La souffrance et la dignité

Clément KOLOPP

La vidéo ne laisse pas indemne. Intitulée You Will Be Killed, cette œuvre animée fut réalisée en 2006 par Amal Kenawy et son frère Abdel, celui qui lui a «ouvert les yeux» sur l’art.
C’est la violence des images qui les fait se dérouler sous nos yeux, et les images se superposent tout comme s’accumule la souffrance. Le lien est évident, car pour l’artiste «le moyen vient avec l’idée à exprimer». La vidéo s’est donc imposée à elle lorsqu’elle a rencontré ce lieu qui a initié l’œuvre: un hôpital militaire colonial en Égypte, abandonné. Il est le lien de souffrance entre l’être et son environnement.
La vidéo tourne donc autour de cet hôpital, dont des images et des plans parfois griffonnés à la hâte apparaissent, mais aussi autour du propre visage de l’artiste qui devient progressivement la base, le fond de la vidéo.
Un visage blême, éteint, celui d’une femme déjà atteinte d’une leucémie qui l’emporta cet été, à l’âge de 38 ans.
C’est là la force de l’œuvre: un titre osé, choisi par une femme condamnée, qui prête son propre visage pour incarner la souffrance. Mais pas question de personnaliser cette dernière, au contraire: ce n’est qu’un moyen d’expression, entouré de symboles qui apparaissent et disparaissent de l’écran. Les messages sont parfois subliminaux: des rideaux de scène viennent figurer l’éphémère, l’animalité de la souffrance est rappelée.

L’œuvre est complète et impressionne
La vidéo s’accompagne d’une série de peintures qui ont servi à sa réalisation et d’une impression superbe d’une de ses œuvre: un crocodile mordant sa queue, faisant naître une flaque de sang. Ce fantastique détail, faisant l’affiche de l’exposition, mais qui n’apparaît pourtant pas dans la vidéo, est lui aussi plein de sens. Il est la souffrance intérieure, irrésistible, quelle que soit la force de l’être. Il est l’incarnation de la dignité de cette artiste malade mais solide, à l’image du cuir de la peau de l’animal.
L’artiste choque par son recul sur elle-même, d’une placidité monacale, et provoque, comme elle en a l’habitude, avec une petite touche de divination, comme elle en avait déjà fait preuve lorsqu’elle représentait l’Égypte par l’instabilité d’une bonbonne de gaz, il y a de ça quelques années.
L’hommage ne manque donc pas de force, de choc et en fait une pièce tout à fait unique, représentative de cette grande artiste en une courte vie.

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Une exposition visible du lundi au samedi entre 10h et 20h.