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Culture - Conférence

Galeries et musées ont leur carte à jouer pour renouveler leur public

La politique et la culture ne semblent pas aller de pair, la première malmenant la seconde qui manque cruellement de moyens financiers. Par conséquent, le patrimoine national et les beaux-arts pâtissent de l’absence d’engagements clairs et d’ambitions pour les valoriser. Aussi, ce sont les galeries, les musées, les universités et la société civile qui tentent de pallier ce manque en se chargeant d’initiatives de sensibilisation aux disciplines artistiques et éducatives. Cela alors que Solidere se prépare à construire un musée d’Art contemporain dans le périmètre du Normandie.

De gauche à droite Marie Tomb, Amanda Abi Khalil, Anne-Marie Affeiche, Leila Badr, Nayla Kettaneh Kunig et Nayla Tamraz. À l’arrière-plan, les sculptures de May Richani.

Animée par l’historienne de l’art Marie Tomb, une table ronde intitulée «Les publics de l’art au Liban: État des lieux» s’est tenue au Beirut Exhibition Center, dans le cadre de l’exposition «Rebirth: Lebanon XXIst century contemporary art», réalisée par Jeanine Maamari en collaboration avec Solidere. Elle a regroupé Amanda Abi Khalil, commissaire d’expositions à Umam; Anne-Marie Affeiche, conservatrice du Musée national de Beyrouth; Leila Badr, directrice du musée archéologique de l’AUB; la galeriste Nayla Kettaneh Kunig et le chef du département de lettres françaises de l’Université Saint-Joseph Nayla Tamraz. Ces responsables d’institutions culturelles se sont interrogées sur le «non-public», sur les personnes qu’ils ont le sentiment d’avoir des difficultés à toucher et sur les dispositions prises pour attirer un plus grand nombre de personnes, en brisant les barrières géographiques et sociales.
À Umam, institution fondée en 2004 qui possède un fonds d’archives, y compris audiovisuelles, sur les guerres libanaises et sur l’histoire politique et culturelle du pays et à laquelle est rattachée une «plateforme d’expérimentation et de recherche pour les artistes, appelée Le Hangar, le public est très diversifié», signale la curatrice Amanda Abi Khalil. L’espace reçoit des étudiants, des chercheurs, des personnes qui fréquentent habituellement les institutions artistiques de Beyrouth et, à cause de sa localisation à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth, les habitants du quartier et les réfugiés des camps palestiniens voisins aussi. Cette diversité est due également à «toutes les énergies et les stratégies déployées et à un travail que nous faisons en amont dans le choix des projets et dans la conception même des expositions», a-t-elle dit, donnant à titre d’exemple, la «collecting Dahié», qui avait pour but de retracer la transformation urbaine de la banlieue sud et qui a drainé un grand nombre d’habitants venus témoigner de la transformation de leur quartier. S’interrogeant ensuite sur les moyens d’attirer le «non-public» (terme apparu en France dans les débats de politique culturelle à la fin des années 1960), Abi Khalil a souligné qu’on avait tendance à définir par la négative les personnes indifférentes à l’offre culturelle. Or cette offre, selon elle, ne se réduit pas au champ délimité par les institutions culturelles et que l’essentiel des pratiques culturelles se déroule dans le cadre domestique ou privé, qu’il s’agisse de lecture, de consommations audiovisuelles ou de pratiques amateurs. Les «non-fréquentants» des établissements culturels ne sont pas tous, par conséquent, des exclus de la culture: il faut savoir les surprendre, attiser leur curiosité ou répondre à leurs besoins en innovant, a-t-elle souligné.
Outre un public d’adultes, des Libanais qui viennent de l’étranger et des touristes, 300 à 500 écoliers par semaine visitent le Musée national de Beyrouth, durant l’année scolaire, a affirmé pour sa part la conservatrice des lieux, Anne-Marie Affeiche, ajoutant que certaines grandes manifestations comme la Journée internationale des musées ou les Journées nationales du patrimoine, auxquelles l’accès est gratuit, favorisent l’élargissement des publics. «Le dimanche 22 mai par exemple, le musée a vu affluer 5429 visiteurs, beaucoup plus que sa capacité d’accueil», fait-elle observer, ajoutant que pour la même occasion, 110 enfants y étaient venus pour assister à un spectacle de marionnettes. «Il y a donc un réel engouement, un véritable besoin d’activités», dit-elle, consciente que, pour redynamiser le public, il faudrait s’adapter à ses attentes et lui offrir quelque chose de nouveau à découvrir à travers des expositions temporaires. Toutefois, pour monter des expositions d’objets rangés dans les réserves, «il faut disposer d’un budget». Ce qui n’est pas le cas de la DGA (qui relève du ministère de la Culture). C’est la Fondation nationale du patrimoine qui «vole au secours» dès qu’un problème surgit et qui aide non seulement à mettre en œuvre des activités culturelles, mais aussi et essentiellement à résoudre des problèmes liés au fonctionnement logistique des lieux. Anne-Marie Affeiche signale aussi l’assitance constante des ambassades. À titre d’ exemple, la restauration des fresques de la tombe de Tyr, exposée dans le sous-sol du musée, a été financée par le bureau de la coopération italienne. Depuis, elles attirent la foule.
Du nouveau, voilà ce que le public demande. Leila Badr, directrice du musée archéologique de l’AUB, le confirme. «Pour attirer un public dans un musée, il faut un événement, une dynamisation. Les différentes activités – conférences, expositions, excursions, voyages, ateliers pédagogiques pour les enfants de 7 à 12 ans et boutique – organisées en collaboration avec l’association des Amis du musée, qui regroupe 350 membres, ont généré un public, et pas des moindres, et je peux dire que nous faisons très souvent salle comble.»

