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À La Une - Élection présidentielle

Chavez, ou le paradoxe érigé en diplomatie

Le chef de l’État sortant a rendu le Venezuela moins inégalitaire sur le plan social, mais le pays doit encore affronter des défis majeurs, et la politique étrangère ne doit plus pâtir de l’ambiguïté.

Au pouvoir depuis treize ans et atteint d’un cancer qu’il assure cependant avoir totalement vaincu, le président du Venezuela, Hugo Chavez (58 ans), brigue un troisième mandat à la tête du pays. Face à lui se dresse Henrique Capriles, un quadragénaire à l’allure juvénile qui a réussi la prouesse de rassembler derrière lui une opposition jusqu’alors divisée. La majorité des sondages donne le président sortant en tête des intentions de vote ; mais pour la première fois depuis son accession au pouvoir en 1999, un nouveau mandat de six ans est loin de lui être acquis car son rival n’a cessé de grignoter son retard au fil des semaines. Deux instituts ont même placé M. Capriles devant M. Chavez. L’enjeu de cette présidentielle dépasse en outre la seule scène vénézuélienne. En effet, fort de sa manne pétrolière, Caracas constitue un soutien politique et financier de poids pour plusieurs pays de la région comme l’Équateur ou Cuba. Une défaite de M. Chavez, ou la détérioration de son état de santé et éventuellement son décès, signifieraient pour eux la perte de cet appui crucial.

Un constat nuancé
Au cours des années Chavez, la diplomatie vénézuélienne a été empreinte d’ambiguïté, notamment dans les relations avec Washington. Alors que le président vénézuélien sortant est un fervent pourfendeur de « l’impérialisme » des États-Unis, les relations économiques entre Caracas et Washington sont fortement privilégiées. « Il existe un paradoxe qui caractérise le Venezuela de Chavez dès le début : la rhétorique socialisante (qui s’accentue) et l’insertion dans le marché, la propriété privée qui se porte bien », estime Julien Rebotier, chercheur au CNRS. « Malgré l’ingérence politique des États-Unis à différents moments de l’histoire récente du pays, les liens (économiques) perdurent et Washington reste le premier partenaire. Même si le Venezuela a diminué sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, allant chercher des partenaires économiques essentiellement au Brésil, en Chine et en Inde », poursuit M. Rebotier.
Pour Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS, il n’y a pas de réelle explication à cette dualité. « C’est plutôt un constat, qui reste nuancé toutefois. Il faut remarquer que le discours anti-impérialiste de Chavez était plus virulent sous l’ère Bush que sous l’administration Obama », dit-il. L’expert assure ainsi que les discours belliqueux de Hugo Chavez envers les États-Unis ont plutôt une vocation idéologique locale et sont donc destinés à la seule opinion publique vénézuélienne. « Quant aux relations économiques privilégiées, elles tiennent au fait que les intérêts pétroliers en jeu sont énormes et pèsent lourd dans la balance, pour Caracas comme pour Washington », affirme M. Kourliandsky. Selon lui, les discours de Chavez viseraient aussi à créer une fausse tension sur le marché du pétrole afin de maintenir les prix élevés.

Despote ? Vous avez-dit despote ?
Cette rhétorique véhémente du président vénézuélien a néanmoins contribué à donner de lui une image de dictateur dans le monde occidental. Tout comme le fait qu’il ait régné sur son pays d’une main de fer. « Faux », juge Julien Rebotier. « Après un coup d’État, des semaines de grèves patronales, des agitations de rue (les guarimbas de février 2004), je ne vois pas où se placent le règne d’une main de fer et le despote », estime l’expert du CNRS, ajoutant : « Les Vénézuéliens admirent Hugo Chavez, mais on n’a pas des scores irakiens tout de même ! Et les réponses aux urgences sociales (alimentation, éducation, santé) expliquent une bonne partie de sa popularité. » « L’opposition reste active et très manifeste au cours des scrutins. Un référendum a été perdu et les dernières élections législatives ont été considérées comme défavorables au chavisme. Tous les résultats ont été acceptés », affirme encore M. Rebotier.
Même son de cloche chez Jean-Jacques Kourliandsky : « Chavez n’est pas un dictateur. » « Il y a toutefois effectivement un abus dans la manière de dépenser l’argent du pétrole. Même l’opposition ne conteste pas la transparence des élections. Elle conteste cependant les moyens utilisés par Chavez pour se maintenir au pouvoir. Il dispose à sa guise de l’appareil gouvernemental et exploite les gros moyens financiers de l’État, alors que l’opposition ne possède pas ces mêmes moyens. Cela crée donc une situation de déséquilibre institutionnel entre le pouvoir et l’opposition. Ce qui n’empêche pas une éventuelle victoire de cette dernière aux élections », déclare l’analyste de l’IRIS, estimant par ailleurs : « Et même si elle ne gagne pas, pour la première fois l’opposition est unie en dépit du caractère hétéroclite des partis qui la forment. Pour la première fois, il y aura face à Chavez une véritable opposition, une force importante. »

