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À La Une - Exposition

La mort vue d’en face avec Tagreed Darghouth*

Les mots et les images ne sont pas toujours ce qu’ils sont. Ils peuvent cacher des horreurs insondables. Une jeune femme, Tagreed Darghouth, a utilisé le bouclier de la peinture pour en parler. Avec poigne et violence.

Des toiles qui parlent de mort pour exprimer une révolte, un refus de tout travestissement de la vérité...  (Photos Michel Sayegh)

Quarante toiles, à la galerie Agial, toutes dimensions confondues, parlent de bombes en attente de carnage, de champignons atomiques et de crânes mortuaires hideux. Du haut de ses frêles 33 ans, traits fins d’une poupée aux cheveux raides et aux yeux clairs, pour sa cinquième exposition en solo, Tagreed Darghouth dénonce, sans édulcorant, une société barbare à visage humain.
Venue d’un esprit hindou inspiré par Le Cantique de la mort, cette exposition se place d’emblée sous le signe de la révolte, de la contestation, du refus de tout travestissement de la vérité et d’un certain militantisme social. L’artiste, sérieusement documentée et appliquée dans une recherche approfondie, a frayé son chemin à travers des mots innocents mais paradoxalement, voire cyniquement, chargés de sang. Comme ces nauséeux médicaments dynamités de sucre pour être mieux avalés. Dorer la pilule, tel est le principe des armuriers, tueurs aveugles et sans états d’âme.
Pour se déculpabiliser des crimes à commettre, sous le regard d’Oppenheimer, du Fat Man (L’homme gros), une ribambelle de termes à connotations enfantines naïves ou pseudopoétiques: Rainbow (L’arc-en-ciel), The Red Rose (La rose rouge), The Blue Danube (Le Danube bleu), The Green Grass (L’herbe verte), The Red Shoe (La chaussure rouge), Ulysse, Cormoran. Mais qu’on ne s’y trompe pas car, derrière ces charmants termes de fleurs, de personnages mythiques ou d’oiseaux, par-delà ces masques aux verbes rassurants, se cachent des faucheurs impitoyables, comme ceux qui ont nourri Nagasaki, Hiroshima ou aujourd’hui d’autres points chauds de la planète, aussi bien en Afghanistan qu’en Afrique ou au Moyen-Orient.

La peinture, moyen d’expression
Pour cette jeune femme peintre née à Saïda, férue de Gabriel Garcia Marquez (son livre de chevet est Cent ans de solitude qu’elle lit en version arabe !), savourant les rythmes et cadences des Pink Floyd et Cesare Evoria, aussi bien que Chahran Naziri ou Ghazabi, admirant les pinceaux de Lucien Freud, E. Hopper, de Koenig et Soutine, la peinture, malléable, docile et souple acrylique, est certes «son moyen d’expression vital, mais aussi une source de plaisir et de jugement», souligne-t-elle. Pourquoi l’acrylique plus que d’autres matières ou matériaux? «Tout simplement parce que je peux rester à peindre du matin au soir, sans m’arrêter. Et tout supprimer si j’en ai envie et recommencer autre chose», dit-elle avec un sourire amusé.
Méditation funèbre, contemplation de l’être et du néant, image de l’anonymat humain sous terre, mais aussi besoin de transparence et de mansuétude devant ces sapins qui fleurissent au coin d’une orbite oculaire creuse, de ces fonds de partition «straussienne», d’une valse de la mort avec trou nasal béant comme une fosse commune, de ces petits lapins qui grignotent des herbes folles comme la mort ronge par surprise des vivants brusquement déchiquetés.
Tout à côté sont assoupies des bombes, noires comme des crotales tapis à l’ombre, comme des requins féroces et voraces. Des étoiles les auréolent (pas pour rien que cet engin de la mort se nomme Polaris) comme d’ironiques et impitoyables compagnons pour un dernier voyage.
Mille soleils éclatés forment les ombrelles fumigènes des bombes nucléaires, une vision dantesque. Un arc-en-ciel aux couleurs de l’enfer que ces gigantesques champignons aux volutes volatiles que, cependant, même les siècles ont du mal à éradiquer.
Gothique, stridente, «boschienne» dans l’expressionnisme de sa tourmente, ses difformités et ses angoisses, voilà une peinture, en grands aplats soigneusement travaillés pour les nuances et les reliefs, qui sort du rang et qui ne ménage pas plus les cimaises que le visiteur.
Et pourtant, on s’arrête devant ces toiles aux couleurs de terre, de métal, de cendre, de feu. La confrontation, non sans gêne provocation ou dérangement, est une prise de conscience. Conscience de l’honnêteté de l’être avec autrui. Autrui, ce frère inconnu mais si proche, dans une humanité souffrante.

* Galerie Agial, rue Abdel Aziz, Hamra.
L’exposition dure jusqu’au 24 décembre.
Quarante toiles, à la galerie Agial, toutes dimensions confondues, parlent de bombes en attente de carnage, de champignons atomiques et de crânes mortuaires hideux. Du haut de ses frêles 33 ans, traits fins d’une poupée aux cheveux raides et aux yeux clairs, pour sa cinquième exposition en solo, Tagreed Darghouth dénonce, sans édulcorant, une société barbare à visage humain. Venue...

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