Le ministre égyptien des affaires étrangères, Nabil el-Arabi, lors de son élection, le 15 mai dernier, à la tête de la Ligue arabe./
Alors que les Etats-Unis, l'Europe, la Turquie et même récemment la Russie dénoncent la sanglante répression perpétrée par le régime de Bachar el-Assad contre les manifestations anti-régime, la Ligue arabe offre un autre son de cloche. Son secrétaire général, Nabil el-Arabi, en visite à Damas le 13 juillet dernier, a "salué les réformes initiées par les autorités syriennes". "La Ligue arabe refuse toute ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes et personne n'a le droit de retirer sa légitimité à un dirigeant car c'est le peuple qui le décide", a également affirmé M. Arabi à la presse, avant de souligner "l'importance de la stabilité en Syrie, nécessaire pour assurer la stabilité dans les autres pays arabes". Son prédécesseur, Amr Moussa, qui a ouvertement soutenu l’intervention militaire de la communauté internationale en Libye "afin de protéger les populations civiles", affichait, lui aussi, une certaine réticence au sujet de la crise syrienne : "Il y avait unanimité en Libye mais sur la Syrie il y a certaines hésitations en raison de considérations stratégiques et politiques", avait-il déclaré au quotidien britannique "The Guardian", le 22 juin dernier.
Comment expliquer le mutisme arabe face à la violente répression de la contestation en Syrie ?
"Les pays arabes paraissent penser qu’il n’y a pas lieu de jeter de l’huile sur le feu, particulièrement dans un contexte dans lequel Damas fait, par voie médiatique, des allusions indirectes à la collusion de certains d’entre eux avec les mouvements de protestation en cours. Certaines parties libanaises, l’Arabie saoudite, certaines tribus jordaniennes, ou encore le Qatar par l’intermédiaire de la chaîne al-Jazeera, sont ainsi considérés comme potentiellement coupables de soutenir tout ou partie des mouvements en cours, sans cependant que Damas n’ait été à même de prouver ses dires jusqu’ici. Ainsi, non seulement certains Etats arabes paraissent ne pas vouloir braquer plus encore le régime, mais de plus, le fiasco libyen tel qu’on y assiste à ce jour, ainsi que l’absence de volonté de beaucoup de pays arabes de faire référence à l’ensemble des configurations régionales plus ou moins exacerbées suivant le cas, dont le Bahreïn, le Yémen, et jusqu’à un certain point la Jordanie, semblent expliquer cette mise en sourdine officielle".
La Ligue arabe avait pourtant appelé à une intervention de l’ONU en Libye. En quoi la situation en Syrie diffère-t-elle ? Pourquoi, selon les Arabes, Bachar el-Assad n’est pas Mouammar Kadhafi ?
"Une fois encore, le cas libyen ayant prouvé l’absurdité des modalités d’intervention à l’encontre de ce pays, les pays arabes ne sont pas vraiment en mesure d’abonder dans le sens de la réitération d’une configuration similaire en Syrie. De plus, il ne faut pas oublier que les Arabes ne peuvent pas non plus aller plus vite que la musique. Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne sont les premiers à exclure tout scénario militaire, à ce stade à tout le moins. Les menaces de veto russe et chinois entravent tout aussi bien les possibilités de mesures musclées et coercitives. Pour le reste, il ne faut pas oublier non plus que comparaison n’est pas raison, et que le régime de Bachar el-Assad tient des fils autrement plus sensibles que ce n’était le cas de celui de Kadhafi. Ses relations avec l’Iran, ses liens avec le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien, et ce qui s’ensuit concernant la sécurité d’Israël, paraissent faire préférer un Bachar el-Assad contesté mais pas va-t-en-guerre sur le plan régional, plutôt qu’une alternative inconnue. Et ce d’autant plus que, qu'ils soient pro-démocratie ou pas, beaucoup d'acteurs de ce monde arabe redoutent que l’alternative potentielle à Bachar ait à le céder soit à un communautarisme rappelant l'Irak après la chute de Saddam Hussein, soit à l’institution d’un gouvernement à majorité sunnite qui ferait directement alliance avec l’Arabie saoudite".
Malgré ses relations orageuses avec la Syrie, l’Arabie saoudite, puissance régionale sunnite, garde le silence alors que Damas est ouvertement soutenu par l’Iran (et le Hezbollah). Comment expliquer la position saoudienne, en particulier, alors que des alliés stratégiques d’Assad, comme Ankara et Moscou, ont condamné la répression en Syrie?
"C’est une constante lourde qui s’est imposée à l’Arabie saoudite à travers son histoire diplomatique : ne condamner verbalement les régimes arabes qu’en dernier recours, et privilégier éventuellement l’action discrète à toute médiatisation de positions critiques. Il est vrai que les Saoudiens sont, depuis un bon moment, remontés vis-à-vis de Bachar el-Assad, particulièrement du fait de ses connexions avec l’Iran et le Hezbollah. Même si un réchauffement des relations syro-saoudiennes a prévalu à la fin 2009, il n’en demeure pas moins que les deux pays se regardent d’un œil suspicieux. Riyad verrait d’un très bon œil la chute de Bachar et de son régime. Mais l'Arabie ne pourra que difficilement prendre le risque d’exprimer officiellement cette position : non seulement parce que cela entrerait trop en contradiction avec l’accueil de l’ancien président tunisien Ben Ali sur son territoire, et le soutien octroyé jusqu’à la fin à Hosni Moubarak ; mais aussi parce qu’elle ne veut pas avoir à recoller les morceaux un jour, si Bachar el-Assad parvenait à se maintenir durablement à son poste".
- C'est si simple. Les uns ont déjà des soulèvements chez eux, et les autres, en sursis, attendent, chaque aube, que vienne leur tour. Anastase Tsiris
05 h 52, le 06 août 2011