Atout et faiblesse
à la fois
M. Kourliandsky poursuit sur sa lancée : « Chavez a un problème, son atout est en même temps son point faible. » Le président sortant a certes rendu le Venezuela moins inégalitaire au niveau social grâce aux revenus du pétrole, mais le pays doit encore affronter des défis majeurs : violence endémique, manque de logements, fragilisation de l’entreprise privée, corruption, dysfonctionnements de l’appareil judiciaire, gaspillage des ressources pétrolières. « La politique sociale de Chavez a été positive, mais un point négatif vient ternir ce programme. La situation économique du pays n’est pas meilleure qu’avant son avènement », juge l’expert. « Le Venezuela est un État monopétrolier (qui n’a pas d’autres secteurs d’activité). L’agriculture, qui aurait pu servir à nourrir la population, est totalement négligée. L’argent du pétrole, au lieu d’être investi dans des secteurs qui auraient aidé à diversifier et développer l’économie, est dépensé en grande partie en achats agroalimentaires. Il y a une mauvaise gestion et redistribution des richesses. De ce point de vue, on peut parler d’échec économique. S’il est réélu, Chavez est acculé à trouver une solution viable, à développer l’économie tout en maintenant et ne sanctionnant pas sa politique sociale », ajoute-t-il.
« À mon sens, dit Julien Rebotier, le projet politique suivra l’approfondissement d’une révision de la démocratie vénézuélienne (vers la participation, en lieu et place d’une partie de la représentation traditionnelle). Rien ne dit qu’il s’agit d’un bon projet, ni que le chavisme fera mieux que le reste de la démocratie depuis 1958. » L’usure guette, selon le chercheur du CNRS : « Une fois que l’urgence sociale aura trouvé une réponse généralisée, les électeurs vont se lasser et demander plus, ou autre chose. On arrivera donc au stade de réponses structurelles... mais Chavez est bien malade. »

Le fléau de la drogue
Ainsi, pour M. Rebotier, la violence qui ravage le Venezuela est une violence de pauvre dirigée vers les pauvres. Elle est liée au redéploiement des routes d’envoi de drogue, depuis la Colombie, après l’intervention du plan Colombie. Il existe une initiative nationale, une « mission » et une commission (Conarepol) qui a recueilli l’accueil favorable de l’ensemble de la société vénézuélienne, opposition comprise. « Pas de solution miracle, cependant, et à mon sens, pas de programme de lutte magique en perspective », conclut-il. De son côté, M. Kourliandsky estime que la criminalité est intimement liée à deux facteurs : l’économie défaillante et le trafic de stupéfiants. La population est mécontente de la mauvaise gestion de la manne pétrolière et de la faiblesse économique, selon lui, d’où certains épisodes de violentes protestations. Elle réclame ainsi une meilleure redistribution des richesses. D’autre part, affirme le chercheur de l’IRIS, le trafic de drogue est un fléau qui mine toute l’Amérique latine et centrale, pas seulement le Venezuela. « Et qui dit trafic dit corruption. Les polices de toute la région sont ainsi gangrenées. Chavez, comme tous les dirigeants sud-américains, subit cette situation sans pouvoir la maîtriser. Il existe certes des initiatives au niveau régional pour lutter contre le fléau, et plusieurs chefs d’État envisagent même de légaliser les drogues douces, mais il n’existe malheureusement pas de solution miracle », termine M. Kourliandsky.
Au pouvoir depuis treize ans et atteint d’un cancer qu’il assure cependant avoir totalement vaincu, le président du Venezuela, Hugo Chavez (58 ans), brigue un troisième mandat à la tête du pays. Face à lui se dresse Henrique Capriles, un quadragénaire à l’allure juvénile qui a réussi la prouesse de rassembler derrière lui une opposition jusqu’alors divisée. La majorité des...

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