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À La Une - Reportage

Les baskets d’Abou Naïm, jeune révolutionnaire syrien

Pour Abou Naïm, exilé syrien sur le retour, la route qui mène de Paris à Damas passe par Beyrouth. Il y a quelques semaines, ce jeune activiste s’est lancé à l’assaut de la frontière libano-syrienne, quelque part dans la Békaa. Non sans difficultés. Rencontre, à Achrafieh, avec un révolutionnaire en baskets.

Des baskets, les "armes" d'Abou Naïm, jeune révolutionnaire syrien. Photo d'illustration, AFP.

La télévision officielle syrienne à raison : les bandes armées responsables des troubles dans le pays ne reculent vraiment devant aucune perfidie. Prenez Abou Naïm*, par exemple. A première vue, rien n’indique que sous les dehors avenants de cet étudiant syrien de 27 ans, impeccable dans ses vêtements siglés et ses baskets dernier cri, se cache un dangereux "terroriste". A considérer sa chevelure hirsute surmontée d’un casque audio Sony, on jurerait même avoir à faire à un joueur de l’équipe de France de football, la nonchalance en moins.

 

Il ne faut pas se fier aux apparences. Le jeune homme dispose d’une force de frappe bien plus puissante que le secteur offensif des Bleus. "Bien sûr que je suis armé", avoue le jeune mercenaire. "Voila mes armes", poursuit-il en pointant du doigt ses baskets.

Ces chaussures, Abou Naïm ne les quitte presque plus depuis qu’elles lui ont sauvé la vie, il y a tout juste un an. C’était lors d’une manifestation contre le régime, dans le quartier de Mazzé, à Damas. Sans elles, le jeune Syrien n’aurait sans doute pas réussi à échapper à la descente des moukhabarat dans la mosquée du quartier

 

Après cet épisode, Abou Naïm a quitté la Syrie et gagné la France.

 

A Paris, il décroche un master en sciences dures dans une prestigieuse université parisienne. Non loin de la Seine, l’activiste donne aussi de la voix lors des manifestations organisées sur la place du Châtelet. Il participe aux conférences d’opposants, donne des concerts de soutien à la révolution avec quelques amis musiciens et fait même partie d’un réseau bien établi qui achemine du matériel médical en Syrie.

 

L’étudiant n’en tire aucune gloire, même pas un remontant pour ressortissant d’un pays en plongée vers les abysses. Au contraire, Abou Naïm s’enfonce lui aussi chaque jour un peu plus dans la dépression, incapable de digérer son exil qui n’en est pas un, pendant que ses amis se font tuer à Damas.

Pendant six mois, il ne dort presque plus. La faculté lui propose de rempiler pour un doctorat, mais Abou Naïm n’en a cure ; il doit trouver un moyen de rentrer en Syrie. Dont acte : le mémoire de recherche à peine terminé, il achète un billet d’avion pour Beyrouth. Aller simple.

 

C’est peu dire que la capitale libanaise inspire la méfiance aux activistes syriens de tout poil. A raison. Mais Abou Naïm ne connait personne en Turquie et Damas est si proche du Liban. Ses contacts libanais lui ont en outre dégoté un passeur pour le faire entrer clandestinement en Syrie (il ne dira pas où).

 

Le jour où il débarque dans un café branché d’Achrafieh pour raconter son histoire, voilà 48 heures qu’Abou Naïm aurait du traverser la frontière libano-syrienne.

 

Attablé devant un Coca qu’il ne touchera pas, Ramadan oblige, le jeune homme est pris d’un fou rire. Il explique qu’il a déjà échoué deux fois dans sa tentative. Pas de quoi s’esclaffer de prime abord.

"C’est assez marrant quand on y réfléchit, pouffe néanmoins le révolutionnaire. La première fois, j’ai dû rebrousser chemin parce que le passeur m’a demandé une rallonge en cours de route. Et la deuxième fois, je me suis retrouvé pris dans un échange de tirs entre l’armée de Bachar et l’Armée syrienne libre (ASL) en pleine montagne, habillé comme un randonneur du dimanche avec 18 kilos de matériel médical sur le dos et mon accompagnateur qui hurlait +qu’est-ce qu’on fait maintenant+ ?".

 

A chaque fois, Abou Naïm a déboursé près de 200 dollars pour traverser l’Anti-Liban. "Et encore, j’ai mes connexions, assure-t-il, sinon je devrais payer 350 dollars". Pour ce prix-là, les passeurs se transforment en porteurs et empruntent une pente plus douce. Pour les clandestins qui paient moins, le programme prévoit portage de ses propres affaires et "randonnée" au pas de course. Ici, le temps, c’est de l’argent, et le sifflement des balles à un prix. Pour un journaliste étranger, le prix de la traversée peut grimper jusqu’à 1.000 dollars.

 

Pas démoralisé pour un sou après ses échecs successifs, le jeune homme ne peut réprimer son rire. "Le plus drôle, explique-t-il, c’est qu’en redescendant, mon guide m’a demandé de dire à mes contacts que l’échec de l’opération était de ma faute et qu’il n’y était pour rien. Il tenait à garder sa clientèle".

 

Difficile de dire combien de personnes tentent chaque jour la traversée du Liban vers la Syrie. Selon Abou Naïm, les carnets de commandes des passeurs ne désemplissent pas.

 

Jamais deux sans trois. Le jeune révolutionnaire en baskets est finalement parvenu à traverser la frontière syrienne. Pour rejoindre les rangs de l’ASL ?

"Je n’ai pas fait mon service militaire, je ne sais même pas tirer", disait, lors de son passage à Beyrouth, Abou Naïm qui jurait de vouloir servir la cause autrement. Ce qui ne l’avait pas empêché de demander poliment qu’on détruise son numéro de portable libanais, "dès fois que l’ASL chercherait à me joindre".

 

*"Père des cieux", pseudonyme

 

 

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