Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Liberté, égalité… sans fraternité ?

Par Antoine MESSARRA

Il fallait le cadre serein de Venise pour vivre et réfléchir de façon opérationnelle les mutations socio-économiques dans la mondialisation d’aujourd’hui à la lumière des exigences à la fois éthiques et théologiques.
Le collège international d’été de l’Asset (Alta Scuola Societa Economia Teologia – Haute École de théologie socio-économique), les 14-17 septembre 2011, a réuni, outre les étudiants, des spécialistes de sept pays européens, américains et moyen-orientaux pour débattre le thème : « Le pouvoir de la raison : repenser l’économie et la politique ».
Les allocutions introductives montrent que « les nouvelles solutions d’ordre technique sont insuffisantes » (Recteur Mgr Brian Edwin Ferme ; Alberto Peratoner, directeur de l’Asset ; Simona Beretta, professeur d’économie internationale ; et le cardinal Angelo Scola, archevêque de Milan). Citant le pape Benoît XVI, le cardinal Scola relève : « La dimension éthique n’est pas étrangère aux problèmes économiques, mais inhérente et fondamentale, incluant trois responsabilités : nationale et non seulement individuelle, internationale, et pour l’avenir. »
Plus de quinze communications et les débats sont centrés sur deux volets : la problématique actuelle en vue d’une économie plus humaine, et les perspectives et priorités d’avenir.

 

***
 

Qu’est-ce qu’une bonne économie ? L’économie est-elle, dans son enseignement et l’évolution du marché, une science humaine, non en tant que classification académique, mais dans son contenu et sa finalité ? Trois idées forces méritent d’être relevées :
1. Récupération clientéliste des politiques socio-économiques : à défaut de courroies de transmission, en vue de l’accessibilité des prestations aux usagers, consommateurs et bénéficiaires, notamment par le canal des administrations publiques, des syndicats et organisations professionnelles, des médias et d’acteurs vigilants dans la société civile, des politiques publiques socio-économiques sont détournées par des élites au pouvoir en vue de l’extension du réseau de clientélisme.
2. La fraternité marginalisée : liberté et égalité sont des principes fondamentaux et complémentaires. Mais à la limite, les deux principes sont antinomiques du fait que même dans les meilleures conditions d’égalité des chances, l’acteur volontaire et libre accède à un statut qui le différencie nécessairement d’autres personnes et groupes.
Ce qui équilibre le binôme liberté et égalité, c’est la fraternité, le plus souvent marginalisée dans l’éducation à la démocratie, l’engagement pour les droits de l’homme et, plus généralement, dans la culture politique dominante centrée presque exclusivement sur les droits individuels aux dépens du lien social, de l’ordre public, de l’intérêt général et de la solidarité.
3. La raison économique : la vogue de la scientificité débouche sur une économie, non pas en tant qu’oikonomia (gestion de la maison), mais économétrie. Face à la raison ratiocinante, il est utile « de joindre la raison à la recherche du sens », de revenir à la raison pragmatique et humaniste du siècle des Lumières. « L’économie, souligne-t-on, crée une réalité, mais ne peut à elle seule en appréhender le sens et l’universalité qui se situent entre raison et vérité. »

Quelles priorités ?
 Il découle de la rencontre de Venise nombre de perspectives prioritaires en vue de « réponses réelles et concrètes » hors de généralités connues et en faveur d’une plus large et effective justice sociale. On ne peut, comme dans nombre de milieux d’universitaires et d’experts, occulter le citoyen en tant que bénéficiaire de toute planification socio-économique.
1. Méthode d’analyse et de thérapie : comme on ne peut étudier des phénomènes nouveaux avec des approches conventionnelles, il faudra privilégier les études de cas, basées sur l’observation et l’expérience.
2. Indicateurs, démocratie de proximité et bonnes pratiques : on en a assez de la détermination exhaustive par des organisations internationales des principes, exclusivement institutionnels et techniques, de la bonne gouvernance. Il faudra désormais des normes d’effectivité et d’accessibilité aux prestations scolaires, sanitaires, de logement... en vue de la réalisation concrète des exigences de justice sociale, de réduction du décalage de plus en plus croissant entre riches et pauvres, et pour éviter la consolidation du népotisme social en clientélisme politique. Quelles sont les bonnes pratiques socio-économiques porteuses de sens, d’impact, de solidarité fraternelle dans la qualité de vie au quotidien de gens réels et non de pourcentages statistiques formels.
Les académiques non mêlés à la vie professionnelle socio-économique, ni engagés dans la société civile, peuvent difficilement être pluridisciplinaires et envisager les dimensions pratiques et vécues de l’économie. Il en est certes qui ont été mêlés directement à la vie professionnelle et engagés dans la vie publique, mais une fois embrigadés dans des milieux académiques ou dans des organisations internationales et des associations, ils suivent le courant dominant de la recherche bureaucratique déconnectée de la dimension du service, de la « charité dans la vérité » (Caritas in Veritate).
3. Le socio-économique transcommunautaire : dans les sociétés plurales, ce sont les droits socio-économiques, à la différence des logiques identitaires, qui sont, en raison de leur caractère transcommunautaire (croscutting), facteur de dépolitisation des clivages, de solidarité et d’unité.
4. La citoyenneté socio-économique : le citoyen conscient de ses droits au quotidien est plus lucide et vigilant face à l’illusion politique propagée par des médias, à la tyrannie de l’opinion, à la manipulation politique et, pire, face à la fin du politique dans le monde d’aujourd’hui où le politique est souvent réduit à la polémique. Une stratégie socio-économique humaniste applique le principe : penser global et agir local. C’est au niveau micro en effet que la capacitation (empowerment) citoyenne joue à plein et de façon concrète, visible et contagieuse.
Les quatre pouvoirs de la politique, de l’argent, de l’intelligentsia et des médias, autrefois relativement distincts, forment aujourd’hui un même bloc. On a donc besoin d’un cinquième pouvoir qui émane d’institutions religieuses engagées dans la défense des droits de l’homme, d’organisations syndicales et professionnelles et d’une société civile qui développe des valeurs de civilité. La revitalisation des syndicats et organisations professionnelles et des conseils économiques et sociaux est facteur de changement.

 

***
 

On se demande à Venise si cette île où le temps s’est arrêté est bien un lieu réel. Il y a là moyen de rêver à des perspectives humaines et universelles.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel. Professeur

Il fallait le cadre serein de Venise pour vivre et réfléchir de façon opérationnelle les mutations socio-économiques dans la mondialisation d’aujourd’hui à la lumière des exigences à la fois éthiques et théologiques. Le collège international d’été de l’Asset (Alta Scuola Societa Economia Teologia – Haute École de théologie socio-économique), les 14-17 septembre 2011, a...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut