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L’euthanasie, crime ou droit de mourir dans la dignité ? - Bioéthique

L’euthanasie, crime ou droit de mourir dans la dignité ?

Le mot « euthanasie » fait peur ! Le prononcer, c’est déclencher immanquablement des débats sans fin... Voilà un sujet qui enflamme, passionne et déchire ! Il suffit en effet d’être gravement malade pour qu’il soit remis sur le tapis.

Combien de temps l’être humain peut-il supporter la douleur intolérable, la déchéance physique totale ? Photo Ibrahim Tawil

L’être humain est-il seul maître de son corps, de son esprit, de sa vie ? Peut-il en disposer librement ? Que se cache derrière la demande d’une mort accélérée ? Et que faire lorsqu’il semble qu’il n’y a plus rien à faire ?
Division évidente de la société qui se manifeste chez les juges, les soignants, les philosophes... Un problème qui concerne surtout les malades qui veulent mettre fin à leur souffrance, les proches et les médecins qui jonglent avec de lourdes questions morales.


« De grâce, je suis trop jeune pour mourir, mais trop malade pour vivre. Mon désir est de partir. Aidez-moi à mourir dignement. »
Samia, 42 ans, est victime d’une de ces maladies incurables lourdes à porter. La médecine ne lui laisse aucune chance !


Par conséquent, l’idée de vivre dans la souffrance, paralysée, alitée jusqu’à la fin de ses jours lui est intolérable.


« Combien de temps l’être humain peut-il supporter la douleur, la déchéance totale? » (être aidé pour tousser, pour essuyer ses larmes, et même pour respirer), déplore-t-elle.


Face à ce cri de détresse déchirant, que faire ?


Laisser Samia en l’état jusqu’à ce que la « dame noire » vienne épeler son nom, ou respecter son souhait et sa liberté de mourir dans la dignité, en provoquant intentionnellement sa mort, pour abréger ses souffrances ?
Le problème n’est pas de toute simplicité. Le Dr Roland Tomb, doyen et président de l’Espace éthique à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph explique : « Présenter le droit de mourir comme l’ultime liberté qu’a chacun de conduire son existence, c’est faire fausse route. D’un côté, il y aurait ceux qui défendent le droit à la liberté de mourir dignement, et de disposer de leur corps ; de l’autre ceux plus hostiles qui affirment le caractère sacré de la vie à tout prix. Certes, le patient dispose apparemment de son libre arbitre en réclamant la mort. Mais où est la liberté quand on est “l’esclave” de douleurs tyranniques ? Donner la mort à un malade qui le demande, ce n’est pas nécessairement respecter sa liberté. C’est plutôt le prendre au mot, et répondre par un acte mortuaire à ce qui est surtout un cri d’appel au secours. Des études ont confirmé d’ailleurs à quel point la demande d’euthanasie devient faible lorsque la lutte contre la souffrance et l’accompagnement sont mis en œuvre. »


« Il est bon de préciser, ajoute le Dr Tomb, que sous le terme d’euthanasie (mort douce), on a tendance à regrouper un peu trop hâtivement la totalité des pratiques qui permettent d’abréger l’agonie d’un malade incurable, afin de lui éviter les souffrances liées à sa maladie. Or une définition trop large ne permet pas de faire la distinction entre le fait de provoquer la mort, et celui fort différent de ne pas tout faire pour l’empêcher de survenir. Aussi faut-il bannir aujourd’hui de notre vocabulaire des expressions telles qu’“euthanasie passive” ou “indirecte”. Dès lors, suspendre ou limiter toute activité médicale, afin d’alléger les souffrances d’un malade, débrancher les appareils qui le maintiennent artificiellement en vie... correspondent plus exactement à l’expression d’arrêt thérapeutique. »


L’euthanasie proprement dite serait ainsi l’acte de donner la mort (injection de produit létal...) par compassion pour un malade incurable, à sa demande instante, afin de le libérer de ses souffrances. Sinon comment qualifier cet acte s’il est donné contre la volonté du patient que par le terme de meurtre?