La culture, fruit
de l’apprentissage
Qui fréquentent les galeries d’art? «Les curieux, les collectionneurs et de plus en plus des curateurs, des responsables de musées européens et des journalistes étrangers qui viennent à la recherche d’informations sur les jeunes et moins jeunes artistes libanais», selon Nayla Kettaneh Kunig, quarante ans de métier dans l’art contemporain, propriétaire de la galerie Tanit à Munich (1972), et de l’Espace Kettaneh, à Gefinor. Résultat: l’exportation de l’art libanais en Europe joue «un rôle important dans le programme d’échanges culturels d’une région vers l’autre», a-t-elle souligné, tout en déplorant l’absence d’un lieu spécifique consacré à l’art contemporain. «Il y a évidemment la collection du musée Sursock, le Beirut Exhibition Center et surtout le Beirut Art Center qui fait un travail très pointu, mais cela ne suffit pas. Il nous faut un musée.» Ce à quoi Randa Aramnazi, responsable auprès de Solidere, a rétorqué que la société immobilière envisage la construction prochaine de ce musée!
Dans son intervention, Nayla Tamraz, professeur et chef du département de lettres françaises à l’Université Saint-Joseph, a cité le rapport d’un expert datant de 1981, selon lequel «il n’existe pas au Liban de politique culturelle proprement dite, bien qu’en fait la culture constitue une réalité indéniable dans ce pays». L’expert n’hésite pas à reconnaître toutefois que cette réalité culturelle dont il parle est justement «l’élément qui cimente la cohésion du peuple libanais et le met à l’ombre des déchirements de la multiplicité des communautés confessionnelles, des langues et des statuts personnels». Selon Tamraz, l’art est loin d’être à la portée de tout le monde, et l’accès à la culture reste très largement l’apanage des privilégiés.
Abordant ensuite la mission de l’université qu’elle considère comme «un espace de médiation entre le public et l’art ... (où ) tout le monde a le même statut», l’intervenante développe une argumentation selon laquelle «l’université est clairement une interface entre des publics différents et qui sont potentiellement tous des publics de l’art (...) Un espace paradoxal qui véhicule les valeurs de la culture mais où l’accès à celles-ci reste soumis à des contraintes intrinsèques au monde universitaire lui-même». Elle en souligne plusieurs, parmi lesquels: les cursus universitaires de plus en plus chargés, les étudiants débordés, les formations de plus en plus spécialisées qui laissent souvent peu de place à la culture générale. L’intervenante relève néanmoins des cas d’exception qui concernent des privilégiés dus en grande partie au rôle de l’institution familiale dans l’accès à la culture. Elle souligne en outre que «les institutions culturelles n’ont pas toujours de leur côté des stratégies de médiation pour attirer un public de jeunes», et ajoute que développer une pédagogie au service de la culture n’est pas le travail d’une personne ou d’une institution, mais «un projet de société». En guise d’exemple à suivre, elle cite un décret du ministère de l’Éducation nationale: «Chaque élève, quelle que soit son origine sociale ou géographique, doit en effet bénéficier d’un égal accès à la culture.» Aussi faut-il inciter les lycées à avoir un partenariat avec des structures culturelles pour la mise en place d’actions diversifiées et inscrites dans la durée, a souligné Nayla Tamraz avant de rappeler que «le master en critique d’art et curatoriat» de l’Université Saint-Joseph a pour vocation de constituer une interface entre le monde universitaire et les institutions.

 

M.M.

Animée par l’historienne de l’art Marie Tomb, une table ronde intitulée «Les publics de l’art au Liban: État des lieux» s’est tenue au Beirut Exhibition Center, dans le cadre de l’exposition «Rebirth: Lebanon XXIst century contemporary art», réalisée par Jeanine Maamari en collaboration avec Solidere. Elle a regroupé Amanda Abi Khalil, commissaire d’expositions à Umam;...

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