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Liban - Interviews

Karékine II à la Turquie : Il faut reconnaître le génocide arménien

Rencontre et conversation à bâtons rompus à Etchmiadzine (Arménie) avec Sa Sainteté le catholicos Karékine II, le chef de l’Église arménienne, où seront abordées, avec franchise, toutes les questions concernant la vie quotidienne de ses fidèles, qu’elles soient politiques, sociales ou religieuses. Karekine II invite notamment le gouvernement turc à reconnaître le génocide arménien.

Sa Sainteté Karékine II: « L’Église arménienne a toujours été indépendante. »

Affable, simple, serein, les yeux brillant d’intelligence et le sourire généreux, Sa Sainteté le catholicos Karékine II est à la fois très présent et discret, modeste, diplomate dans ses propos, mais clair et ferme lorsqu’il s’agit de la communauté ou de l’Arménie. Il se prête simplement au jeu des questions/réponses.

Question - Quid de la situation des Arméniens au Moyen-Orient : Syrie, Liban, même Iran, à une époque aussi perturbée que la nôtre ?
Réponse - « Depuis plusieurs siècles, les Arméniens sont traditionnellement en Syrie, au Liban, en Irak et, Dieu merci, profitent de la disponibilité des autorités locales de leur permettre de vivre pleinement. Ils pratiquent leur culte librement et professent aussi librement leur religion. Il est à noter qu’ils y ont construit des églises, créé des centres culturels, sont des piliers de cette vie culturelle. C’est ainsi qu’ils ont construit leur vie au Moyen-Orient.
Les communautés arméniennes se sont élargies dans ces pays, sans doute après le génocide (1915). Le catholicossat d’Antélias en est le résultat. Dans ces régions, ils sont dynamiques et engagés dans la vie des pays où ils se trouvent puisqu’ils y sont depuis des générations. Ils sont citoyens à part entière, reconnus et fidèles avec une présence très influente dans ce qui est pour eux leur seconde patrie. Au Liban, les Arméniens sont engagés dans la vie politique. »
En insistant sur la présence arménienne aujourd’hui au M-O, Karékine II reconnaît simplement l’influence de la situation qui prévaut dans cette région et que, « bien sûr, ces moments politiques difficiles influencent les communautés chrétiennes au Moyen-Orient, et beaucoup de leurs fidèles aspirent à une vie meilleure, plus calme, en Europe et aux États-Unis. Et lorsqu’on parle de minorités chrétiennes, la situation est la même pour les autres communautés aussi. L’émigration devient naturelle dans les situations politiques de ces dernières décennies ».
Et le prélat insiste sur le fait qu’ « aujourd’hui, même si leur nombre est réduit dans ces pays, les Arméniens qui y vivent continuent normalement leur quotidien et leurs engagements en citoyens fidèles, sans problèmes, tant en Syrie, au Liban, qu’en Iran et en Irak. Peut-être même qu’à la fin de la guerre, ceux qui sont partis rentreront dans leurs pays respectifs ».

 

Q - Et les Arméniens du Nagorny Karabakh ?
R - « Avec l’effondrement de l’URSS et le référendum pour l’indépendance, les gens continuent à développer et construire le Nagorny Karabakh. Il est évident que la menace d’une guerre est toujours là. Aux frontières, les petites guerres locales sont toujours là aussi, mais le peuple veut maintenir l’Indépendance et se sent prêt à l’engagement dans le développement. Lors de notre dernière visite officielle et pastorale, je leur ai dit que « nous étions venus soutenir votre volonté de vous maintenir, et vous nous avez vous-mêmes soutenus. Ce qui est vrai. »
La place et le rôle de l’Église arménienne pendant la présence soviétique en Arménie sont évoqués très simplement par Karékine II qui ne s’embarrasse pas de détours et d’explications inutiles. Il raconte qu’ « il existait à cette époque une tolérance stricte et limitée. Nous n’avions que 13 églises en fonction dans toute la République d’Arménie. Et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le bureau soviétique proposait de transformer la cathédrale d’Etchmiadzine en musée. Mais compte tenu de la participation des jeunes Arméniens aux combats avec la formation des légions, à la fin de la guerre tout est rentré dans l’ordre. Même en dehors des murs des sanctuaires, le clergé n’avait aucun droit de prêche. Des fidèles ou des membres du parti, proches de l’Église, n’étaient pas tolérés et étaient plutôt combattus ».

