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Moyen Orient et Monde - Le point

Révolutions à la dérive

Sur les branches décharnées, les premiers bourgeons du nouveau réveil arabe achèvent de flétrir, victimes d’un hiver pourtant riche en promesses. La révolution n’a pas encore, comme Saturne, dévoré ses propres enfants, mais elle a fait pire : elle les a lâchés, inexpérimentés et sans défense, dans cette jungle qu’est l’univers politique d’un Proche-Orient plus complexe qu’il n’y paraît sous une feinte uniformité. Il ne restait aux féaux des autocrates déchus qu’à s’en repaître, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Et le résultat est là, désolant à observer si l’on excepte le cas tunisien.
Un coup d’œil jeté sur les douze mois passés est propre à décourager les révolutionnaires les moins blasés de l’an 11 de ce siècle. À peine a-t-elle commencé à panser ses blessures que la Libye entend déjà les voix nostalgiques de l’ère révolue. Au Caire, la place al-Tahrir en est venue à oublier petit à petit les exaltations des trois saisons passées. En Syrie, la liste des carnages s’allonge pendant que se banalise l’horreur et que grandit la crainte du néant. Non, les choses ne sont pas ce qu’elles auraient dû devenir et il y a longtemps que les tireurs de ficelles se sont révélés être ce qu’ils sont : des apprentis Machiavel dépassés par les événements, incapables même de feindre en être les organisateurs.
- Alors, où allons-nous ?
- Je l’ignore, mais nous y allons tout droit...
À ce stade de la course vers l’abîme, il serait utile, à défaut d’établir un inventaire exhaustif, de dresser une liste (incomplète) des erreurs commises. En gardant présent à l’esprit le conseil jadis donné par l’un des esprits les plus libres de son époque : « Ne soyez ni obstinés dans le maintien de ce qui s’écroule ni trop pressés dans l’établissement de ce qui semble s’annoncer. » *
Dès les premiers jours des soulèvements populaires apparus à la faveur de ce que l’on devait se dépêcher d’appeler « le printemps arabe », on a vu apparaître ce que l’on a voulu masquer dans l’imagerie populaire, à savoir un net hiatus entre les jeunes (il est de bon ton de faire de ce dernier mot un qualificatif à quoi l’on ajouterait le substantif « exaltés... ») et leurs aînés, les premiers sachant fort bien où aller mais ignorant comment y parvenir, les seconds connaissant le chemin à suivre mais peu soucieux de s’y engager ; les premiers, éduqués, en phase avec l’époque, antimilitaristes et laïcs, les seconds plutôt enclins à composer avec les dirigeants en instance de départ et désireux d’occuper ultérieurement la place. Là où les uns voyaient un système démocratique à mettre en place, les autres ne voulaient qu’améliorer le menu quotidien, sans faire trop de dégâts.
Joyeux, le désordre est bien vite apparu stérile, contre-productif même, créant une situation que Frères musulmans et salafistes ont mise à profit, eux qui se préparaient depuis longtemps à ces journées, travaillant les quartiers pauvres, les provinces déshéritées à coups de soins médicaux, de distribution de produits de première nécessité et de prêches enflammés. Auréolés de leur condition de « martyrs », ils pouvaient prétendre incarner le renouveau face à des régimes coupés de leurs peuples, sclérosés par des années de pouvoir, rongés par la corruption et marqués par la terreur qu’ils n’avaient cessé d’exercer.
Il manque cependant aux islamistes aussi bien qu’à leurs benjamins les figures charismatiques indispensables à la réussite de l’entreprise. La Révolution française avait ses tribuns, ses « incorruptibles ». Ici, point de grands orateurs, encore moins de figures pures et dures, malgré le puissant levier que constituent la langue arabe et l’attrait représenté par la geste des grandes épopées. Ajoutez à cela que, mis à part les raids de l’OTAN sur les positions kadhafistes en Libye, l’Occident n’a rien fait, ou si peu, pour accélérer la chute des tyrans et favoriser l’avènement de la relève. Les dirigeants en place pouvaient dès lors taxer les opposants de suppôts d’un impérialisme protecteur de l’État sioniste que cela n’étonnerait personne. Au Caire, on a vu le ministère de l’Intérieur ordonner le transfert de Hosni Moubarak et de ses deux fils au prétexte que – dire que l’argument n’a fait sourire personne... –, de la prison où ils se trouvaient, ils pouvaient entrer en contact avec les manifestants.
Face à tous ces griefs, on pourrait évoquer 1789 et rappeler qu’entre la chute de la Bastille et l’instauration de la IIe République, il s’est écoulé cinquante-neuf ans. C’est vrai, mais à l’époque, il n’y avait ni portable ni Internet. Et puis, reconnaissons-le, les rois étaient moins assoiffés de sang que les satrapes d’aujourd’hui.

