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Couverture spéciale de la révolte en Tunisie - Reportage

Dans le bassin minier tunisien, horizon bouché et grèves à répétition

« Cette région est punie, elle l’a été sous Bourguiba, sous Ben Ali, et elle va l’être encore maintenant », affirme un habitant.
« Ici, tu travailles à la mine ou tu fais du marché noir avec l’Algérie. C’est tout. » L’horizon reste désespérément bouché dans le bassin minier du sud-ouest de la Tunisie, une région vivant sur un modèle économique dépassé et qui n’a retiré aucun dividende de la révolution. Le gouvernorat de Gafsa, 400 000 personnes, est paradoxalement un des plus déshérités – des estimations non officielles font état de 55 à 60 % de chômage – et l’un des plus riches de la Tunisie, en raison de ses ressources en phosphates. C’est aussi le précurseur de la révolution tunisienne, soulignent ses habitants, imprégnés de la mémoire des émeutes de 2008, qui durèrent plus de six mois et furent durement réprimées par le régime du président Ben Ali.
La Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), installée depuis la fin du XIXe siècle, est le 5e producteur mondial et fait vivre directement ou indirectement toute la région. Mais elle n’emploie plus que 5 000 personnes contre 13 000 au début des années 80, et le modèle économique qu’elle a imposé à toute une région est aujourd’hui très fortement contesté. « La CPG a mobilisé toute la main-d’œuvre, toute l’infrastructure. Même l’agriculture est impossible, car l’eau a été monopolisée pour le nettoyage des phosphates. Il faut sortir de ce modèle économique, mais personne ne semble s’y intéresser », dénonce Ali Labidi, un entrepreneur en bâtiment, « indépendant de gauche », emprisonné sous Zine el-Abidine Ben Ali. « Cette région est punie, elle l’a été sous Bourguiba, sous Ben Ali, et elle va l’être encore maintenant », renchérit son frère Ridha. « Le gouvernement provisoire a fait rêver les gens, ils ont fait des promesses et puis au bout de 4 mois ils se sont aperçus qu’ils n’avaient rien à donner. Le résultat, c’est que pour acheter la paix sociale ils font n’importe quoi, cèdent à toutes les revendications, et ne réfléchissent pas à un nouveau modèle », ajoute-t-il.
Depuis la chute du régime de Ben Ali, en janvier, les grèves se sont multipliées dans le bassin minier. La CPG n’a travaillé qu’à 20 % de ses capacités dans les trois premiers mois ayant suivi la révolution, selon un de ses dirigeants, Khaled ben el-Hammami. La plupart de ses sites sont restés bloqués par des ouvriers réclamant des indemnités pour les familles des « martyrs » de 2008, de nouvelles embauches, des augmentations salariales... La CPG a promis l’embauche de 3 000 personnes, quand, de l’avis même de son directeur, elle n’a pas besoin de plus de 1 500 nouvelles recrues. Elle a aussi financé d’autres projets, à hauteur de 300 millions de dollars, telle la construction de locaux flambant neuf pour un équipementier automobile japonais, Yasaki, ou des usines de confection. « Nous sommes une entreprise citoyenne qui essaye d’aider la région à maintenir son activité économique, mais nous ne pouvons pas tout », soupire M. ben el-Hammami.
Grèves et sit-in ne cessent pas. Yasaki envisage de se délocaliser au Maroc en raison des mouvements sociaux à répétition. L’Office national des céréales de Gafsa est fermé depuis près de trois mois, bloqué par d’anciens ouvriers réclamant leur dû impayé sous Ben Ali. 80 000 tonnes de blé et d’orge ont pourri dans les silos de l’usine abandonnée. « La révolution n’a rien changé pour cette région. Elle a juste permis une atmosphère d’anarchie. Des chômeurs marchent sur la route, tout à coup ils réalisent qu’ils sont chômeurs et ils bloquent la route. Ou alors, tu commences à bosser, quelqu’un arrive et te dit : “dégage”. C’est démoralisant », déplore Hedi, un journaliste de Gafsa. « Il faut faire attention. Il n’y a pas plus dangereux que des gens déçus », ajoute-t-il.
               ©AFP
« Ici, tu travailles à la mine ou tu fais du marché noir avec l’Algérie. C’est tout. » L’horizon reste désespérément bouché dans le bassin minier du sud-ouest de la Tunisie, une région vivant sur un modèle économique dépassé et qui n’a retiré aucun dividende de la révolution. Le gouvernorat de Gafsa, 400 000 personnes, est paradoxalement un des plus...