Une Église nationale
Sur la place et le rôle de l’Église d’aujourd’hui auprès de l’État d’Arménie, Sa Sainteté Karékine II est claire : « Notre principale mission est de prêcher les valeurs chrétiennes et, d’une certaine manière, faire entrer l’Église dans la vie des Arméniens. »
Église et État feraient-ils cause commune ? « L’État veut former un citoyen conscient de la valeur de la République, qui œuvre pour la société civile dans son pays. L’État et l’Église ont le même but. Ils se complètent », dit-il. Notre Église, insiste Karékine II, est une Église nationale. » Voilà, tout est dit.
« Durant des siècles, en l’absence de l’État, l’Église a toujours donné un espoir au peuple afin de créer un pays. Et cet espoir de recréer le royaume d’Arménie, avec six siècles d’absence de l’État, est le rôle de l’Église qui a été très grand. Un phénomène très important est à retenir : c’est qu’en tant que peuple, nation et État, durant des siècles et à plusieurs reprises, nous avons été des citoyens d’un autre pays, d’un autre État. Mais, en tant qu’Église, nous avons toujours maintenu notre indépendance.
Bien sûr, de cette notion d’autocéphalité de l’Église, tout naturellement, découlait la volonté de créer un État libre et indépendant. L’ Église arménienne a toujouts soutenu l’État afin de maintenir l’indépendance et le développement. Il est évident qu’à travers l’histoire, nous avons eu des différends avec les représentants de l’autorité, et nous avons toujours maintenu notre rôle auprès du peuple pour l’amour de notre pays. Nous sommes heureux de montrer que les relations de l’Église et de l’État sont chaleureuses. Certains représentants de l’État aujourd’hui, croyants et pratiquants, participent à la vie de l’Église. Le Premier ministre de la République est actuellement président du conseil du diocèse d’Erevan. »
Et Karékine II d’aborder le vécu politique et économique difficile du peuple et du pays : « En raison de l’embargo sur l’Arménie, les frontières sont officiellement fermées et le seul moyen de communication demeure le sud de l’Iran. Une autre issue vers le Nord est la Géorgie lorsque les frontières sont calmes, sinon là aussi les passages sont fermés. Cette situation politique se répercute négativement sur la vie économique du pays. Pas d’exportation donc et tout ce qui est importé est cher. Dieu merci, grâce à l’aide de la diaspora, notre peuple arrive à surmonter cette épreuve. Il reste optimiste sur l’avenir de l’Arménie. Les difficultés ne le découragent pas. La pauvreté et le chômage sont très importants, certes, mais notre foi est forte et stable. »
Justement, quel est le rôle de cette diaspora qualifiée par certains de moteur et de frein, à la fois en raison, comme on dit, de considérations politiques divergentes quant à la Turquie ?
« Il n’y a pas de résistance de la part de la diaspora », explique Sa Sainteté. La Turquie, par exemple, pose des conditions pour l’ouverture des frontières, à savoir : oublier ce fait historique du génocide et rendre le territoire du Nagorny Karabakh à l’Azerbaïdjan. Deux conditions inacceptables par tous. »

Le génocide
« Le président de la République a entrepris une initiative courageuse et osée d’ouvrir un dialogue avec la Turquie basé sur des relations sans conditions. Turcs et Arméniens ont signé un protocole qui devait être proposé à l’Assemblée nationale turque. Cette dernière ne l’a pas accepté, remettant en cause les deux conditions : oublier le génocide et rendre les térritoires du Nagorny Karabakh. Plusieurs pays européens ont reconnu le génocide et acceptent les formules qui le condamnent. D’autre part, la Turquie qui veut être membre de l’UE doit avoir ses frontières ouvertes avec tous ses voisins. Ce pays a des intrêts concernant surtout l’Azerbaïdjan et propose toujours des conditions unilatérales. Ce qui crée fatalement des désagrements chez le peuple arménien. C’est là aussi l’expression de la diaspora concernant les frontières. Par conséquent, ensemble, la République d’Arménie et la diaspora veulent que la Turquie reconnaisse le génocide. »
« Par ailleurs, relève Karekine II, cette diaspora critique le gouvernement d’Arménie pour la corruption et certains manquements à la démocratie. Elle veut une république parfaite. Et s’y attelle courageusement. »
Pour le catholicos, « la diaspora participe à la construction de la vie de l’Arménie avec tout son potentiel, et on peut dire que sa participation est très importante dans les relations de la République d’Arménie avec d’autres pays. Cette république jouit d’un ministère de la diaspora qui a pour objectif de maintenir les relations et de poursuivre les projets de reconstruction. C’est dans cet esprit que beaucoup de projets sont proposés et réalisés afin de permettre aux Arméniens de vivre leurs valeurs nationales dans les traditions et la culture arméniennes, les encourageant à être de bons citoyens dans les pays d’accueil et de contribuer à la construction d’un pont entre l’Arménie et leur patrie d’adoption ».

