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Culture - Exposition

Abstrait, mais pas tout à fait

Couleurs, coulures, en acrylique sur toile du pinceau de Rana Raouda, se réunissent en une courte rétrospective à la galerie Art on 56th, l’occasion de repenser l’abstrait.

Les toiles de Rana Raouda dans le cadre raffiné de la galerie Art on 56th.

C’est une expérimentation intéressante : affronter l’abstrait. Ce qui l’est encore plus est de le rencontrer en se posant des questions-clés. La peinture est-elle nécessairement expressive ? Ésotérique au premier abord, l’abstrait a cela de spécial qu’il dégage une atmosphère particulière à chaque artiste. Chacun, en effet, aura sa technique de peinture, son rendu, son idée d’esthétique, qui donnera une cohérence à l’accrochage. Une fois appréciée l’ambiance, il faut aimer chaque toile, mais surtout la comprendre.
Dans le monde aseptisé de Rana Raouda, l’on se sent bien, c’est certain. L’air est feutré et calme. Les toiles sobres, sans cadre, aux couleurs chaudes mais tamisées, donnent le confort moderne d’un bel appartement. Les lignes courbes confirment cette sensation d’un art tempéré et rasséréné. Sur une toile colorée, la peinture coule sereinement des larges pinceaux, diluée suffisamment pour laisser la couleur vivre de sa transparence, de ces chemins tortueux qu’elle se fraie sur la toile.
De cette délicatesse luxueuse naissent des toiles, bien sûr abstraites, mais avec un fond d’expressivité que le titre permet systématiquement d’interpréter avec justesse ou subjectivité. Reste que certaines toiles ne feront pas discussion, on retrouve bien les formes découpées des roches du Sinaï sur la toile du même nom, on retrouve les hauts conifères de « la forêt enchantée », pour se glisser un instant dans le décor des contes bavarois, teintés de ce rouge sanguinolent, oiseau de mauvais augure.
Abstrait donc, pas tout à fait cependant. Ces toiles en guise d’intermède raccrochent le figuratif convaincu aux valeurs qui le bercent. Reste qu’il est parmi les toiles de Rana Raouda des toiles bien moins figuratives, mais pour sûr, expressives. Ces travaux-là qui n’ont pas d’âge, peints il y a cinq ans ou cinq mois, Blue Velvet ou Carmin, savent séduire. Par ses formes en ombres chinoises, issues, on ne sait trop, du hasard de la coulure ou d’un coup de pinceau avisé, Blue Velvet fait naître, dans des teintes si bien nuancées de bleu, deux silhouettes semblant se tourner le dos, du haut de leur superbe. La toile saisit alors une expression parfaitement réfléchie du déchirement.
Quelqu’un d’autre le verra-t-il de la même façon ? Comment savoir. Mais la toile a fait son effet, a donné son expression, comme un rictus ambigu, que son interlocuteur doit interpréter, recevoir, ou ignorer. Cette exposition des travaux de Rana Raouda de ces quelques dernières années (une toile est de 1999, mais la plupart sont bien plus récentes) met donc à l’épreuve notre capacité à saisir l’abstrait, en nous prenant par la main face à certaines œuvres. L’abstraction, cet aspect de l’art encore difficile à appréhender, polymorphe, parfois irritant, trouve donc ici un ambassadeur de choix, qu’un inconditionnel du figuratif pourra aussi apprécier.
L’artiste, libanaise en exil, peut donc être satisfaite du succès de cet accrochage, qui suit son style : sage, relaxé, au sein d’une belle et spacieuse galerie au cœur de Gemmayzé. C’est pour Rana Raouda plus un plaisir qu’une consécration, vu son lourd passif de prix et d’exposition, mais un succès s’apprécie à sa mesure, et celui-ci n’est pas à négliger. Jusqu’au 29 décembre.
C’est une expérimentation intéressante : affronter l’abstrait. Ce qui l’est encore plus est de le rencontrer en se posant des questions-clés. La peinture est-elle nécessairement expressive ? Ésotérique au premier abord, l’abstrait a cela de spécial qu’il dégage une atmosphère particulière à chaque artiste. Chacun, en effet, aura sa technique de peinture, son rendu, son idée...

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