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Culture

Extraits du discours d’Amin Maalouf ...

... « Cet accent, vous ne l’entendez pas souvent dans cette enceinte. Ou, pour être précis, vous ne l’entendez plus. Car, vous le savez, ce léger roulement qui, dans la France d’aujourd’hui, tend à disparaître a longtemps été la norme. N’est-ce pas ainsi que s’exprimaient La Bruyère, Racine et Richelieu, Louis XIII et Louis XIV, Mazarin, bien sûr, et avant eux avant l’Académie, Rabelais, Ronsard et Rutebeuf ? Ce roulement ne vous vient donc pas du Liban, il vous en revient. Mes ancêtres ne l’ont pas inventé, ils l’ont seulement conservé, pour l’avoir entendu de la bouche de vos ancêtres, et quelquefois aussi sur la langue de vos prédécesseurs. Qui furent nombreux à nous rendre visite – Volney, Lamartine ou Barrès ; nombreux à consacrer des livres à nos châtelaines, à nos belles étendues sous les cèdres. Permettez-moi de m’arrêter un instant sur l’un de ces Libanais de cœur : Ernest Renan. Renan qui écrivit sa Vie de Jésus aux pieds du Mont-Liban, en six semaines, d’une traite. Renan qui, dans une lettre, avait souhaité qu’on l’enterrât là-bas, près de Byblos, dans le caveau où repose Henriette, sa sœur bien-aimée. Renan qui fut élu en 1878 au 29e fauteuil, fauteuil qui allait être, cent ans plus tard, celui de Lévi-Strauss... »

« ...Si Lévi-Strauss retraverse l’Atlantique avec un pincement au cœur, jamais il ne regrettera de s’être rallié à l’opinion judicieuse de son ami.
Cet ami, je m’en voudrais de ne pas mentionner son nom. Parce que son intervention a été essentielle dans l’itinéraire de votre confrère. Mais également, je l’avoue, pour une autre raison. Il se fait que ce fidèle ami de Lévi-Strauss était aussi un fidèle ami du Liban. Henri Seyrig. En France, il est un peu oublié de nos jours. On se souvient mieux de sa fille, l’émouvante héroïne des films d’Alain Resnais et de François Truffaut, Delphine Seyrig, née à Beyrouth en 1932 et disparue prématurément en 1990. Henri, son père, éminent archéologue, membre de l’institut, avait fait pratiquement toute sa carrière au Liban, son pays adoptif. Dès 1929, il s’y était établi pour diriger le service des antiquités créé par la puissance mandataire ; il l’avait quitté pendant la guerre pour se mettre au service du général de Gaulle, qui l’avait chargé de diverses missions en Amérique latine et lui avait demandé de s’occuper des services culturels de la France combattante aux États-Unis ; à la fin de la guerre, Seyrig était impatient de retrouver le Liban, qui avait entre-temps proclamé son indépendance. Dès qu’il réussit à persuader Lévi-Strauss de le remplacer à New York, il partit fonder à Beyrouth l’Institut français d’archéologie, qu’il allait diriger pendant plus de vingt ans. Même quand André Malraux le nommera en 1960 directeur des Musées de France, il refusera d’abandonner son autre poste, faisant constamment la navette entre les deux pays qu’il aimait.
Henri Seyrig demeure dans la mémoire des Libanais – et même, incidemment, dans celle de mes proches – comme l’archétype de ce qu’il y a de plus noble et de plus généreux en France... »

« ... Notre histoire d’amour se poursuit donc depuis le XVIe siècle... En vérité, ses origines remontent bien plus loin encore. Jacqueline de Romilly froncerait les sourcils si j’omettais de dire que les choses ont commencé avec la Grèce antique ; quand Zeus, déguisé en taureau, s’en fut enlever sur la côte phénicienne, quelque part entre Sidon et Tyr, la princesse Europe, qui allait donner son nom au continent où nous sommes. Le mythe dit aussi que le frère d’Europe, Cadmus, partit à sa recherche, apportant avec lui l’alphabet phénicien, qui devait engendrer l’alphabet grec, de même que les alphabets latin, cyrillique, arabe, hébreu, syriaque et tant d’autres.
Les mythes nous racontent ce dont l’histoire ne se souvient plus. Celui de l’enlèvement d’Europe représente, à sa manière, une reconnaissance de dette la dette culturelle de la Grèce antique envers l’antique Phénicie... »

« Quand on a le privilège d’être reçu au sein d’une famille comme la vôtre, on n’arrive pas les mains vides. Et si on est l’invité levantin que je suis, on arrive même les bras chargés. Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes et, plus que tout peut-être, mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence.
Ces rêves sont aujourd’hui malmenés. Un mur s’élève en Méditerranée entre les univers culturels dont je me réclame. Ce mur, je n’ai pas l’intention de l’enjamber pour passer d’une rive à l’autre. Ce mur de la détestation – entre Européens et Africains, entre Occident et islam, entre Juifs et Arabes –, mon ambition est de le saper et de contribuer à le démolir. Telle a toujours été ma raison de vivre, ma raison d’écrire, et je la poursuivrai au sein de votre compagnie. Sous l’ombre protectrice de nos aînés. Sous le regard lucide de Lévi-Strauss... »
... « Cet accent, vous ne l’entendez pas souvent dans cette enceinte. Ou, pour être précis, vous ne l’entendez plus. Car, vous le savez, ce léger roulement qui, dans la France d’aujourd’hui, tend à disparaître a longtemps été la norme. N’est-ce pas ainsi que s’exprimaient La Bruyère, Racine et Richelieu, Louis XIII et Louis XIV, Mazarin, bien sûr, et avant eux avant...

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L'intégralité du discours de M. Maalouf est disponible depuis jeudi sur notre site à l'adresse suivante http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/category/%C3%80+La+Une/article/763864/Lintegralite_du_discours_dAmin_Maalouf_a_lAcademie_francaise.html

09 h 30, le 15 juin 2012

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Commentaires (2)

  • L'intégralité du discours de M. Maalouf est disponible depuis jeudi sur notre site à l'adresse suivante http://www.lorientlejour.com/category/%C3%80+La+Une/article/category/%C3%80+La+Une/article/763864/Lintegralite_du_discours_dAmin_Maalouf_a_lAcademie_francaise.html

    09 h 30, le 15 juin 2012

  • Vous auriez quand même pu retranscrire ce discours dans son intégralité! Pour LE quotidien francophone, c'est décevant, s'agissant surtout d'un évènement de cette envergure!

    Jocelyne Gemayel

    07 h 31, le 15 juin 2012

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