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À La Une - Disparus de guerre

Mikhaïl Aouad : Nous n’avons que Dieu pour nous aider

Le sort de milliers de Libanais – et de ressortissants arabes – disparus durant la guerre civile et la période qui l’a suivie sous la tutelle syrienne au Liban reste inconnu. Pour que ce dossier vieux de plus de trente ans ne reste pas occulté et relégué aux oubliettes, « L’Orient-Le Jour » relatera chaque semaine le témoignage d’un parent en quête de vérité sur le sort d’un disparu.

Mikhaïl Aouad tenant la photo de son fils, Georges, enlevé le 23 octobre 1983, dans la Békaa.

Une douce chaleur règne en cette journée du 11 avril. Dans le jardin Gibran Khalil Gibran, place Riad el-Solh, plusieurs familles de détenus libanais dans les prisons syriennes se sont rassemblées pour la septième commémoration du sit-in permanent qu’elles y observent depuis 2005, avec pour objectif de connaître la vérité sur le sort des leurs.


Les uns fument, les autres sirotent un café et répondent avec patience aux questions des journalistes venus recueillir leur témoignage pour la énième fois. Assis un peu à l’écart, un petit homme octogénaire s’appuie sur une canne. Il tient dans l’autre main une vieille photo d’un jeune homme soigneusement rangée dans une chemise en plastique.
« Georges a été enlevé le 23 octobre 1983, dans la Békaa », raconte Mikhaïl Aouad, ce père au visage creusé par une tristesse infinie. « Ce n’était pas la première fois que les Syriens l’enlevaient, poursuit-il. Les deux fois précédentes, nous avons réussi à le libérer de Anjar après avoir sollicité l’aide de personnes influentes. La troisième fois, nous n’avons rien pu faire. »


Son crime ? Posséder une belle voiture. « Georges était chauffeur de taxi, explique Mikhaïl Aouad. La première fois qu’il a été enlevé, il possédait une Mercedes neuve. Nous avons pu le libérer et récupérer l’auto. Il l’a aussitôt vendue et s’est acheté une Plymouth immatriculée en Arabie saoudite. Nous l’avons supplié d’être prudent et de ne pas se rendre dans la Békaa avant de changer la plaque d’immatriculation. En vain. Il est parti et n’est plus jamais rentré. »
Le jour de son enlèvement, Georges Aouad avait 29 ans. Il était marié et père de trois enfants, dont une petite fille de deux mois. « Sa femme a travaillé dur pour élever ses petits, ajoute Mikhaïl Aouad. Quant à sa mère, elle est accablée. La tristesse et le désarroi la minent. »


« J’ai quatre autres filles qui sont toutes mariées, reprend-il. Mon deuxième fils est décédé le 11 avril 2004. Il a été victime d’une hémorragie cérébrale. »


À l’instar de nombreuses familles à la recherche d’un proche disparu durant la guerre, les Aouad ont été victimes d’« escrocs » qui « exploitaient le désespoir des autres pour se faire de l’argent ». « Que de fois des hommes sont venus nous chercher nous promettant de nous ramener Georges, s’indigne le père. Ils nous soutiraient de grosses sommes d’argent, mais évidemment, nous n’avons pas pu voir Georges ni avoir de ses nouvelles. L’un d’entre eux nous a demandé 35 000 dollars ! Nous étions prêts à vendre tous nos biens et à lui payer tout ce qu’il voulait, mais après qu’il nous assure une rencontre avec Georges. Comme les autres, il nous mentait. »


La seule fois où la famille Aouad a espéré réellement rencontrer le fils disparu, les gardiens de la prison en Syrie leur en ont interdit l’accès. « Nous avions reçu l’aide des religieuses de la Société Saint-Vincent à Damas, se souvient Mikhaïl Aouad. Ma femme s’est rendue en Syrie où elle a passé une semaine. Un haut responsable des services de renseignements l’a accompagnée. Ils ont fait le tour de toutes les prisons de la capitale. Dans l’une d’entre elles, on leur a annoncé qu’un certain Georges Aouad figurait sur la liste des détenus, mais qu’il était palestinien. Ils n’ont pas laissé ma femme le rencontrer. C’était la seule fois où nous étions proches de la vérité. »


Depuis ce jour, la famille Aouad s’est résignée. « Nous n’avons confiance en personne. Les anciens détenus n’osent pas dire la vérité. Certains d’entre eux racontent même des mensonges. Quant à nos responsables, ils ne se soucient pas de nous. Nos n’existons même pas pour eux. Nous n’avons que Dieu pour nous aider. »

Une douce chaleur règne en cette journée du 11 avril. Dans le jardin Gibran Khalil Gibran, place Riad el-Solh, plusieurs familles de détenus libanais dans les prisons syriennes se sont rassemblées pour la septième commémoration du sit-in permanent qu’elles y observent depuis 2005, avec pour objectif de connaître la vérité sur le sort des leurs.
Les uns fument, les autres sirotent un...
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