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Liban - Conférence

Le colloque de l’ASPT met Tripoli « au cœur » de l’intérêt parisien

Un colloque sur la capitale du Liban-Nord a été organisé à Paris sous le patronage de l’ambassade du Liban et du Conseil régional d’Île-de-France.

Sonner l’alarme sur le péril menaçant les bâtiments historiques de Tripoli.

Tripoli, son patrimoine architectural, sa mémoire archéologique et culturelle, ses traditions artisanales et culinaires, la « ville de la science et des savants », des orangeraies et de l’olive, irriguée par un fleuve devenu matamore (Abou-Ali) après avoir baptisé la « Kadisha » sur les hauteurs en amont, « Tripolis – la ville triple », dont les monuments chargés d’histoires sont aujourd’hui menacés de ruine ou de destruction, se déclinait en photos et en exposés dans le bel hémicycle du conseil régional d’Île-de-France, l’espace d’un brillant colloque organisé le jeudi 2 février, suivi d’une exposition photographique et d’un cocktail dînatoire en soirée.
Sous le titre-programme « Tripoli, quelles ambitions pour demain ? Refaire la ville », l’Association pour la sauvegarde du patrimoine de Tripoli (ASPT) a en effet réussi le pari de mettre « Tripoli au cœur », pour reprendre le mot du poète et ancien ambassadeur Salah Stétié. Porter la voix de Tripoli en France, y faire connaître son patrimoine et le protéger, susciter un soutien à la ville et « un tourisme plus intelligent », tels sont les principaux objectifs de Joumana Chamal-Timery, présidente de l’ASPT, qui, par sa persévérance et sa foi dans la cause de Tripoli, a réussi à réunir architectes et urbanistes, chercheurs, historiens et universitaires, français et libanais, pour partager leurs expertises, raconter Tripoli et essayer de planifier l’avenir de la ville.
Placé sous le patronage de l’ambassadeur du Liban en France, Boutros Assaker, et du président du conseil régional d’Île-de-France, Jean-Paul Huchon, le colloque s’est tenu en présence notamment du mufti de Tripoli et du Nord, Malek Chaar, du maire de Tripoli, Nader Ghazal, de l’ambassadeur Boutros Assaker, de l’ambassadrice du Liban auprès de l’Unesco, Sylvie Fadlallah, des attachés culturels à l’ambassade du Liban, Abdallah Naaman, et à la délégation du Liban à l’Unesco, Bahjat Rizk, du directeur de l’Office du tourisme du Liban, Serge Akl, de responsables du Conseil régional d’Île-de-France, de membres éminents de la communauté libanaise à Paris, présidents et membres d’associations diverses, et d’un public nombreux et concerné.
Comme l’a précisé Joumana Timery dans son mot d’accueil, cette initiative a vu le jour suite à la démolition du fameux théâtre Inja, en décembre 2010. L’objectif du colloque était donc de sonner l’alarme sur le péril menaçant les bâtiments historiques de la capitale du Nord, face aux promoteurs immobiliers, de dénoncer la vague de destruction des sites et des maisons classées (au nombre de 300 environ), et de réagir en proposant des solutions et des plans de sauvetage. Se voulant en deux parties, ce colloque devrait se tenir également à Tripoli même, en 2013, afin d’associer les habitants de la ville à la préservation de leur patrimoine.
Pour souligner le soutien du conseil régional d’Île-de-France, Nabila Keraman devait, au nom de Jean-Paul Huchon, rappeler la solidarité de la région Île-de-France avec Beyrouth, où elle est présente depuis 1991, au travers de sa contribution décisive dans la renaissance du Bois des Pins. Citant les nombreux accords passés depuis entre les deux régions (depuis l’accord du 25 janvier 1999, qui a ouvert la voie à plusieurs coopérations, et renouvelé en 2009 pour l’aire centrale urbaine Beyrouth-Mont-Liban), la conseillère régionale a énuméré les divers secteurs de coopération : transport, aménagement des espaces publics, urbanisme et protection du patrimoine, événements culturels...
Pour faire un état des lieux et proposer des solutions, trois séances étaient programmées. Mais avant de céder la place à la science de l’histoire ou de l’urbanisme, Salah Stétié a choisi d’ouvrir le colloque avec les mots du cœur, en s’écriant : « Nous sommes là car nous constituons un concile d’amour », en reprenant le titre d’une pièce de théâtre d’Oskar Panizza. Puis, rendant hommage à cette ville qu’il considère comme « emblématique de tout le Liban », Stétié, « à défaut d’y apporter (sa) science, y apporte un surplus... de poésie », et transporte l’auditoire dans un récit mêlant légendes et anecdotes sur « Tripolis-les trois villes », autant d’histoires qui « ne sont là que pour rajouter à la réflexion technique l’élément humain indispensable, toujours présent dans les profondeurs de l’histoire ». Ressuscitant son legs culturel et spirituel soufi (le couvent des derviches tourneurs), évoquant ces « pierres d’églises ayant servi à restaurer des mosquées en ruine » et vice versa, Stétié a rappelé « le legs de toutes ces époques (byzantine, croisée, arabe, mamelouke, ottomane) fondu dans la continuité de son destin et l’unité de sa vocation » de cette « ville-synthèse des hommes et des cultures ».

