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À La Une - Crise

Des superconsultants du Hezb parmi les pèlerins enlevés en Syrie ?

Les Libanais enlevés près d’Alep toujours otages ; répercussions négatives du discours de Nasrallah sur leur libération.

Les pèlerins survivants de l’explosion en Irak sont arrivés hier à l’aéroport Rafic Hariri.Mohammad Azakir/AFP

Le rapt des Libanais à Alep est en train de virer au thriller politique. Un pitch d’un nouveau roman, au mieux pour John Le Carré, au pire pour Gérard de Villiers.

 

La dizaine de pèlerins chiites avaient été enlevés le 22 mai dans la province d’Alep alors qu’ils rentraient d’un voyage en Iran sans que personne ne revendique le kidnapping. Aujourd’hui, les questions se bousculent. Sur les personnes qui forment le groupe : véritables pèlerins criminellement pris en otage; membres des brigades hezbollahies 101, 102 et 103, ou un peu des deux ? Sur les ravisseurs : des rebelles au régime d’Assad ou les hommes de ce dernier ? Sur les raisons du rapt : financières, politiques ou purement destinées à punir le parti de Dieu pour ses positions sur la crise en Syrie ?

 

L’option d’une infiltration de ces pèlerins par des tee-shirts noirs du Hezb a été privilégiée hier par le général dissident et chef du Rassemblement des officiers libres. Houssam Awwak a assuré hier, interrogé par la chaîne de télévision LBCI, que cinq hauts responsables du parti de Dieu, dont Hussein Hammoud, sont parmi les otages. Une source bien informée à indiqué à L’Orient-Le Jour que parmi ces cinq personnes, se trouve un dénommé Chouaïb, très bien connu pour servir de lien entre Damas et Téhéran, et pour entraîner les chabbiha syriens. Les accusations du général dissident ont été démenties par le frère de Hussein Hammoud puis par un communiqué très officiel du Hezbollah, qui insiste sur le fait que « ni le neveu de sayyed Nasrallah ni aucun de ses proches ne font partie des otages ».

 

Dadoukhli ?

Le général Hawwak a précisé que le bus transportant les Libanais a attiré l’attention en raison de ses arrêts fréquents devant des postes de l’Armée syrienne libre (ASL) et de certains objets en possession des voyageurs, dont des jumelles. Il avait annoncé jeudi dernier que les ravisseurs appartiennent à la Brigade des martyrs de la révolution « que ne reconnaît pas l’ASL », a précisé que le chef de cette brigade l’a appelé pour lui faire part de ses exigences en contrepartie de la libération des otages et que des négociations sont « en cours » avec les parties libanaises. Quant au secrétaire général du CNS, Nadir el-Hakim, il a évoqué des discussions avec celui qu’il a identifié comme le ravisseur en chef, Ammar al-Dadoukhli, qu’une des otages libérées depuis le premier jour a d’ailleurs reconnu pour l’avoir vu, a-t-elle dit, « à la télévision ».

 

En attendant, le ministère turc des Affaires étrangères a affirmé en milieu de soirée hier que les otages « sont en bonne santé » et qu’ils « ne sont pas loin de la frontière turque » – à « 3 kms », avait relevé la LBCI. Le chef démissionnaire du Conseil national syrien (CNS), Bourhan Ghalioun, a confirmé que les otages sont toujours entre les mains de leurs ravisseurs. « Ce qui est sûr, c’est que les personnes enlevées sont encore en Syrie et n’ont pas été remises en liberté. Le processus s’est arrêté. Les choses ne sont pas claires et il se peut qu’il n’y ait pas de libération dans les prochaines heures. Mais nous savons que les pèlerins vont bien », a-t-il insisté dans une conférence de presse à Istanbul. Il faut dire qu’une agence russe avait presque au même moment annoncé que les otages avaient été exécutés, citant des sources proches des rebelles syriens.

 

Poker pour Ankara

De quoi, naturellement, faire vivre des heures extrêmement difficiles aux familles et aux proches des otages, qui attendent depuis vendredi dans une banlieue sud tout en colère et en anxiété contenues. Les autorités libanaises avaient annoncé dès le lendemain du rapt que le retour des pèlerins était prévu vendredi soir via la Turquie, avant un très clair démenti d’Ankara. Entre-temps, Adnane Mansour jurait ses grands dieux qu’Ahmet Davetoglu lui avait dit que les otages étaient arrivés en Turquie, Marwan Charbel évoquait des problèmes « logistiques » pour justifier le retard, Nagib Mikati annonçait un aller-retour express à Ankara puis l’annulait dans l’heure, et les directions d’Amal et du Hezbollah répétaient aux proches que « tout va bien ». Des proches qui n’ont pas manqué, dans un communiqué publié samedi, de marteler qu’Ankara est « responsable » du retour des otages et que « tout autre propos sera immédiatement rejeté ».

