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Couverture spéciale de la révolte en Tunisie - Éclairage

À quoi servent les procès contre Ben Ali ?

« Amuser la galerie » ou faire pression sur l’Arabie saoudite pour qu’elle extrade l’ex-président, les avis sont partagés en Tunisie.
Trois procès en un mois, déjà plus de 66 ans de prison prononcés, une centaine d’affaires à l’instruction : l’ex-président tunisien Ben Ali, réfugié en Arabie saoudite, n’en a pas fini avec la justice de son pays, mais certains doutent de l’utilité de ces procès à répétition.
Chassé du pouvoir le 14 janvier par un soulèvement populaire, Zine el-Abidine Ben Ali a déjà été jugé par contumace pour détournement de fonds, détention d’armes et de stupéfiants, fraudes immobilières et abus de pouvoir. Sa famille proche, notamment son épouse Leïla Trabelsi et son gendre Sakhr al-Materi, qui ont réussi à s’enfuir avec lui, ont également été condamnés dans certains de ces dossiers. Mais la charge symbolique du premier procès, le 30 juin, et la curiosité qu’il avait suscitée, a vite cédé la place à une certaine lassitude et aux critiques, de plus en plus vives, sur le sens de ces audiences d’une journée qui s’achèvent inévitablement par des condamnations.
« Ça sert à calmer la foule et à gagner du temps. Mais au bout du compte on ne sait même plus de quoi il s’agit, alors qu’il faudrait un procès pour l’histoire », commente l’ancien juge Mokhtar Yahyaoui. Tout en reconnaissant que les procès par contumace sont « purement formels » et repartiraient de zéro au cas où l’accusé serait présent, il déplore le caractère expéditif des audiences. « Les grands responsables, les personnages-clés, n’ont pas été cités à comparaître, alors qu’ils devraient à tout le moins être entendus comme témoins », regrette-t-il, en soupçonnant « une volonté délibérée de cacher des choses, de protéger des gens ».
Une analyse partagée par Omar Mestiri, journaliste et militant des droits de l’homme, persécuté sous Ben Ali. « Ce sont des procès pour amuser la galerie, alors qu’on a besoin de quelque chose de sérieux. C’est trop facile et dangereux de tout ramener à un seul homme, qui de plus n’est pas là pour répondre de ses actes », déclare-t-il. « Nous, on voudrait le procès du système Ben Ali. Il faudrait instruire, mettre au jour ses mécanismes. Il faudrait aussi donner le droit à la défense et permettre une instruction contradictoire », ajoute le directeur de la radio Kalima. « Prenons le système des fraudes électorales : Ben Ali en a été le principal bénéficiaire mais il y a des centaines de députés qui ont émargé à ce système. Prenons les appels d’offres qui ont permis au clan de mettre le grappin sur l’économie. Des administrations ont été complices de ça, où sont les responsables ?
Qui a lancé les campagnes de diffamation, qui a soudoyé les médias ? Qui a torturé des milliers de citoyens ? » énumère-t-il. « Toutes ces questions-là, on évite d’en parler et on évite de les poser », résume M. Mestiri.
« Ces procès ne servent absolument à rien », assène Hosni Béji, avocat de la famille Ben Ali dans plusieurs dossiers. « À quoi vont servir les 700 ou 800 ans de prison qui vont lui être infligés au bout du compte ? Il faudrait des années d’investigation, des années d’expertise, pour juger un tel système », martèle l’avocat, qui dénonce « l’atmosphère exécrable » dans laquelle baignent les audiences. Salles bondées, chahut, sonorisation épouvantable, public qui hue ou interpelle les avocats et les prévenus : « Ce ne sont pas les conditions d’une justice paisible ou équitable », souligne Me Béji.
Mais pour l’accusation, ces procès « servent à faire connaître au peuple tunisien ce qui s’est passé dans le pays » et permettront peut-être de faire pression sur l’Arabie saoudite, jusqu’ici restée sourde aux demandes d’extradition de Ben Ali formulées par la Tunisie.
(© AFP)
Trois procès en un mois, déjà plus de 66 ans de prison prononcés, une centaine d’affaires à l’instruction : l’ex-président tunisien Ben Ali, réfugié en Arabie saoudite, n’en a pas fini avec la justice de son pays, mais certains doutent de l’utilité de ces procès à répétition.Chassé du pouvoir le 14 janvier par un soulèvement populaire, Zine el-Abidine Ben Ali...