Une richesse architecturale
et historique
La première séance, consacrée à l’histoire et à l’archéologie de Tripoli, a transporté l’auditoire dans la vieille ville de Tripoli ainsi que dans son centre-ville, entre passé et présent. Présidée par Faten Mourad, secrétaire générale de l’ASPT, la table ronde a regroupé l’architecte et élu municipal, Khaled Tadmori, chargé du patrimoine à la mairie de Tripoli, le chercheur et journaliste Élias Khlat, fondateur de Tripoli Foundation, travaillant notamment à la réhabilitation des anciennes voies de l’Orient-Express, Hind Soufi, chercheur et universitaire, et Éric Huybrechts, architecte DPLG, expert de la commission internationale d’Aménagement et d’Urbanisme de la région Île-de-France. Tour à tour, les intervenants ont projeté des diapositives retraçant les plans urbains avec ses écoles d’enseignement religieux (madrasas), le tell, les édifices mamelouks et ottomans, les deux rives du fleuve Abou-Ali, les vieux souks et le khan. Soulignant l’unicité du patrimoine architectural de Tripoli, Khaled Tadmori a déploré qu’aucun plan n’ait jamais été mené par l’État libanais pour préserver la vieille ville. Il a indiqué que la municipalité de Tripoli a lancé depuis huit ans un plan architectural pour sauver la ville, et qu’un faisceau de projets de restauration a été mis en place grâce à des accords de coopération avec plusieurs fondations et municipalités (dont cinq municipalités turques pour la restauration des monuments ottomans). Élias Khlat, dont la présentation a projeté les personnes présentes plus d’un siècle en arrière avec les photos de l’Orient-Express passant par la gare de Tripoli, a réclamé « une loi pour la sauvegarde du patrimoine architectural moins rigide que celle appliquée actuellement, pour aider les gens à restaurer leurs propriétés sans être obligés de les délaisser ».
L’héritage épigraphique de la ville a fait l’objet d’une longue présentation par Hind Soufi, suivie par un exposé de Éric Huybrecht sur le « projet de préservation de la Corne d’or à Istanbul ».

État des lieux
Pour faire le point des travaux d’urbanisme réalisés, la deuxième séance, présidée par l’ambassadeur de la Ligue arabe à Paris, Nassif Hitti, a bénéficié de l’expertise et de l’engagement de Jean Tabet, architecte, responsable de projets de réaménagement de la ville, de Nabil Itani, architecte en chef du projet CHUD concernant les cinq villes historiques (Tripoli, Byblos, Saïda, Tyr et Baalbeck), et de Mosbah Rajab, chef du département d’urbanisme à l’Université libanaise, chargé de l’urbanisation de la ville. Jad Tabet a entraîné l’auditoire dans une promenade passionnante allant du port de Tripoli à la vieille ville et au château de St-Gilles, et traversant le centre, en expliquant le projet de réhabilitation du paysage urbain historique de la vieille ville, un projet qui attend d’être soutenu par l’État pour être réalisé. Il a rappelé, « au passage », le « joyau délaissé » que constitue la foire internationale d’Oscar Niermeyer. Nabil Itani a, pour sa part, présenté le projet du CHUD portant sur la ville historique de Tripoli, soutenu par la Banque mondiale et l’Agence française de développement, et initié par le ministère de la Culture, en coopération avec plusieurs ministères concernés, des municipalités, des ONG et les collectivités locales, et d’un montant initial de 62 millions de dollars, aujourd’hui passés à 115 millions et prorogé jusqu’à 2017. Soulignant qu’un tel projet a pour but aussi de soutenir l’économie locale, il a souligné l’importance de la contribution du secteur privé.
Mosbah Rajab a présenté, pour sa part, le plan stratégique des villes d’al-Fayhaa, datant de 2008, et dont le but est de revitaliser les centres historiques de Tripoli et Mina sur les plans social, culturel et économique. Ce plan stratégique demande à être mis en œuvre, a-t-il lui aussi souligné, ajoutant qu’il a besoin du soutien politique des députés de la ville et de la région.
Cette question de la volonté politique qui permettrait l’exécution des projets a été d’ailleurs relevée par la plupart des intervenants et notamment encore dans la troisième séance.