 

Il faut dire que la Turquie, totalement mutique sur le moindre détail, joue dans cette affaire un assez gros coup de poker : prendrait-elle des risques à différents niveaux et finirait-elle par obtenir la libération des otages que la Turquie boosterait significativement sa crédibilité et pourrait même entendre Hassan Nasrallah la remercier très publiquement – un geste politique considérable après les « mercis » qu’il avait adressés vendredi à Saad Hariri. Ce dernier avait dépêché son avion personnel pour rapatrier les chiites du sol turc : un autre geste politique fort à l’heure où les tensions inter et intrasectaires au Liban sont de plus en plus palpables et que le dialogue national exigé la semaine dernière par Michel Sleiman reste fortement hypothéqué.

 

Provocations

Il n’en reste pas moins que Hassan Nasrallah, dans son discours vendredi dernier, semble avoir grandement (et bizarrement) manqué de clairvoyance et de psychologie en affirmant à l’intention des ravisseurs syriens anti-Assad que son parti ne changerait en rien sa position à l’égard du conflit en Syrie. Bourhan Ghalioun, qui n’a pas écarté que le massacre de Houla ait indirectement aggravé le retard dans la libération des pèlerins, a parlé de provocation pure. « C’était une sorte de défi et tout ça s’est répercuté négativement sur le processus de libération », a-t-il relevé, accusant également le régime syrien de vouloir « entraver » l’opération. « Les chiites enlevés sont devenus une carte entre les différentes parties », a jugé l’opposant syrien. D’ailleurs, un des porte-parole des rebelles a indiqué sur la chaîne de télvision al-Arabiya que le régime des Assad et le Hezbollah « sont de mèche » dans cet enlèvement.

 

Les conseils, dans ce contexte, d’une source responsable au sein du pouvoir syrien, rapportés par le site électronique www.nowlebanon.com, n’en ressortent que plus ambigus. Selon cette source, Damas a « conseillé » aux autorités libanaises d’éviter toute « précipitation » et tout optimisme précoce. Et surtout, de ne rien promettre et de ne pas fixer de rendez-vous aux familles, comme s’étaient hâtés de le faire dès vendredi quelques ministres. « La région de Azaz où ces Libanais ont été kidnappés est ouverte sur la Turquie ; elle regorge de tribus et de grands trafiquants, et elle constitue désormais une véritable base pour la soi-disant Armée syrienne libre. Les ravisseurs se cachent derrière les tribus, et ce sont les chefs de ces tribus qui négocient la libération des Libanais. Il faut du temps : ces pourparlers ne se font pas directement et avec plusieurs interlocuteurs », a expliqué ce responsable au sein du pouvoir à Damas.

 

Une leçon ?

Quoi qu’il en soit, cette affaire, dont les Libanais dans leur ensemble ne peuvent espérer qu’un dénouement heureux, devrait servir d’avertissement à tous ceux, au Liban, qui continuent de soutenir la barbarie du régime Assad. Aussi criminel que soit le geste des ravisseurs, et il l’est, l’urgence de voir le 8 Mars en général et le Hezbollah en particulier ne serait-ce que ne plus soutenir en public et à (très) haute voix Damas est de plus en plus forte. Un minimum de décence, mais aussi de bon sens politique l’exige : que feront-ils, tous ces partis, une fois l’inéluctable chute des Assad consommée ? Quelle marge de manœuvre leur restera-t-il ?

 

Il n’empêche, à tout malheur, une (toute relative) bonne chose : cette affaire aura ne serait-ce qu’un minimum dégelé les liens entre 8 et 14 Mars. En souhaitant qu’elle fasse prendre conscience, aussi, à tous ceux qui jouent depuis des années à l’autruche de l’infinie douleur des familles des centaines de Libanais disparus, entre autres depuis trente ans, en Syrie, et dont les proches n’ont atrocement aucune nouvelle depuis.

Le rapt des Libanais à Alep est en train de virer au thriller politique. Un pitch d’un nouveau roman, au mieux pour John Le Carré, au pire pour Gérard de Villiers.
 
La dizaine de pèlerins chiites avaient été enlevés le 22 mai dans la province d’Alep alors qu’ils rentraient d’un voyage en Iran sans que personne ne revendique le kidnapping. Aujourd’hui, les questions se...

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