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À La Une - L’analyse

Pourquoi le projet dit orthodoxe est (franchement) mauvais

Le mieux est l’ennemi du bien, dit le bon sens commun. Dans la partie de bras de fer engagée par les grandes formations chrétiennes pour rétablir la parité totale avec les musulmans et corriger la représentation politique chrétienne, la proposition de loi électorale avancée par un certain nombre de personnalités regroupées sous le label du Rassemblement orthodoxe fait figure, en effet, d’ennemie du bien.


Devenue un brûlot qui secoue la classe politique libanaise et menace de brouiller toutes les cartes, cette proposition présente la particularité de rectifier de manière parfaite le déséquilibre électoral chronique dont souffrent les chrétiens depuis des lustres. En effet, en vertu de ce système, les électeurs de chaque communauté sont appelés à voter exclusivement pour les candidats membres de leurs communautés respectives, dans le cadre de la circonscription unique et du mode proportionnel. De ce fait, le scrutin législatif déboucherait automatiquement sur l’élection de 64 députés chrétiens par des électeurs chrétiens et de 64 députés musulmans par des votants musulmans. La parité réelle serait ainsi assurée, ce qui est conforme, serait-on tenté de dire, à l’esprit et à la lettre de Taëf.


Le problème est que, justement, la correction opérée par cette formule est trop parfaite, trop extrême, à un point tel que sa conformité avec la Constitution et le système politique libanais tout entier s’en trouve mise en question. Et, au final, une telle formule serait d’autant plus intempestive que le rééquilibrage électoral en faveur des chrétiens est réalisable par d’autres voies, moins radicales et qui ne transgressent pas la frontière que le législateur a plus ou moins fixée au système confessionnel libanais. Car cette frontière existe, elle est latente dans toute la philosophie à l’origine du système et de la vie politique au Liban.


Les fondateurs de la République libanaise, tout autant que les signataires des accords de Taëf, ont clairement voulu instituer une démocratie parlementaire, dans le plein sens du terme, mais une démocratie parlementaire qui s’autorise un certain nombre d’exceptions pour être mieux adaptée aux réalités de la société libanaise. Le fait que ces exceptions soient jusqu’ici mal définies ou qu’elles fassent l’objet d’interprétations diverses et de tiraillements politiques ne permet pas d’inverser la donne et de faire de l’exception la règle. Or c’est à cela qu’aboutirait clairement, sur le plan institutionnel, le projet dit orthodoxe.


Il instituerait, de facto, une sorte de fédéralisme communautaire d’autant plus étranger à l’esprit du Pacte et de la Constitution qu’il n’est pas d’ordre géographique, alors même que Taëf a consacré l’aspiration des Libanais à une décentralisation géographique poussée, qui attend encore de voir le jour.


En tout état de cause, il convient de rappeler qu’une loi électorale n’est qu’une loi ordinaire et qu’à ce titre, elle n’a nullement vocation à modifier le système politique d’un pays. Or en raison des griefs, légitimes ou pas, accumulés à l’égard du système libanais et, d’autre part, de la réelle difficulté, dans le contexte politique actuel, de s’atteler à un chantier institutionnel par le haut, de nombreux partis politiques, leaders d’opinion et politologues libanais ont tenté, ces vingt dernières années, d’entrer par la petite porte de la loi électorale pour « rectifier » ce qui à leurs yeux est mauvais dans le système politique.


Le constat qui s’impose est que toutes ces tentatives, qui ne se limitent guère à entraîner quelques amendements constitutionnels, mais touchent parfois aux fondements même du système, se sont révélées d’autant plus stériles qu’elles ont systématiquement conduit au renflouement, en dernière minute, du mode de scrutin en vigueur depuis presque toujours au Liban, duquel tout le monde est légitimement mécontent.


D’autre part, il faut souligner que la question de la justesse de la représentativité confessionnelle n’est qu’un aspect de la loi électorale. Occulter tous les autres à son profit conduirait en pratique à un désastre démocratique certain. Cela reviendrait à sortir la grosse artillerie pour tuer une mouche sur le dos d’un éléphant.


Il en est ainsi, par exemple, de l’introduction de la circonscription unique, ce piège mortel que certains Libanais voudraient étrangement importer d’Israël, seul cas notoire en la matière, aussi bien dans le cadre du projet orthodoxe que dans d’autres formules.


L’État hébreu avait adopté la circonscription unique pour des raisons tout à fait propres à lui et parfaitement étrangères aux réalités libanaises. Parmi ces raisons, l’absence d’histoire et de patrimoine spécifique de chacune des régions de peuplement juif ou encore l’idéologie collectiviste des premiers gouvernements israéliens, peu enclins à favoriser l’émergence de particularismes locaux. Mais il existe une raison politique plus déterminante encore et qui devrait suffire pour dissuader toute velléité d’appliquer ce système au Liban.


La Galilée, dans le nord d’Israël, est une région majoritairement habitée par des Arabes israéliens. Si le pays avait été divisé en circonscriptions petites ou moyennes, cette région aurait été depuis longtemps sous la coupe de formations politiques arabes et le poids général des Arabes à la Knesset aurait été bien plus important qu’il ne l’est. C’est bien pour empêcher cela que les dirigeants juifs israéliens ont préféré fondre le pays en un seul moule, de sorte qu’en dépit de la proportionnelle, les partis arabes se retrouvent entièrement noyés dans la masse.


On le voit, la circonscription unique est une arme terrible au service du nombre. Au Liban, ce serait le coup de grâce pour tous les particularismes et ils ne sont pas seulement d’ordre confessionnel.


Concrètement, s’il rectifie le décalage entre les communautés, le projet « orthodoxe » crée de nouvelles frustrations à l’intérieur de chacune des communautés, avec ou sans proportionnelle. Parce qu’ils sont plus nombreux qu’ailleurs, les maronites du Mont-Liban décideront pour tous les maronites du pays et les sunnites du Nord pour ceux de Beyrouth, de Saïda et de la Békaa. Et les grecs-orthodoxes de la capitale, qui sont peut-être plus proches des Beyrouthins des autres confessions que des orthodoxes du Koura et du Akkar devront se plier à la volonté de ces derniers.


Remplacer une frustration par une autre n’a jamais été une bonne solution. Le projet d’Élie Ferzli ne fait pas autre chose.

 

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commentaires (2)

L'auteur de l'article n'a pas expliqué en quoi le projet est mauvais. Il a seulement dit qu'il l'était. Donc il n'a rien dit (écrit).

Daniel Lange

03 h 36, le 11 janvier 2013

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Commentaires (2)

  • L'auteur de l'article n'a pas expliqué en quoi le projet est mauvais. Il a seulement dit qu'il l'était. Donc il n'a rien dit (écrit).

    Daniel Lange

    03 h 36, le 11 janvier 2013

  • Si on avait l'espace que vous avez, on vous aurait expliquer pourquoi ceux qui étaient pour ce projet ne le sont plus et pourquoi ceux qui n'étaient pas POUR le sont aujourd'hui. C'est que le résultat serait : QUI EST QUI ET QUOI !!! En enlevant le matelas, tous seraient à découvert et on verrait qui a CHAUD et qui a FROID...

    SAKR LEBNAN

    01 h 28, le 11 janvier 2013

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