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Culture - Planches

Dialogues sur un mythe

Au théâtre Babel*, une « Médéa » en noir et blanc. Ou plutôt en noir de noir. Sur un peu de blanc. Dans une mise en scène de Carole Abboud, avec Dana Mikhaïl. Sur des textes de Heiner Müller, Franca Rame, Dario Fo et d’autres extraits poids lourds.

Dana Mikhail en Médée hiératique au verbe abondant. (Photo Ali Zreik)

C’est à la mythique Médéa que Carole Abboud a décidé de s’attaquer. Non pas celle de l’antique Euripide, ni celle de Sénèque, de Corneille, de Pasolini ou d’autres encore tombés dans les filets psychologiques de cette femme-araignée, mais celle qui a été mise au goût du XXe siècle par Heiner Müller dans sa triptyque : Rivage à l’abandon, Matériau-Médée et Paysage avec Argonautes. Oui, du lourd, du bien dense, du très intense comme les Allemands savent bien en concocter.
Dans cette pièce, on trouve également des morceaux choisis de Franca Rame et de Dario Fo (traduits par Oussama Ghanam). Des fragments de Medea Vox de Christa Wolf. De Medea de Franz Grillparzer. Du Freispruch für Medea d’Ursula Haas et d’Everybody talks about weather, we don’t d’Ulrike Meinhof (traduit par Carole Abboud). Bon, trêve de « namedropping », mais il s’agissait de souligner la masse de références sur lesquelles est basée cette pièce, qui prend aussi des accents libanais. Elle met en effet en vis-à-vis la Médéa infanticide, fratricide, bafouée, à Dana Mikhaïl, l’actrice perdue entre sa filiation orientalo-libanaise et occidentalo-germanique.
Dans ce qui devrait être un condensé de l’homme confronté à la mort, à la trahison, à la violence... au moyen de métaphores empruntées à la guerre, à l’érotisme et à la maladie (la vision de Heiner Müller), Abboud a donc ajouté une dimension locale et régionale.
La richesse du mythe aurait dû être amplifiée par la confrontation de différentes versions et adaptations. Mais, au final, elle l’a tellement été que le spectateur se perd dans toutes les ramifications, ne sait plus où il en est et se contente, bon gré mal gré, de savourer ici et là certaines tirades. Il convient là de rendre hommage à la mémoire de l’actrice qui a emmagasiné cette pléthore de phrases, à tel point que son jeu se limite quelquefois à une unique performance vocale et mnémonique.
Dès son entrée, le spectateur se trouve sous les feux de deux projecteurs braqués sur les deux allées principales de la salle. Il lui est, du coup, impossible de distinguer la scène. Il se retrouve dans une position assez gênante. Il est pris d’emblée à partie. On lui fait signifier, surtout, que c’est de lui, de son voisin, de sa voisine, de sa condition d’être humain (ô combien) mortel dont il s’agit.
Il découvre ensuite la scène, toute en blancheur immaculée, des murs aux planches, où seront projetées des images d’oiseaux, d’arbres ou de rivages perdus (vidéo et son d’Ayman Nahlé).
Pièce élitiste ? Trop exigeante ? Trop ambitieuse? Toujours est-il que cette Médéa, toute fragmentée et chaotique qu’elle soit (avec des couacs techniques facilement dépassables), n’en reste pas moins, avec son panorama d’horreurs, aussi perturbatrice que ses ancêtres.

* Ce soir, jeudi 23, et demain vendredi 24 février, à 20h30. Durée, 60 mn. Réservations au : 03/692592.
C’est à la mythique Médéa que Carole Abboud a décidé de s’attaquer. Non pas celle de l’antique Euripide, ni celle de Sénèque, de Corneille, de Pasolini ou d’autres encore tombés dans les filets psychologiques de cette femme-araignée, mais celle qui a été mise au goût du XXe siècle par Heiner Müller dans sa triptyque : Rivage à l’abandon, Matériau-Médée et Paysage avec...
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