Rechercher
Rechercher

Culture - Distinction

Rabih Mroué, prix Prince Klaus 2011, aurait-il inventé le « théâtre 2.0 » ?

Rabih Mroué reçoit, aujourd’hui, des mains de l’ambassadeur des Pays-Bas, le prestigieux prix du Prince Klaus*. Rencontre avec un artiste, metteur en scène, dramaturge et acteur, agitateur des consciences, perturbateur des normes.

Rabih Mroué: «La recherche théâtrale, une quête de tous les instants.» Photo Izabel Ojeda Cruz

Après Nazek Saba Yared en 1988 et Christine Tohmé en 2006, Rabih Mroué est le troisième artiste de nationalité libanaise récipiendaire du prix Prince Klaus. À 45 ans, ce natif du Liban-Sud fait partie de l’élite des artistes locaux qui ont émergé juste après la fin de la guerre, osant briser le silence et le déni qui entouraient ces années de conflits, de massacres, de kidnapping et d’horreurs tous azimuts. Le comité du prix Prince Klaus l’a désigné parmi ses 11 lauréats annuels (voir encadré) «parce qu’il interroge la mémoire, le pouvoir et la construction de la vérité», indique le communiqué. Parce qu’il «provoque un engagement social critique en exposant et en ouvrant des discussions sur des sujets sensibles. Et parce que son œuvre représente le poids de la responsabilité individuelle». Mais aussi pour ses «rencontres directes avec le public et son analyse de l’instabilité des définitions».


Rabih Mroué n’y va pas, comme on dit, avec le dos de la cuillère. D’abord parce que son propos direct ne connaît pas les demi-mesures. Ensuite, parce que notre homme sucre son café et le tourne avec, justement, le manche de la cuillère. «C’est plus facile, comme cela», dit-il, en s’amusant de la réaction étonnée de son vis-à-vis. Il y a une bienveillance dans ses yeux que l’on retrouve rarement chez les artistes «engagés». Pas de cynisme, de froideur ou de propos désabusés. Pas de paroles emphatiques, pompeuses ou bêcheuses. Calme, courtois, poli, il se livre avec pudeur, une certaine timidité gênée, même lorsqu’on lui demande sa réaction à l’annonce du prix. «Vous m’en voyez ravi», dit-il en éludant, pressé de passer à un sujet plus confortable. Celui du théâtre, par exemple, cette forme artistique qu’il ne cesse de questionner depuis ses années d’études à l’Université libanaise.


Il est également très prolixe sur la manière dont il fait du théâtre, s’étant affranchi des représentations physiques pour explorer le poids des mots, des textes, de documents visuels. Son théâtre est ainsi né dans l’après-guerre, temps des failles et de la désillusion, où l’on «tente de reconstruire le monde autour de l’homme, celui qui s’exprime comme celui qu’on représente», dit-il. Avec le temps et les explorations diverses, son théâtre s’est transformé. Le public a constaté un retour dans ses œuvres à des formes qui révèlent un rapport au monde individualisé. En mêlant à ses mises en scène des performances et de la vidéo, ses dispositifs scéniques se situent, dans leur forme actuelle, au confluent de la performance et du théâtre. «Mon travail confronte les définitions du théâtre et de la performance, et questionne également l’interactivité du public et du performeur», indique celui qui, dans ses mises en scène, incorpore des éléments informatifs, notamment sur le contexte politique et économique du Liban, conférant à ses pièces une dimension quasi documentaire, utilisant l’autofiction, l’autodérision ou la narration autobiographique comme autant d’outils affichés d’une profonde quête identitaire.


L’artiste est dans son œuvre, sans toutefois y être totalement. Le corps de l’acteur n’est plus celui qui se démène dans tous les sens sur les planches. Il est souvent assis, derrière une tribune, donnant lecture à des documents en papier ou sur ordinateur portable. «C’est la métaphore du corps fatigué, de l’individu au cœur de la société, du système politique.» Parmi ses créations qu’il présente en Europe, aux Etats Unis, au Canada, à Beyrouth, Tunis, Amman ou au Caire, figurent Theater with a Dirty Feet, Looking for a Missing Employee, The Inhabitants, Biokhraphia, Who’s Afraid of Representation, How Nancy Wished et Photo-romance, avec sa compagne de toujours, Lina Saneh. En tant qu’acteur, Rabih Mroué a joué au cinéma dans Beyrouth Fantôme (1998) de Ghassan Salhab, A Perfect Day (2005) ou Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (2007), entre autres. Entre deux voyages et deux représentations, il prépare une pièce de théâtre pour le Festival d’Avignon 2012, une œuvre qu’il voudrait bien présenter à Beyrouth avant l’étranger, dans la semi-clandestinité comme d’habitude, pour déjouer la censure.


L’artiste met un point d’interrogation sur l’étiquette «théâtre» quand il s’agit de désigner ses œuvres, méticuleusement présentées, hybrides et bousculant tous les codes établis. Proposons une appellation plus révolutionnaire et pixellisée, à l’image de sa dernière création traitant de la révolution syrienne. Alors, Rabih Mroue, trublion du «théâtre 2.0»?

* Ce soir, à 20h, lors d’une cérémonie à l’espace Ashkal Alwane, Jisr el-Wati.

Après Nazek Saba Yared en 1988 et Christine Tohmé en 2006, Rabih Mroué est le troisième artiste de nationalité libanaise récipiendaire du prix Prince Klaus. À 45 ans, ce natif du Liban-Sud fait partie de l’élite des artistes locaux qui ont émergé juste après la fin de la guerre, osant briser le silence et le déni qui entouraient ces années de conflits, de massacres, de kidnapping...
commentaires (1)

Alf mabrouk pour Rabih et le theatre libanais !

Gerard Avedissian

07 h 03, le 15 mars 2012

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Alf mabrouk pour Rabih et le theatre libanais !

    Gerard Avedissian

    07 h 03, le 15 mars 2012

Retour en haut