Arménien et musulman
Dans le contexte international qui prévaut, comment peut-on être arménien et musulman aujourd’hui ? Une question à laquelle Karékine II est souvent confronté de nos jours. Là aussi, sa réponse ne souffre d’aucun équivoque. « L’Arménien, dit-il spontanément, est caractérisé par la foi chrétienne et sa nature est enracinée dans cette foi. Au Ve siècle, le peuple arménien déclarait que la chrétienté était la couleur de sa peau. Mais, en raison de certains développements historiques, surtout durant les années du génocide, beaucoup d’Arméniens, pour sauver leur vie, ont accepté d’épouser la religion musulmane sous la pression et, bien sûr, le résultat est qu’il y a des Arméniens musulmans en Turquie et dans les pays arabes. Aujourd’hui, poursuit-il, notre attitude envers ces personnes est naturelle. Nous respectons leur choix et ils sont toujours les fils de notre peuple. Assez souvent, ils viennent ici. Nous souhaitons, insiste Karékine II, que les fils de notre peuple portent les valeurs chretiennes. Toutefois, nous n’avons pas d’attitude négative envers ceux qui choisissent d’autres religions. »

Affable, simple, serein, les yeux brillant d’intelligence et le sourire généreux, Sa Sainteté le catholicos Karékine II est à la fois très présent et discret, modeste, diplomate dans ses propos, mais clair et ferme lorsqu’il s’agit de la communauté ou de l’Arménie. Il se prête simplement au jeu des questions/réponses. Question - Quid de la situation des Arméniens au...

commentaires (6)

Christian, tu le sais bien qu'il n'existe pas d'Islamistes modérés. Même les Turcs commence a se plaindre de leur préciosité. De plus les Turques n'ont jamais rendu quoi que se soit en négociant. Aujourd'hui, ils ont une économie forte et cherche a profiter de la situation en imposant aux Arméniens comme aux Chypriotes leurs versions de la solution. Une chose je dis a mes amis Arméniens, attendez, résistez et la roue va tourner! Au final il n'y a que le droit et la vérité qui triomphe!

Petrossou

06 h 21, le 06 juillet 2011

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Commentaires (6)

  • Christian, tu le sais bien qu'il n'existe pas d'Islamistes modérés. Même les Turcs commence a se plaindre de leur préciosité. De plus les Turques n'ont jamais rendu quoi que se soit en négociant. Aujourd'hui, ils ont une économie forte et cherche a profiter de la situation en imposant aux Arméniens comme aux Chypriotes leurs versions de la solution. Une chose je dis a mes amis Arméniens, attendez, résistez et la roue va tourner! Au final il n'y a que le droit et la vérité qui triomphe!

    Petrossou

    06 h 21, le 06 juillet 2011

  • La Turquie a agressé le peuple arménien et est coupable de crime contre l'humanité et doit être poursuivie au même titre que les autres criminels de guerre par le tribunal international. Mais pourquoi ce silence face à la Turquie? Ce pays s'est étendu au dépens d'autres nations: Arméniens, Grecs, Chypriotes, Roumains, Bulgares, Russes, Géorgiens, Kurdes, Syriaques et Syriens. Le pouvoir turc actuel qui a hérité de ces méfaits doit trouver une solution: il n'a d'autre choix que celui de rendre tous les territoires aux Arméniens en Ciclicie et dans l'ancienne Arménie et aux Grecs la partie européenne dont Constantinople et toute la région de Smyrne, Chypre du Nord, les parties appartenant aux Russes, à la Syrie etc. Mais n'est-ce pas la Communauté Internationale qui a permis ces crimes en échange de faveurs politiques? Et l'on est en droit de douter du tribunal international qui ne vise que certains.

    Raphael DAVID

    06 h 00, le 06 juillet 2011

  • La diaspora a un long chemin à faire même si elle fait du bon travail. Le maire de Paris Bertrand Delanoé organise depuis plusieurs années les 24 avril une réunion pour commémorer le génocide et dans son discours il utilise le style direct qu'on lui connaît pour dénoncer le crime. Un soutien exceptionnel. Parallèlement je lisais dans le Time un article sur la Turquie qui en fait les louanges. Sur les difficultés de cet état notamment pour son entrée dans l'UE il n'est fait aucune mention de la reconnaissance du génocide alors que ça fait partie du "cahier des charges". Merci Christian pour ton soutien à une juste cause. Roy ALLAM

    roy ALLAM

    03 h 52, le 06 juillet 2011

  • Merci Maria Chakhtoura pour votre article et merci Christian Gédéon mes compatriotes!!

    Mariette Aynedjian

    02 h 53, le 06 juillet 2011

  • Merci L'Orient-Le-Jour!

    Hrayr Dantziguian (Mr.)

    00 h 06, le 06 juillet 2011

  • Il a raison cet homme là! Il faut que les Turcs arrêtent de finasser et reconnaissent le génocide!Je sais bien qu'en ce momen tla Turquie passe presque pour un gentil pays avec ce bon M. Erdogan (islamiste "modéré",mutation génetique improbable),mais l'arrogance turque n'a pas de limites dès qu'il s'agit de l'Arménie.Sans reconnaissance de ce génocide,la Turquie restera à la porte de l'Europe. Et ce n'est pas la nouvelle agressivité de l'Azerbaïdjan qui arrangera les choses!On aura compris vers qui vont mon coeur...et ma raison!

    GEDEON Christian

    20 h 20, le 05 juillet 2011

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