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À La Une - Interview

Milad Doueihi, penseur web et humaniste

Titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université Laval de Québec, le Libanais Milad Doueihi tient la première conférence de l’exposition « Les années Cénacle ».

Historien des religions reconverti au numérique, Milad Doueihi est l’auteur de « La grande conversion numérique » (2008) et de « Pour un humanisme numérique » (2011).

Comment le numérique, qui est un outil, est devenu une culture ?

Il y a plusieurs moyens de définir ce que c’est une culture. Sans entrer dans des débats byzantins, on peut estimer comme Nietzsche que la culture c’est ce qui modifie notre regard à la fois sur le monde et sur notre héritage. Si on prend cette définition, il est évident que du point de vue du patrimoine, du point de vue des archives, qui est en partie en voie de numérisation, il y a une mutation tout à fait importante. Mais également sur notre quotidien, on est en train de vivre d’une manière différente. Les frontières comme le privé et le professionnel sont en train de disparaître grâce ou à cause du numérique.

Le numérique transforme donc nos habitudes. En retour, le corps n’essaie-t-il pas de s’approprier le numérique ?
Absolument. Il y a toute une série d’écoles transhumanistes, par ce qu’on appelle la singularité, qui veulent la convergence entre la technique et l’intelligence humaine. Et c’est le corps qui va porter cette transformation. Ça reste à voir évidemment, mais les premières ébauches commencent à apparaître.

Comment en êtes-vous venu à allier ces deux notions que sont l’humanisme et le numérique ?
Pour moi l’humain est caractérisé par la spatialité, et la manière dont il habite et modifie l’espace. Dans un de ses textes, Claude Lévi-Strauss estime que l’Occident dans son évolution a été marqué par trois moments déterminants, qu’il appelle trois humanismes. L’humanisme premier est celui de la Renaissance qu’il identifie et qualifie comme un humanisme aristocratique, associé à la découverte des textes classiques de l’Antiquité. Le second est celui du XIXe siècle, qu’il qualifie de bourgeois et exotique, lié à la découverte des cultures de l’Asie, donnant lieu à la méthode comparative et du coup à toutes les sciences sociales que l’on connaît aujourd’hui. Et finalement, il y a ce qu’il appelle l’humanisme du XXe siècle, un humanisme démocratique. Démocratique non pas dans le sens politique comme on peut imaginer aujourd’hui, mais qui prend en compte les sociétés traditionnelles qui ont été exclues de l’étude soi-disant scientifique à cause d’un soi-disant irrationnel. Si on regarde ces trois moments, on peut dire qu’ils sont marqués par la manière dont l’Occident a construit son rapport avec les documents. On peut parler d’un quatrième humanisme dans ce sens-là, parce que le numérique modifie notre rapport avec le document, sa nature, et la manière dont on le partage.

Selon vous, les Lumières nous ont laissé un héritage ambivalent. C’était à la fois l’âge d’un idéal de transmission et de partage, mais en même temps les Lumières ont inscrit de manière juridique et économique la figure de l’auteur. Où en est-on aujourd’hui ?
On est dans le conflit pur et simple. On a des héritiers classiques de la dimension économique et juridique que sont les éditeurs pour parler rapidement, qui disent « nous sommes les protecteurs des droits d’auteur ». Et puis il y a un mouvement de l’accès libre et du partage qui ne veut pas non plus oublier la dimension économique. Il faut toujours rémunérer les gens qui travaillent, mais il faut trouver un nouveau modèle.

Vous estimez que l’humanisme numérique change notre rapport à la démocratie. Comment ?
Il y a une transparence qui n’a pas existé auparavant de la même manière. On le voit en Chine, on le voit dans le monde arabe. Ça change le rapport du citoyen avec le pouvoir politique. Mais au-delà, il y a une dimension de la citoyenneté elle-même. On est en train de négocier entre l’autochtonie, c’est-à-dire une identité généalogique et territoriale – c’est votre passeport, votre lieu de naissance – et l’identité numérique, qui est floue, ambivalente, qui se déplace d’un lieu à un autre, et qui est soumise à des formes de participation et de reconnaissance. Ça modifie notre rapport avec le politique et les modèles de représentativité.

Comment le numérique, qui est un outil, est devenu une culture ?
Il y a plusieurs moyens de définir ce que c’est une culture. Sans entrer dans des débats byzantins, on peut estimer comme Nietzsche que la culture c’est ce qui modifie notre regard à la fois sur le monde et sur notre héritage. Si on prend cette définition, il est évident que du point de vue du patrimoine, du point de vue...
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