Le constat, impitoyable dans sa lucidité, tient en trois mots : « The unwinnable war ». Il est d’une journaliste, Aryn Baker, qui connaît bien son sujet pour en avoir suivi les péripéties dès le début et s’y être identifiée au point de prendre pour époux un Américano-Afghan, de doter sa fille âgée de deux mois d’un passeport local (ce qu’elle regrette, écrit-elle) et, dix ans jour pour jour après le 7 octobre 2001, de juger désespérante la situation. Bilan en quelques chiffres, combien éloquents dans leur sécheresse : 444 milliards de dollars ont été engloutis dans cette guerre à faces multiples qui a fait, côté américain, près de 2 000 tués dont 1 786 GI et 14 342 blessés. Les premiers temps, le taux de croissance de l’économie était de 10 pour cent, principalement grâce aux injections des États-Unis. Aujourd’hui, on préfère taire les chiffres, devenus ridiculement bas. Après le retrait total des troupes de l’OTAN, il faudra 5 milliards de dollars par an pour créer un embryon de forces de sécurité (armée et police), soit le tiers du produit intérieur brut et le triple des recettes du Trésor de l’an 2010. D’ici à ce que nous soyons en mesure de compter sur nous-mêmes, nous aurons besoin d’une aide étrangère, a dit le ministre de la Défense, Abdul Rahim Wardak, qui s’est bien gardé d’avancer une date. William Patey, ambassadeur de Grande-Bretagne, évoque, lui, celle de 2025 et un soutien militaire qui s’étendrait bien au-delà de ce délai limite.
Insensible, dirait-on, à ces chiffres préoccupants, l’administration démocrate s’applique à respecter un programme établi bien avant la dégradation de la conjoncture politique, économique et militaire. Plus question de « surge » : 3 000 hommes de troupe ont déjà été rappelés, 10 000 soldats auront regagné leurs foyers d’ici à décembre prochain et le total atteindra 23 000 l’été prochain, sans que les boys y perdent de leur combativité, a affirmé le général Daniel B. Allyn, responsable de la région est, une zone comprenant quatorze provinces limitrophes du Pakistan où prévaut, entretenue par le réseau Haqqani, une inquiétante insécurité, délicat euphémisme cachant bien mal un chaos qui n’augure rien de bon pour l’avenir.
Douillettement à l’abri dans leur sanctuaire du Nord-Waziristan, les combattants de ce groupe opèrent de fréquentes incursions dans les territoires voisins pour d’audacieuses opérations. L’attaque de l’ambassade américaine à Kaboul, le 13 septembre, c’est eux, tout comme l’explosion d’un camion piégé dans la province de Wardak ; eux aussi les innombrables raids contre des objectifs de la coalition. Au fil du temps, l’Amérique en est venue à conclure que Haqqani est plus dangereux encore que les talibans et même qu’il ne serait que le « bras armé » de l’Inter Services Intelligence (ISI), les redoutables services d’espionnage pakistanais dont le jeu double inquiète au plus haut point les gradés yankees.
Les USA ont fait un rêve : voir Islamabad déclencher une vaste offensive contre les forces rebelles retranchées dans les zones est et sud, soit le long d’une frontière de 2 430 kilomètres. La réponse est venue hier, sans appel : « Il importerait plutôt de se consacrer à une stabilisation de l’Afghanistan, a déclaré le chef d’état-major, le général Ashfaq Kayani. C’est à nous et à nous seuls de décider du moment où une telle opération devrait être conduite. Les Américains feraient mieux de réfléchir par dix fois avant d’entreprendre une action unilatérale ; s’il nous faut le faire, ce sera à un moment choisi par nous et suivant nos possibilités. Ici, ce n’est pas l’Irak. »
Principal concerné, le régime de Hamid Karzaï semble totalement dépassé par une guerre à trois qui pourrait englober, et plus tôt que prévu, un quatrième partenaire : l’Inde. Pourtant, il y a là tous les ingrédients d’une imminente déstabilisation à l’échelle régionale, mondiale peut-être. Certains commencent même à regretter l’époque où régnait la théocratie instaurée par le mollah Omar, dans un pays de cocagne comparé au narco-État d’aujourd’hui, gangrené par la corruption. Mardi, les services de renseignements ont arrêté un faussaire qui imitait les signatures du président, des ministres de la Défense et de l’Intérieur, du responsable de la circulation et du chef du Sénat. On applaudit à l’exploit, mais il faudra maintenant aux intéressés de songer à modifier leur contreseing.
Pays en déshérence cherche Pénélope désespérément.
commentaires (6)
En 2 phrases, vous aves tout et bien dit, Marie jose! Bravo!
Ali Farhat
16 h 06, le 20 octobre 2011