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Culture

...et de celui de Jean-Christophe Rufin

“... Soit nous saurons bâtir en ce siècle une civilisation commune à laquelle chacun puisse s’identifier, soudée par les mêmes valeurs universelles, guidée par une foi puissante en l’aventure humaine, et enrichie de toutes nos diversités culturelles ; soit nous sombrerons ensemble dans une commune barbarie.”
Ce propos vaut pour le monde mais aussi pour la France et nous sommes fiers que vous puissiez faire entendre cette voix au sein de notre Compagnie. L’Académie a aujourd’hui et aura plus encore demain toute sa place pour incarner et défendre ces valeurs communes dans lesquelles chacun de nos concitoyens doit pouvoir se reconnaître. J’ajoute que votre entrée dans cette Compagnie a aussi le mérite de mettre un terme à ce qui fut sans doute un malentendu. En signant un manifeste qui défendait la création d’une “littérature monde”, vous avez marqué vos distances à l’égard du concept d’écrivain francophone et certains ont pu croire que cette réserve s’adressait à la francophonie, à laquelle nous sommes si unanimement attachés. Vous connaissant mieux, désormais, chacun peut comprendre la nature de votre réserve. Vous avez seulement exprimé le point de vue de quelqu’un à qui la vie a enseigné qu’il faut rejeter toutes les exclusions, tous les ghettos. Or, le concept d’écrivain francophone peut en effet être ressenti comme une manière de tenir à distance de la “vraie” culture française des écrivains nés dans d’autres univers culturels. Pour vous, il n’y a pas de différence à faire et vous militez pour l’emploi du terme “écrivain de langue française”. C’est un concept plus accueillant et, à tous égards, plus juste, dans lequel l’Académie s’est depuis longtemps reconnue en s’ouvrant à des hommes comme Léopold Sédar Senghor, François Cheng ou Hector Bianciotti. On voit que votre objection est loin de remettre en cause la francophonie et que vous en êtes, vous aussi, en tant qu’écrivain de langue française, un des plus ardents défenseurs.
Voilà autant de raisons de nous réjouir de vous compter parmi nous.
Nous espérons qu’en retour, cette Compagnie stimulera votre œuvre et, à cet égard, on peut noter comme un excellent présage le fait que le moment où vous prenez place parmi nous marque aussi votre retour à l’écriture romanesque. Vous n’aviez pas abordé directement jusqu’ici le thème de la guerre du Liban, si dramatique et si proche encore, si ce n’est par le biais d’un livret d’opéra. Avec Les Désorientés, votre nouveau roman, vous avez trouvé la force d’explorer ces mémoires douloureuses et vous nous donnez un véritable War Requiem, pour reprendre le titre de l’œuvre célèbre de Benjamin Britten.
C’est une excellente nouvelle et nous nous en réjouissons …»

« … Il est vrai, Monsieur, que nul n’entre seul ici : les romanciers viennent avec leurs personnages, les historiens avec leur époque favorite, les poètes avec leurs images. Mais rares sont ceux qu’accompagnent comme vous autant de mondes différents, autant de terres et de mémoires. La seule question que l’on puisse se poser, maintenant que nous vous connaissons mieux, est de savoir si, pour vous accueillir, un seul fauteuil suffira. L’idéal, bien sûr, eût été de vous en offrir quarante.
Nos traditions nous conduisent, hélas, à ne vous offrir qu’un seul siège parmi nous. Heureusement, le hasard a voulu que celui qui vous est réservé soit un des plus ouverts sur le monde. Vous ne vous y sentirez pas à l’étroit. Vous qui vouez un culte aux ancêtres, voici que vous en recevez dix-huit de plus en héritage. Parmi eux, vous trouverez Claude Bernard, qui n’aurait pas manqué d’être intéressé par les mystérieuses fèves tueuses de bébés-filles que vous imaginez dans votre roman d’anticipation Le Premier Siècle après Beatrice. Vous y rencontrerez aussi Ernest Renan, si attaché au Proche-Orient et à la Montagne libanaise, où repose d’ailleurs sa sœur Henriette. Et vous serez frappé de découvrir parmi vos prédécesseurs un nombre considérable d’hommes marqués par une extrême curiosité, passionnés comme vous par leurs semblables, d’où qu’ils viennent. Des hommes engagés aussi ; j’allais dire des hommes habitués à se jeter à l’eau, mais ce serait une référence fâcheuse car, en 1635, Pierre Bardin, le premier titulaire de votre fauteuil, s’est précipité dans un étang pour sauver l’homme dont il avait été le précepteur, et il est mort noyé.
Prenez garde, dans vos promenades à l’île d’Yeu, de ne pas suivre son exemple. Sachez que dans la nouvelle famille qui vous reçoit aujourd’hui, nous tenons à vous. Nous vous accueillons tout entier et sans réserve, multiple comme vous l’êtes. Et nous vous disons, avec une affection dont vous serez étonné de découvrir la profondeur : prenez place parmi nous. Entrez ici avec “vos noms, vos langues, vos croyances, vos fureurs, vos égarements, votre encre, votre sang, votre exil”. Devenez dès cet instant l’un des nôtres, mais surtout,
Monsieur,
restez vous-même. »
“... Soit nous saurons bâtir en ce siècle une civilisation commune à laquelle chacun puisse s’identifier, soudée par les mêmes valeurs universelles, guidée par une foi puissante en l’aventure humaine, et enrichie de toutes nos diversités culturelles ; soit nous sombrerons ensemble dans une commune barbarie.”Ce propos vaut pour le monde mais aussi pour la France et nous sommes fiers...

