cet enjeu-là n’aide évidemment pas à sortir du problème. Nombreux sont ceux qui croient naïvement qu’on devrait pouvoir mettre de côté ces questions politiques abstraites, ces « querelles byzantines » entre politiciens, quitte à se passer d’élections quelquefois, pour s’occuper de choses concrètes, comme l’économie par exemple.


Niaiseries. Comment voudrait-on meubler une maison qu’on n’a pas encore construite ou, pire encore, qu’on s’acharne à détruire ?

 

 

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L’idée est d’abord insinuée, discrètement, subtilement, à intervalles pas trop rapprochés. Elle est ensuite murmurée, glissée insidieusement, l’air de rien, au détour d’une phrase qui voudrait dire ceci ou cela. Puis, sur un rythme ascendant, on la débarrasse des précautions qui l’enveloppent, comme on déchire un emballage, pour finalement l’asséner, aussi saugrenue...

commentaires (3)

Prière lire : ou quel rivage... Merci

SAKR LEBNAN

11 h 25, le 30 janvier 2013

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Commentaires (3)

  • Prière lire : ou quel rivage... Merci

    SAKR LEBNAN

    11 h 25, le 30 janvier 2013

  • Il y a certes ceux qui ne sont pas contents du Taëf et ceux qui en sont pour. Que faut-il faire dans un pays ou le consensus est la règle ? Faudrait-il détruire le pays, l'abandonner à l'anarchie et au chaos, ou se rasseoir autour d'une table ronde, ou ovale peu importe, et DIALOGUER de TOUT, OUI ou NON ? Quand je dis TOUT, j'entends TOUT ! Trop de solutions existent. L'Unité formelle, mais aussi l'Unité des Cantons ou de toute autre forme et solution viable pour garder le pays UNI. Ne jouez plus à l'autruche... Commencez le Dialogue pour que toutes les cartes s'ouvrent au grand jour. Qu'on sache où on va... vers quel récif ou quelle rivage on navigue...

    SAKR LEBNAN

    06 h 35, le 30 janvier 2013

  • Ainsi en est-il de l'idée "d'un congrés national fondateur" lancée il y a quelque temps par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et reprise dans son dernier discours sous les termes de "révision fondatrice" ! Il s'agit tout simplement de révision destructrice des fondements de cette république, tant malmenée à droite et à gauche par des aventures et des aventuriers !

    Halim Abou Chacra

    03 h 43, le 30 janvier 2013

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