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Culture - Exposition

Saloua Raouda Choucair, une trajectoire hors normes

Le Beirut Exhibition Center organise, avec le soutien de la galerie Agial, jusqu’au 13 novembre, une rétrospective des œuvres de Saloua Raouda Choucair. Une occasion de saluer les 70 ans de ce parcours extraordinaire.

Modules sculptés, des formes qui ont leur « raison d’être ».

En pénétrant l’espace blanc et aéré du Beirut Exhibition Center, on ne peut qu’être happé par un double sentiment: celui du respect et de la déférence envers ce travail fastidieux, mental et physique, d’une part, et, de l’autre, par un regret mêlé d’un immense chagrin pour ce magnifique et riche parcours souvent méconnu ou non reconnu.
Saloua Raouda Choucair ou «nul n’est prophète dans son pays», telle est la première idée qui traverse l’esprit.
L’installation en objets et travaux divers de cette vie si riche est certes un acte méritoire, car il était difficile pour la curatrice Hala Choucair de réunir et de monter tous les éléments composant cette trajectoire peu ordinaire et cet art différent de tous les autres. Il a fallu donc que sa fille ait pensé honorer sa mère en organisant cette rétrospective pour réaliser combien le Liban est ingrat envers tous ses artistes, toutes disciples confondues...
Comment résumer Saloua Raouda Choucair? Comment la confiner dans des salles alors qu’elle a toujours été rebelle et réfractaire à toute labellisation? Afin de rendre cet hommage vibrant et de témoigner avec véracité du corps de
l’œuvre, il a fallu à Hala Choucair plus d’un an de recherches et
d’installation.

Une vie en étapes
L’exposition est comme divisée en plusieurs étapes: les premières années intitulées «L’ennui du réalisme» (de 1941 à 1949); la trajectoire de 1951 à 1961, ou la découverte de l’abstraction de l’art islamique; les «Sculptures diptyques» de 1975 à 1985 ou la pensée soufie en matière; les «Poèmes» ou les sculptures rythmées de 1960 à 1968; les modules en peinture (1947-1957), en sculpture (1980 à 1985); les projets pour jardin et jets d’eau (de 1970 à 1990); la trajectoire de l’arc (1970-1975) et les dernières années (1990-1996).
Saloua Raouda Choucair a accompagné les différents courants artistiques de l’Occident. Après avoir participé à ce brassage d’idées et de cultures dans la Ville lumière, suivi des cours académiques et travaillé même avec Fernand Léger, l’artiste claque la porte du classicisme et plonge la tête en avant (en parfaite nageuse qu’elle est) dans l’abstrait.
Son art est en construction permanente. Puisant les règles et les structures dans l’abstrait, il se nourrit surtout de
l’art islamique et se teinte de spiritualité.
Saloua Raouda Choucair n’a jamais rien fait comme les autres. En travaillant dans l’atelier de Léger, elle ne s’est pas seulement contentée de copier le style, mais a tenté, avec humour, d’aller au-delà. En réalisant une toile, l’artiste ne pense pas l’accrocher au mur, mais à l’y fondre.

Une recherche audacieuse
Allant au-delà du formel et de l’esthétique, l’artiste a cherché à découvrir l’essence et la signification d’un corps d’œuvre. Ainsi, si pour l’esprit lambda, l’art islamique a toujours refusé de représenter des figures, Saloua Raouda Choucair a compris les raisons de ce choix. C’est parce que, dans la pensée islamique révolutionnaire à cette époque, Dieu est infini. Il est illimité. Il ne pourrait être représenté que par le trait et le point. C’est à partir de ce concept que l’artiste, curieuse de tout, se met à construire sa vision d’un art personnel. Les croquis ne demeureront pas sur papier, mais pendront à loisir la forme d’un meuble, d’un tapis, d’un banc, de sculptures, de modules. Une pléiade de structures en parfaite harmonie avec une pensée, un cheminement.
Rien n’est fait au hasard chez Saloua Rouda Choucair. Dans cette quête incessante, l’artiste rebelle semble interroger constamment les galaxies, la terre et l’espace dans lesquels elle a voulu se fondre. Et pourtant, celle qui a su transcender son esprit scientifique et sa créativité pour une spiritualité cosmique, retournant au pays en dépit de tout, n’a pas vu son travail récompensé. Elle continuera quand même à travailler, à renverser les normes pour en créer de nouvelles, à élargir les horizons de l’art, à véhiculer sa vision dans ce qu’elle appellera des poèmes. Non pas à travers la rime, mais par des réalisations concrètes tant dans la pierre, le textile, que les arcs cousus de fils transparents. «La forme n’est plus que langage, vocabulaire», dira le critique Samir el-Sayegh.
Visible à l’œil nu, cette forme cache des vérités absolues, l’essence de la création. Comme si l’artiste a voulu toute sa vie interroger cette dernière. Insatisfaite des balbutiements de son œuvre picturale, Saloua Raouda Choucair est allée à la rencontre de nouveaux
médiums.
Confrontant le creux et le plein, le plat et le saillant, le rond et le cubique, l’intérieur et l’extérieur, elle a développé un art complet, sous-tendu par une pensée solide, sans failles. Et pourtant ses croquis, la plupart jusqu’à présent sans échos, attendent d’être
exécutés.
En pénétrant l’espace blanc et aéré du Beirut Exhibition Center, on ne peut qu’être happé par un double sentiment: celui du respect et de la déférence envers ce travail fastidieux, mental et physique, d’une part, et, de l’autre, par un regret mêlé d’un immense chagrin pour ce magnifique et riche parcours souvent méconnu ou non reconnu. Saloua Raouda Choucair ou «nul n’est...

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