Mourir dans la dignité
Que se cache derrière la demande d’une mort accélérée ? À cette question, le Dr Tomb répond : « La perte de la qualité de vie et une souffrance inacceptable sont à l’origine de la demande d’euthanasie. Certains malades désirent abréger un acharnement qui “prolonge” sans guérir et éviter certaines dégradations physiques ou altérations psychiques qui accompagnent les derniers jours d’une existence. Ils souhaitent mourir dans la dignité. Dans leur optique, la dignité est fonction du regard d’autrui face à l’apparence et au comportement en fin de vie. Or la dignité humaine est une qualité intrinsèque, un droit inaliénable, qui s’impose à tous et ne s’évalue pas sur une échelle variable selon un état de santé. »
Et de se demander : « Y aurait-il donc des personnes qui meurent dans l’indignité ? Et lesquelles ? Les vieillards, les handicapés incapables de communiquer, ceux qui souffrent d’Alzheimer ? Rien ni personne ne peut dépouiller un être humain de sa dignité, insiste le Dr Tomb. Reconnaître et accorder donc le droit de demander la mort serait établir la conviction sociale que certaines personnes ont perdu leur valeur et leur dignité. Toujours est-il que l’euthanasie ne peut être admise, car elle est contraire à la mission du médecin. Ce dernier n’a nullement le droit de provoquer délibérément la mort. Au Liban, le nombre de malades qui formulent une demande d’euthanasie reste faible. Le problème est bien plus celui de l’acharnement thérapeutique. »

Maintenir la vie à tout prix ? Qui décide ?
« Les thérapeutiques actuelles permettent de maintenir longtemps la vie, déclare le Dr Tomb. Si les progrès de la médecine sont appréciables, le recours à de tels moyens n’est pas toujours opportun. Certains patients craignent, à juste titre d’ailleurs, un acharnement thérapeutique, que l’on peut définir comme une obstination déraisonnable de la part des médecins. On comprend dès lors que l’idée d’une “mort douce” et rapide vienne hanter les esprits. Il est clair qu’en vertu de l’article 27 du code de déontologie médical, le médecin doit éviter toute obstination déraisonnable. Si le malade est atteint d’un mal incurable, le rôle du médecin doit se limiter à alléger les souffrances physiques et morales par la prescription de traitements compatibles autant que possible avec le maintien de la vie. Il est préférable de ne pas avoir recours à des moyens techniques excessifs pouvant prolonger l’agonie. Ce qui signifie arrêter le traitement lorsque ses inconvénients paraissent supérieurs à ses avantages, sans pour autant que cela ne donne au médecin le droit de provoquer intentionnellement la mort. »


Il est vrai que pour certains médecins la mort résulte d’un échec ! Voulant donner au malade une ultime chance, ils agissent parfois de façon disproportionnée. Or la recherche d’efficacité thérapeutique doit se conjuguer essentiellement avec le souci de la qualité de vie du patient, que lui seul peut évaluer...
La décision de ne pas maintenir la vie à tout prix, c’est accepter les limites de la médecine et reconnaître que la mort est inéluctable.


Et le Dr Tomb de poursuivre : « Débrancher le respirateur d’un malade en état de coma profond, suspendre une chimiothérapie devenue excessive n’est pas tâche facile. Chaque cas étant unique, le médecin décidera de la démarche à suivre en son âme et conscience, en accord avec le patient (si possible), ses proches et l’équipe soignante. D’ailleurs, des comités bioéthiques ont été créés au sein des hôpitaux à cette fin. »

Les soins palliatifs
La mort d’un nouveau-né ne défraye la chronique que lorsqu’il y a crime ou erreur médicale grave. Qu’en est-il de ce grand prématuré d’environ un kilogramme, né il y a quelques jours, vers la vingt-quatrième semaine de grossesse, avec une espérance de vie limitée ?


Le médecin doit-il le maintenir en vie et le réanimer à tout prix, en l’exposant à des séquelles cérébrales graves très probables, qui empêcheraient une vie future acceptable ? Ou s’abstenir de toute réanimation à la demande expresse des parents ? Acharnement thérapeutique, abstention de soins, euthanasie ? Où se trouve la limite ? Autant d’interrogations morales et éthiques auxquelles il est difficile de répondre. Y penser, c’est maintenir toujours ouverte la question.


Focalisée sur la guérison, la médecine pendant longtemps s’est désintéressée du soin. Elle sait guérir mais sait-elle encore soigner ?
Le malade en fin de vie dont on n’espère plus la guérison se retrouverait-il donc abandonné ?
Actuellement, il existe des dispositifs pour que ce malade ne se sente ni abandonné ni en butte à la souffrance.
Il s’agit des soins palliatifs.
Tour d’horizon avec le Dr Michel Daher, président de la Société libanaise d’oncologie.


« De nombreuses incompréhensions entourent encore les soins palliatifs. Ainsi, on pense souvent qu’il ne s’agit que de donner au patient un soutien d’ordre psychologique. Si ce type de soins est inclus, l’arsenal des traitements est devenu d’une haute technicité. La seule différence avec la médecine est que le soin palliatif n’a pas vocation de guérir (à ne pas confondre avec les soins intensifs). C’est un soin non curatif, où l’attention portée à chaque malade est unique, en fonction de son état. L’objectif essentiel étant de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort, c’est-à-dire assurer au malade un confort de vie, en éliminant les douleurs, et d’autres symptômes inconfortables (nausée, escarres, insomnie...). On lui accorde un support psychosocial et spirituel permettant l’accompagnement jusqu’au bout. Noble mission pour les médecins et les soignants qui s’investissent affectivement, et s’occupent du malade jour après jour, heure par heure. Il n’est pas rare alors, lorsque les symptômes physiques sont apaisés, d’assister à un recul de la demande d’une mort anticipée. »


« En ce qui concerne l’utilisation des antalgiques et des dérivés morphiniques, les esprits ont suivi une évolution considérable », poursuit le Dr Daher. Ne pas souffrir étant aujourd’hui un droit absolu, même le risque de hâter la fin par le recours aux opiacés est accepté. Dès lors que l’intention n’est pas de donner la mort mais de supprimer la douleur. La morphine compte parmi les médicaments les moins chers, mais au Liban elle est aussi l’une des plus difficiles à obtenir. La prescription de produits morphiniques est régie par des régulations très strictes. »
Les soins palliatifs forgent ainsi leur chemin lentement mais sûrement.


Selon le Dr Daher, « les premières initiatives ont été prises par la Société libanaise d’oncologie en 1990 ; élargies par la suite à d’autres spécialités, comme la cardiologie, la neurologie, la pneumologie ou encore l’infectiologie ». Et d’ajouter : « De nombreux soignants ont suivi une formation spécialisée aux États-Unis. Récemment, on a introduit cette spécialité dans les cursus universitaires, notamment dans les facultés de médecine et de sciences infirmières. Le ministre de la Santé, à la demande de la Société libanaise d’oncologie, a créé un comité national qui se chargera de préparer un programme de sensibilisation et de diffusion des soins palliatifs. Parallèlement, des associations d’accompagnement de fin de vie, dont Sanad, ont vu le jour. »
« Reste qu’il faudra améliorer la formation des équipes soignantes au sein des unités de soins palliatifs dans les hôpitaux, les maisons de repos, ou à domicile. Et créer des centres qui répondent aux normes internationales d’hospice prodiguant ce genre de soins. »


Et le Dr Daher de conclure : « Il est essentiel que l’État réfléchisse à une réelle politique de financement et de prise en charge des patients en fin de vie et garantisse l’accès équitable de tous les malades qui cherchent à être accompagnés dans leur dernier combat. »

Du curatif au palliatif
« Dans la perspective de l’accompagnement au seuil de la mort, une pratique soignante palliative professionnellement rigoureuse est fort souhaitable », déclare Ghada Khawand Ayli, directrice du département des soins infirmières à l’Université La Sagesse.


« Des progrès ont d’ores et déjà été réalisés, ajoute-t-elle. Le passage du curatif au palliatif n’est plus perçu comme le signe d’une défaite. Il exprime plutôt la défense autant que possible de la qualité de vie dans la lutte contre la douleur. Le soulagement des malades nécessite un savoir-faire médical, mais aussi un soutien psychologique et un contact humain. Ainsi, les infirmières, souvent piliers de l’équipe, sont appelées à entourer le malade, à lui porter une attention particulière, chacun en fonction de son état. Elles détiennent un rôle primordial d’intermédiaires entre le patient et l’équipe multidisciplinaire (médecins, psychologues, aumôniers...). Car elles apportent des éléments qui donnent un éclairage sur la situation du malade, témoignant ainsi de la qualité du contact humain permanent et du dialogue établi avec lui, et avec sa famille. Les soins palliatifs exigent donc une grande proximité qui met les soignants eux-mêmes à l’épreuve. C’est un engagement de leur personne qui est requis et une conscience de la valeur de tout être humain, quelles que soient les altérations qu’il a subies. »


« Pendant longtemps, les décisions ont appartenu aux médecins. Aujourd’hui, elles procèdent davantage d’une réflexion en équipe soignante et d’une concertation entre le médecin et le malade qui veut de plus en plus être associé aux décisions qui le concernent, être acteur de sa propre mort. Cette codécision est le fruit d’une relation de confiance entre le corps médical, le malade et sa famille, tout au long de la maladie et même après dans un travail d’accompagnement et de soutien de deuil », conclut Ghada Ayli.

L’être humain est-il seul maître de son corps, de son esprit, de sa vie ? Peut-il en disposer librement ? Que se cache derrière la demande d’une mort accélérée ? Et que faire lorsqu’il semble qu’il n’y a plus rien à faire ? Division évidente de la société qui se manifeste chez les juges, les soignants, les philosophes... Un problème qui concerne surtout les malades...