Le paysage politique interne reste marqué par la crise syrienne. Mais l’élément nouveau de ces derniers jours est la radicalisation sans précédent de la position du 14 Mars et les revendications inhabituelles contenues dans le mémorandum présenté par le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, au chef de l’État. L’ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdel Karim Ali, a beau déclarer qu’elles n’ont aucune chance d’être adoptées par l’État libanais, cette escalade dans les positions donne malgré tout à réfléchir. D’autant qu’elle coïncide avec la première rencontre entre le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius et l’ancien Premier ministre Saad Hariri. L’idée est de donner l’impression que les revendications exposées dans le mémorandum ont l’aval des chancelleries occidentales, bien que le ministre français des AE ait déclaré qu’il compte rencontrer d’autres personnalités libanaises au fur et à mesure. Toujours est-il qu’au niveau officiel, des contacts ont été aussitôt entrepris pour voir s’il y a un changement dans la position occidentale appuyant la stabilité au Liban.
Des sources gouvernementales estiment en effet que les revendications évoquées dans le mémorandum du 14 Mars constituent une sorte de déclaration de guerre à l’égard du régime syrien, puisque l’expulsion d’un ambassadeur accrédité équivaut à une agression dans les usages diplomatiques. Pour ces sources, si le 14 Mars a le droit d’adopter les positions de son choix à l’égard de la crise syrienne, il ne peut pas demander au gouvernement de suivre le même chemin, surtout que le pays est divisé en deux camps distincts qui veulent, chacun, l’entraîner de son côté. C’est bien pour cette raison que le gouvernement et le président de la République ont lancé la fameuse politique de dissociation à l’égard de la crise syrienne qui vise essentiellement à épargner au Liban un surplus de divisions et des troubles sécuritaires. Cette politique placée sous le signe de la sagesse a obtenu l’aval des Occidentaux, notamment celui des États-Unis et de la France. Or le mémorandum du 14 Mars réclame la fin de cette « neutralité » pour pousser les institutions officielles libanaises à prendre position et à agir en faveur de l’opposition syrienne contre le régime. Le gouvernement – et le pouvoir en général – cherche toutefois à calmer autant que possible le 14 Mars en multipliant les protestations contre la chute d’obus provenant de Syrie sur le territoire libanais. Mais pour l’instant, il n’est pas question d’aller plus loin. Tant les milieux du président de la République que ceux du Premier ministre l’ont réaffirmé pas plus tard qu’hier.
Mais les milieux du 8 Mars ont une autre approche. Pour eux, toute la rhétorique du mémorandum sert en réalité à véhiculer deux points importants : le premier porte sur la décision du 14 Mars de faire chuter l’actuel gouvernement et de le remplacer par un autre « plus neutre » avant les élections législatives du printemps 2013, et le second porte sur le déploiement de la Finul le long de la frontière avec la Syrie. Au sujet du premier point, le 8 Mars est convaincu que l’heure de faire chuter l’actuel gouvernement n’a pas encore sonné. En dépit de ses faiblesses et de ses divisions internes, ce gouvernement assure un minimum de stabilité au Liban et cette stabilité est actuellement voulue aussi bien par l’Occident que par ses adversaires, notamment l’Iran. Le chef du PSP Walid Joumblatt, qui perçoit les humeurs occidentales, l’a bien compris et il n’a pas pour l’instant l’intention d’utiliser son poids au Parlement pour retirer la confiance au gouvernement (la démission de ses trois ministres n’entraînera pas celle du gouvernement, sauf si le Premier ministre décide d’y voir le signal du départ et de présenter à ce moment-là sa démission).
Le 14 Mars a donc du pain sur la planche pour convaincre ses alliés occidentaux de la nécessité d’obtenir le départ du gouvernement, en arguant de la nécessité de neutraliser son rôle dans les prochaines élections. Les milieux du 8 Mars précisent aussi à cet égard que c’est ce camp qui choisira le timing du départ du gouvernement s’il devait avoir lieu et qu’il est conscient du fait que le gouvernement Mikati ne sert pas ses intérêts. Mais son maintien en fonction est nécessaire pour la stabilité du pays.
Par contre, la revendication de déployer la Finul le long de la frontière avec la Syrie est considérée par le Hezbollah comme directement dirigée contre lui, car elle vise le contrôle du passage des armes de la Syrie vers le Liban et non le contraire. Il s’agit, selon le 8 Mars, d’une ancienne revendication, à la base israélienne, qui revient de façon récurrente, sans trouver son chemin au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est en effet cette instance internationale qui décide du mandat de la force internationale, et pour l’instant, il n’y a pas de consensus sur ce sujet. En même temps, il s’agit d’un avertissement indirect adressé à l’armée qui a arrêté à plusieurs reprises des opérations d’envoi d’armes vers la Syrie via le Liban, à travers l’arraisonnement du bateau Loutfallah 2 ou d’autres opérations terrestres.
Si les points figurant dans le mémorandum du 14 Mars ont donc, pour l’instant, peu de chances d’être adoptés, ils marquent en réalité un tournant dans la lutte politique au Liban, puisqu’ils donnent le signal de la fin du statu quoi forcé et le début d’une vaste offensive pour reprendre l’initiative dans le pays.
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