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Culture - Art conceptuel

À la recherche des œuvres disparues

Exposer le vide, ou presque. Tel est le défi culotté assumé par Walid Sadek pour marquer l’inauguration de Tanit Beyrouth où trois œuvres minimalistes sont exposées. Ou peut-être quatre, en comptant la galerie elle-même.

Minimalisme dans un espace éclatant de blancheur.

«Circulez, y a rien à voir. Ou si peu», aurait pu s’intituler cette exposition inaugurale de la galerie Tanit –
Beyrouth.
Avec les 500 m² d’espace, les 4 mètres de hauteur du plafond, les murs blancs, nus, le sol en ciment brut, les grosses colonnes, la grande baie vitrée... l’installation de Walid Sadek, «On the Labour of Missing» (sur le travail du manque), pourrait passer «missing» ou inaperçue. C’est ce qui est d’ailleurs arrivé le soir du vernissage où les visiteurs passaient devant les indices (comment appeler autrement les «signes» distillés par Sadek, à la façon d’un petit Poucet de l’intellect) sans les voir, traversaient l’espace d’exposition pour revenir sur leurs pas, à la recherche de œuvres «invisibles» au premier abord.
Car Walid Sadek a tenté ici la représentation du presque rien. Belle manière de marquer sa seconde exposition solo (après le Beirut Art Center) et sa première dans une galerie commerciale (tout en nous avertissant qu’il ne s’engage pas pour autant à rallier l’écurie Tanit). Comme l’indique son titre, il ne s’agit pas de l’exposition du vide, mais plutôt «de l’absence». À ce sujet, l’artiste écrivait récemment dans un de ses essais bien denses : « L’absence n’est pas seulement la non-présence d’un être disparu devant être remplie par le retour du disparu. »
Ce groupe d’œuvres tente donc de donner corps à l’absence qui ne peut être niée « par la substitution d’une présence ni contournée par l’espoir d’un éventuel retour ».
«Le travail de l’absence est une tentative de théoriser ce que les survivants doivent accomplir pour maintenir le présent forcément disparu, même s’il est absent de façon tangible. Leur travail enterre le disparu dans ce présent prolongé. C’est pour cela que je ne considère pas l’absence comme un intermède entre la disparition et la réapparition », réaffirme l’artiste. Comme il l’explique, les disparitions forcées pendant la guerre civile au Liban ne peuvent être réduites à de simples notions théoriques de présence en négatif.

La pièce manquante
Plus ou moins liée à l’art conceptuel et au système d’exposition classique, «On the Labour of Missing » donne à voir une légende de type muséale, mentionnant une pièce manquante: Le violoniste à la fenêtre d’Henri Matisse. En vis-à-vis, un gros bloc de béton rectangulaire gris. Un dessin en contrebas d’un mur, représentant le signe graphique de la mer, un tracé de flots.
La relation entre le bloc rectangulaire et la légende de l’œuvre absente initie à cette fameuse expérience de l’absence, une préoccupation qui sous-tend tout le travail artistique et littéraire de Sadek, lequel invite à une critique politique de la présence comme «fétiche des idéologies dominantes qui s’expriment dans cette période prolongée de l’après-guerre civile au Liban».
Toutes ces propositions ont en commun de s’attaquer à la matérialité de l’objet, à son aura et à son autonomie. Elles discréditent le visible autant qu’elles pointent en un geste conquérant, gonflé de sous-entendus théoriques, de nouveaux territoires d’opération de l’art: le langage, le flux, le geste, le contexte, l’espace d’exposition. Une exposition de l’espace lui-même par un artiste qui pense l’art et élabore des idées là-dessus.
On l’aura deviné, on assiste avec Walid Sadek à une progressive opération de dématérialisation. La forme disparaît au profit de l’analyse. Et de manière plus extensive, au profit de l’idée, du signe, du geste, de l’acte. Bientôt, il pourra se passer de l’œuvre et de sa réalisation. On peut se passer de la voir.
«Dans l’art conceptuel, c’est l’idée ou le concept qui est plus important que l’œuvre, expliquait l’artiste américain Sol Le Witt en 1969. Le projet et tous les choix sont pensés à l’avance et la réalisation n’est plus qu’une formalité.» Et l’exposition de Tanit signale cette immatérialité-là. Celle des documents, celle du langage, du projet et des supports qui l’accompagnent.
«Rien, c’est déjà beaucoup », chantait Gainsbourg en 1964, sept ans après l’exposition du vide par Yves Klein. Un vide dont on trouve un écho philosophique ici. Un vide s’adressant aux yeux de l’âme ou à ceux de l’esprit. Après Sadek, la galerie Tanit expose les œuvres de Kimiko, une artiste japonaise résidant en France.

* Jusqu’au 22 décembre. Mar Mikhaël, juste après l’EDL, imm. East village, Tél. 03/257805 ou 70/910523. Du lundi au vendredi, de 11h à 19h, samedi de 12h à 17h.
«Circulez, y a rien à voir. Ou si peu», aurait pu s’intituler cette exposition inaugurale de la galerie Tanit – Beyrouth. Avec les 500 m² d’espace, les 4 mètres de hauteur du plafond, les murs blancs, nus, le sol en ciment brut, les grosses colonnes, la grande baie vitrée... l’installation de Walid Sadek, «On the Labour of Missing» (sur le travail du manque), pourrait passer...
commentaires (2)

Vous avez raison de dire :"Bientôt, il pourra se passer de l’œuvre et de sa réalisation. On peut se passer de la voir."...aussi ! On veut a tout prix intellectualiser l'art graphique en l'eliminant... On veut eliminer les sentiments et les sensations au profit de la pensee pure... Pourquoi ? A quoi ca sert ? C'est la preuve formelle de la sterilite artistique.

Gerard Avedissian

06 h 49, le 11 décembre 2012

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Commentaires (2)

  • Vous avez raison de dire :"Bientôt, il pourra se passer de l’œuvre et de sa réalisation. On peut se passer de la voir."...aussi ! On veut a tout prix intellectualiser l'art graphique en l'eliminant... On veut eliminer les sentiments et les sensations au profit de la pensee pure... Pourquoi ? A quoi ca sert ? C'est la preuve formelle de la sterilite artistique.

    Gerard Avedissian

    06 h 49, le 11 décembre 2012

  • Le VIDE des portefeuilles, couplé à l'INSÉCURITÉ, appelle le VIDE profond qui s'installe lentement un peu partout...

    SAKR LEBNAN

    03 h 23, le 11 décembre 2012

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