* De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne, Benjamin Constant.
Sur les branches décharnées, les premiers bourgeons du nouveau réveil arabe achèvent de flétrir, victimes d’un hiver pourtant riche en promesses. La révolution n’a pas encore, comme Saturne, dévoré ses propres enfants, mais elle a fait pire : elle les a lâchés, inexpérimentés et sans défense, dans cette jungle qu’est l’univers politique d’un Proche-Orient plus complexe...
commentaires (3)

Cher Monsieur Georges Sabat, faire appel à des conseillers étrangers ? On va crier à la profanation et vous qualifier, comme on qualifie tous ceux qui disent la vérité, de sbire à la solde des SIO. Il faut plutôt mentir et dire que nous devons employer "NOS VIEUX" démocrates ( pour la poche et le portefeuille ) et planificateurs indispensables, "ELECTRICITÉ" "EAU" et "CELLULAIRES" à l'appui. Nous pouvons toujours faire une réduction d'âge aux plus âgés pour les rajeunir, et ajouter quelques années aux plus jeunes pour les rendre plus mûrs. Que demandons-nous de plus ? Voilà, tout est à merveille !

SAKR LEBNAN

14 h 04, le 29 février 2012

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Commentaires (3)

  • Cher Monsieur Georges Sabat, faire appel à des conseillers étrangers ? On va crier à la profanation et vous qualifier, comme on qualifie tous ceux qui disent la vérité, de sbire à la solde des SIO. Il faut plutôt mentir et dire que nous devons employer "NOS VIEUX" démocrates ( pour la poche et le portefeuille ) et planificateurs indispensables, "ELECTRICITÉ" "EAU" et "CELLULAIRES" à l'appui. Nous pouvons toujours faire une réduction d'âge aux plus âgés pour les rajeunir, et ajouter quelques années aux plus jeunes pour les rendre plus mûrs. Que demandons-nous de plus ? Voilà, tout est à merveille !

    SAKR LEBNAN

    14 h 04, le 29 février 2012

  • Mr. Merrville a ecrit: "on a vu apparaître un net hiatus entre les jeunes et leurs aînés, les premiers sachant fort bien où aller mais ignorant comment y parvenir, les seconds connaissant le chemin à suivre mais peu soucieux de s’y engager." Ce phenomene avait d'ailleurs ete rapporte des le debut du soulevement en Tunisie par un educateur Tunisien qui anticipait que les jeunes allaient devoir faire appel aux fonctionnaires de l'ancien regime, faute de posseder eux-memes l'experience necessaire pour introduire les reformes. Mais alors, dans un pareil cas, que faire? A mon avis la solution exige que les jeunes se mettent rapidement a "apprendre" et fassent appel a des conseillers etrangers qui soient si possible, sans parti pris, afin de construire, avec leur participation, le PLAN ECONOMIQUE, SOCIAL ET POLITIQUE qui conviendrait le mieux au pays.

    George Sabat

    06 h 56, le 29 février 2012

  • Et maintenant qu'est ce qu'on fait ? en Lybie la ville de Syrte a été rasé pour arriver à exécuter un homme que le monde occidental a toléré 42 ans durant, et pour cause, c'était l'ami de blair et sarko en a été jaloux à un moment donné de son mandat. Moubarak a qui les portes de l'Elysée n'avait pas de secrêt, recevait les puissants de ce monde à qui il donnait conseil pour la Palestine.Ben Ali , qui en parle ? on le cache comme une maladie honteuse et devant les tentatives infructueuses de le rapatrier, il est mis sous le coude saoudien, des fois que si le régime venait à s'écrouler en saoudi on puisse le monnayer de nouveau, ne riez pas, moubarak a retourné l'offre d'asile des bensaoud pour le motif que si rien n'a pu être fait pour le protéger chez lui, c'est pas à l'étranger qu'on pourra le faire. Et le peuple bordel, lui a ton demandé son avis ? apparemment non, les médias de la désinformation le compressent pour lui donner l'illusion qu'en occident où tout irait bien, les miroirs déformants des révolutions révolus nous projettent celle des alouettes, gentil alouettes, je te plumerai, et le cou, et le cou et la tête et la tête.....

    Jaber Kamel

    11 h 41, le 28 février 2012

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