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Nos Lecteurs ont la Parole

Foutue boîte de corn flakes !

Hala MOUBARAK
Une boîte de corn flakes... Oui, parfois une boîte de corn flakes peut prendre la place du glas nietzschéen que l’on sonne pour réveiller le révolutionnaire qui hiberne depuis plusieurs mois en vous. Enfin, pour moi ce fut le cas... Vous allez me demander ce que cette foutue boîte a à voir avec la révolution, le printemps arabe, ou autre nouvelle. Vous vous dites sûrement que je perds les pédales. Mais pour vous dire la vérité, une boîte de corn flakes peut changer votre regard sur la politique, le social et l’économie sans que vous puissiez résister à la tentation de vouloir changer le monde.
Je peux être vraiment idéaliste parfois ! Mais il a suffi que j’aille acheter une boîte de corn flakes, il y a tout juste un mois, pour me rendre compte que cette même boîte, avec la même silhouette svelte « K », le même carton, le même logo, avec le même coq sénile, a évolué côté prix, en faisant un bond de plus de 2000 livres libanaises en moins de deux semaines.
Alors en perdant les kilos pour maintenir la silhouette «K», nous perdons aussi 2000 livres libanaises.
Il a suffi à nos chers politiciens d’évoquer la hausse des salaires pour que les prix grimpent. Non seulement la hausse des salaires n’est toujours pas intervenue, mais en plus les supermarchés ont déjà adopté la loi en saignant nos poches. Comment suis-je supposée alors imaginer ma vie d’adulte, de future mère, d’architecte épanouie, alors que nous vivons dans une angoisse permanente qui ne fait que s’installer avec un peu plus de cohérence jour après jour ? Quel avenir pourrai-je offrir à ce pays qui ne fait que se noyer de plus en plus dans une politique qui ne se transmet que par le sang et l’adulation d’un dieu qui trouve sa place partout au sein de nos lois, de nos décisions, de notre politique, de nos stratégies.
Révolutionnaire, je le fus en lisant Le Journal d’Anne Frank à l’âge de 14 ans quand d’autres filles s’imaginaient princesses, en se tortillant devant un miroir pour voir l’évolution de leurs courbes.
Révolutionnaire, je le fus en portant des jeans « pattes d’ef » à l’école, en roulant une « keffieh » palestinienne autour de mon cou et en évoquant Marx, n’ayant lu que quelques pages d’un Capital trop compliqué pour mes 16 ans.
Révolutionnaire, je le fus quand je me foutais des surnoms que pouvaient me donner mes camardes de classe allant de « la communiste » au lapin de Pâques.
Révolutionnaires, je le fus en écoutant Ziad Rahbani et en me comportant tout comme lui, en récitant ses pièces de théâtre comme si j’en faisais partie, et en fréquentant le Horseshoe ou le bar de chez André enterré il y a des lustres.
Révolutionnaire, je le fus en voulant faire un métier d’homme, parce qu’une femme ne peut être architecte d’intérieur, mais bel et bien décoratrice – allez comprendre pourquoi. Mais le mot architecte doit être accompagné d’une partie ajoutée et non d’un vide.
Révolutionnaire, je le fus en étant un cri, en défendant les droits des femmes, en évoquant la violence faite aux femmes, en présentant un projet de fin d’études pour décrocher un diplôme en ne faisant que répéter le combat de ma mère, de celui de ma grand-mère.
Révolutionnaire, je le fus en mettant mon art au service des droits légitimes de tout être humain, en renonçant aux guerres pour recoudre les enfances détruites aux sons de canons et de
mitraillettes.
Révolutionnaire, je le fus en étant obligée de quitter Beyrouth pour travailler en plein désert, loin de ma famille, de mes amis, de mes amours, de tout ce qui fait de moi une jeune femme épanouie.
Révolutionnaire, je le fus en rentrant au Liban avec l’espoir de me battre pour un meilleur avenir, pour retrouver un équilibre au milieu de ce Beyrouth que j’aime, que je méprise, que j’adule, que je hais.
Révolutionnaire, je le fus en travaillant tous les jours, en supportant les embouteillages de tous les jours, en rêvant d’un meilleur lendemain.
Et, enfin, révolutionnaire...
Avec ma boîte de corn flakes qui coûte 2 000 livres libanaises de plus que la veille, et mes silences en apesanteur qui me ligotaient sur place.
Foutue boîte, foutu pays, foutu monde, foutu tout !
Oui, tout est foutu. Quand des films iraniens sont éliminés du Festival du film de Beyrouth pour avoir dénoncé la révolution islamique. Quand la politique chez nous est un droit héréditaire. Quand le pays crie famine et que le peuple ne fait qu’applaudir les mêmes dirigeants. Quand des parents n’ont pas de quoi payer la scolarité de leurs enfants. Quand des politiques nous parlent de Dieu et que les hommes de Dieu se mêlent de politique. Quand nous nous rendons compte que nous sommes un pays du quart monde. Quand tout va et tout fuit, et qu’au final tout le monde s’en fout, parce que le Libanais s’adapte très vite à toutes sortes de circonstances, même les plus rocambolesques.
Foutue boîte de corn flakes qui aurait dû déclencher une révolution ! Une vraie. Qui n’a ni couleur, ni date, ni mars, ni chiffre, ni arriviste.
Foutue boîte de corn flakes, quand tout fout le camp!

Hala MOUBARAK
Une boîte de corn flakes... Oui, parfois une boîte de corn flakes peut prendre la place du glas nietzschéen que l’on sonne pour réveiller le révolutionnaire qui hiberne depuis plusieurs mois en vous. Enfin, pour moi ce fut le cas... Vous allez me demander ce que cette foutue boîte a à voir avec la révolution, le printemps arabe, ou autre nouvelle. Vous vous dites sûrement que je perds...

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