La troisième table ronde
Suffit-il de classer une bâtisse pour la protéger ? Suffit-il de mettre un panneau, comme à Beyrouth, indiquant un « quartier à caractère traditionnel » pour assurer sa préservation ? La troisème table ronde, présidée par Bahjat Rizk, a tenté de répondre à cette question. Pour Khaled al-Rifaï, chargé de projets à la Direction générale des antiquités libanaises autour de la sauvegarde de la ville de Tripoli, il faudrait aider à la restauration et à la conservation des 300 sites classés à Tripoli, mais dont les 3/4 appartiennent à des particuliers. Cette problématique est probablement au cœur de la conservation du patrimoine libanais architectural et des vieilles demeures dans son ensemble.
Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques, chargé de la conservation du château de Versailles, a évoqué de manière concrète et technique, à travers la comparaison, les perspectives de valorisation du patrimoine de Tripoli, à partir de l’expérience de Versailles et de la Bourgogne. Il a pu avancer des suggestions qui ont déjà été établies et vérifiées sur le terrain, tout en les adaptant aux nécessités singulières de leur nouveau cadre d’application. Son intervention a rappelé que pour les Libanais, « Versailles et la Bourgogne sont des espaces qui les font rêver et dont ils se sentent familiers », comme l’a précisé Bahjat Rizk.
Cette affinité culturelle devait immanquablement se répercuter dans l’intervention de Daniel Alcouffe, ancien conservateur général du Louvre. À la question : « Pourquoi les Français doivent-ils aimer Tripoli ? » le conférencier a répondu en mettant en exergue l’héritage croisé. Un héritage fait aussi d’apports culturels et de rapprochement, comme n’a pas manqué le souligner Bahjat Rizk dans son introduction à la séance. Pour l’attaché culturel auprès de l’Unesco, les croisades, « tout en étant à la base agressives, ont tissé des liens culturels entre l’Orient et l’Occident, et ont permis aux deux mondes, au fil des siècles, au-delà de leur affrontement, de se connaître, se reconnaître, dialoguer et s’apprécier ». Ainsi donc, « les vestiges croisés font partie aujourd’hui de la mémoire commune et de l’histoire, de l’histoire de la France qui est venue sur cette terre et qui y a vécu durant presque deux siècles et de l’histoire de l’Orient qui a gardé ces vestiges, témoins de ce passage ». Et d’ajouter : « Le plus important c’est de retenir comment un lien négatif de guerre a engendré un échange culturel positif de part et d’autre. Ceci est également vrai pour toutes les conquêtes dans un sens comme dans l’autre. »
Clôturant le colloque, le maire de Tripoli, Nader Ghazal, a rappelé l’urgence de réduire la pauvreté dans la ville, soulignant l’importance d’un aménagement du territoire et de la mise à exécution des nombreux projets qui n’attendent que le feu vert et la coopération des décideurs politiques. Il a insisté sur l’engagement de la municipalité et sa volonté à mettre en œuvre le développement de la ville.
Enfin, un hommage appuyé devait être rendu en fin de journée au père Carmello Fenianos, directeur de l’école des Pères Carmes de Tripoli, qui a consacré 35 ans de sa vie à l’éducation de plusieurs générations de Tripolitains, dans un esprit authentiquement chrétien d’ouverture et de don de soi.
Dès le lendemain, le président de l’ASPT devait annoncer à L’Orient-Le Jour la formation prochaine à Paris d’un comité de suivi des projets de sauvegarde de Tripoli, composé d’organismes indépendants et de personnes engagées.
Tripoli, son patrimoine architectural, sa mémoire archéologique et culturelle, ses traditions artisanales et culinaires, la « ville de la science et des savants », des orangeraies et de l’olive, irriguée par un fleuve devenu matamore (Abou-Ali) après avoir baptisé la « Kadisha » sur les hauteurs en amont, « Tripolis – la ville triple », dont les monuments chargés...
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