commentaires (5)

Très beau discours prononcé par Jean-Christophe Rufin à l'occasion de l'arrivée du nouvel Académicien venu d'ailleurs. Claude Guéant devrait le lire, lui qui fait figure de traître à la culture de son pays avec sa circulaire.

Robert Malek

09 h 01, le 15 juin 2012

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Commentaires (5)

  • Très beau discours prononcé par Jean-Christophe Rufin à l'occasion de l'arrivée du nouvel Académicien venu d'ailleurs. Claude Guéant devrait le lire, lui qui fait figure de traître à la culture de son pays avec sa circulaire.

    Robert Malek

    09 h 01, le 15 juin 2012

  • Quelle Grandeur, quel Humanisme, quelle Générosité et quelle Simplicité ! Merci Monsieur Jean-Christophe Rufin pour cet acceuil somptueux de la France à ce Citoyen de l'Orient Méditérranéen , à ce fils du Pays du Cèdre, il saura certainement être digne de cet Autel de la Culture française où il siègera désormais, il rendra à la langue de Molière toute la richesse qu'il lui doit et lui apportera aussi, l'expérience d'une longue histoire de cohabitation des cultures et des religions du pays de ses origines. Dommage que si beau discours ne puisse être distribué aux Politiques libanais pour leur montrer combien leurs zizanies et leurs dissensions privent les citoyens de cette République d'un plus grand espace de rayonnement et ses Institutions Etatiques de tellement de Richesse, d'Histoire et de Cohésion...!

    Salim Dahdah

    04 h 35, le 15 juin 2012

  • Le "Monsieur, restez vous-meme" resume a lui seul l'etendue de l'affection et de l'estime que portent a Amin Maalouf les autres membres de l'Academie. Quel sujet de fierte pour nous tous Libanais. Merci M. Maalouf mais aussi merci M. Rufin et un grand merci a tous les membres.

    Fady Challita

    03 h 23, le 15 juin 2012

  • Une erreur en tapant sur le clavier. Excusez. Veuillez lire : Entrez ici avec "vos noms, vos langues, vos croyances, vos fureurs, vos égarements. votre ENCRE, votre sang, votre exil".

    Halim Abou Chacra

    02 h 32, le 15 juin 2012

  • Incroyable le chaleureux accueil de l'Académie française, par les paroles de Jean-Christophe Rufin, à Amin Maalouf ! "Nous vous accueillons tout entier et sans réserve, multiple comme vous l'êtes. Et nous vous disons, avec une affection dont vous serez étonné de découvrir la profondeur : prenez place parmi nous. Entrez ici avec "vos noms, vos langues, vos croyances, vos fureurs, vos égarements, votre encore, votre sang, votre exil". Devenez dès cet instant l'un des nôtres, mais surtout, Monsieur, restez vous-même". Seul l'humanisme français est capable d'une telle générosité.

    Halim Abou Chacra

    21 h 10, le 14 juin 2012

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