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La Conférence du journalisme scientifique réunit à Doha des experts des médias de 87 pays

La science à l’heure du déni, entre croyances et rationalité

Pourquoi, à une époque où tant d’informations scientifiques sont si facilement disponibles et abondantes, a-t-on si souvent tendance à nier les réalités avérées ? La réponse à cette question nous emmène loin dans les profondeurs de l’esprit humain.
Une mère refuse de vacciner son enfant parce qu’elle pense que le vaccin est une des causes de l’autisme. Un « médecin » convainc le public qu’il peut opérer des patients sans chirurgie et au téléphone. Les campagnes contre les scientifiques qui planchent sur le réchauffement climatique se font de plus en plus agressives à mesure que les preuves de la réalité de ce phénomène mondial s’accumulent. Les rapports sur des fléaux mondiaux, comme la grippe A, sont souvent plus alarmistes que précis, entraînant des conséquences économiques et sociales considérables. Et ainsi de suite : les exemples de scepticisme à l’encontre d’arguments scientifiques, ou de promotion de ce qu’on appelle communément « pseudosciences » (des théories soi-disant scientifiques mais qui ne reposent sur aucune preuve), sont nombreux à une époque où la science est pourtant prédominante.
Plus d’une session sur l’opposition entre rationalité et croyances diverses a été organisée au cours de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui a eu lieu à Qatar récemment, organisée par la Fédération mondiale des journalistes scientifiques. Ce qu’il en ressort, c’est que le niveau de déni du public augmente à mesure que les données scientifiques sont plus abondantes.
La raison d’un tel comportement est à chercher dans la psychologie humaine, selon Shankar Vendantam, journaliste américain à la radio publique. Pour lui, le scepticisme du public peut provenir d’un manque de confiance dans des théories complexes difficilement compréhensibles ou qui comportent une part d’incertitude, comme celles qui concernent le changement climatique. De plus, ce sont souvent les émotions et les amitiés qui déterminent les croyances, d’où le fait qu’elles sont difficilement dissipées par des arguments scientifiques. Le journaliste distingue ainsi un genre de déni de mauvaise foi, tels les mensonges de l’industrie du tabac sur les liens entre tabagisme et cancer du poumon.
Si la cause profonde d’une croyance est émotionnelle, il n’est pas surprenant que les personnes concernées soient difficiles à détromper. La journaliste Deborah MacKenzie (New Scientist, Belgique), explique pourquoi de telles croyances sont solides : d’une part, elles nous procurent du bien-être (il est plus agréable de penser que le changement climatique est un grand mensonge que de faire des efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre...). D’autre part, nous avons tendance à adhérer à des histoires qu’on nous raconte, même si elles sont incroyables. Enfin, il est plus facile de rejeter la science que de reconnaître que notre vision du monde est fausse. La journaliste constate amèrement que les tentatives de rectifier le tir dans la presse entraînent souvent un attachement encore plus important aux croyances irrationnelles.
L’origine de ces croyances n’est pas que psychologique : la relation entre science et société a toujours été complexe, a constaté Yves Sciama, journaliste français. Celui-ci a exprimé son inquiétude du fait que la lune de miel entre l’une et l’autre, qui dure depuis le début du vingtième siècle, touche à sa fin. La popularité de la science, a-t-il estimé, a décliné depuis que celle-ci parle plus de contraintes que de promesses (exemple : il faut changer de mode de vie pour sauver la planète).

Les sciences et les « pseudo »
Pour faire face au déni, mieux vaut, selon Philip Hilts, responsable du Programme de bourses journalistiques au « Massachusetts Institute of Technology » (MIT) aux États-Unis, identifier les personnes qui tirent les ficelles, les vrais escrocs, non celles qui tombent dans le piège pour des raisons émotionnelles. Ce sont ces gens-là qu’il convient de mettre face aux scientifiques pour déjouer leurs intentions.
Le déni de la science n’est cependant pas le seul ennemi de la propagation de la science sérieuse. Il y a ce que Kendrick Frazier, journaliste américain du Skeptical Inquirer, qualifie de « parasite qui se tapit dans l’ombre de la science pour resurgir quand on s’y attend le moins » : les pseudosciences. Entre théories farfelues sur des cités perdues, ou remèdes miracles pour toutes sortes de maladies, etc., de tels sujets battent souvent les articles scientifiques dans les gros titres, de par leur potentiel de sensationnalisme et d’attractivité.
Faut-il pour autant baisser les bras ? Frazier pense que l’émergence des pseudosciences, dont les théories ne sont jamais basées sur des recherches mais invariablement sur de vagues témoignages, peut être perçue comme une chance d’éduquer le public en mettant en relief de véritables arguments scientifiques. Le face-à-face entre la science et son voisin de l’ombre pourrait, selon lui, présenter des avantages pratiques et intellectuels, en apportant des réponses à de véritables questions scientifiques qui préoccupent le public.
Le degré de scepticisme à l’encontre de certaines questions scientifiques modernes, avec sa part d’irrationnel, peut surprendre. Ce qui ne dispense en aucun cas, comme l’a fait remarquer un des intervenants, du devoir de jeter un réel regard critique sur les informations que la communauté scientifique nous sert quotidiennement.

S.B.
Une mère refuse de vacciner son enfant parce qu’elle pense que le vaccin est une des causes de l’autisme. Un « médecin » convainc le public qu’il peut opérer des patients sans chirurgie et au téléphone. Les campagnes contre les scientifiques qui planchent sur le réchauffement climatique se font de plus en plus agressives à mesure que les preuves de la réalité de ce phénomène...