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Le retrait américain d’Afghanistan lié à des questions de politique intérieure - Interview

Le retrait américain d’Afghanistan lié à des questions de politique intérieure

Après une guerre longue de dix ans, Obama annonce un retrait partiel de ses troupes. Parallèlement, des contacts préliminaires avec les talibans ont débuté. Signe d’un échec de la stratégie américaine en Afghanistan ? Mariam Abou Zahab revient sur le conflit.

Des soldats américains de la compagnie Viper (Bravo) 1-26 infanterie ont posé hier devant un hélicoptère Blackhawk lors d’une formation dans la province de Khost, dans l’est de l’Afghanistan. Ted Aljibe/AFP

Barack Obama a annoncé mercredi dernier le retrait d’ici à l’été 2012 du tiers des forces américaines stationnées en Afghanistan, soit 33000 hommes. Le président des États-Unis a en outre ordonné le rapatriement dès cette année de 10000 des quelque 99000 soldats américains actuellement sur place. «Nous sommes au début – mais pas à la fin – de nos efforts pour terminer cette guerre», a déclaré M. Obama, près de deux mois après l’élimination au Pakistan d’Oussama Ben Laden, le chef d’el-Qaëda.
Le président a donc opté pour un début de retrait plus rapide que celui préconisé par ses commandants militaires, mais qui laissera encore plus de 65000 soldats américains en Afghanistan à l’approche de l’élection présidentielle de novembre 2012, à laquelle il est candidat. Le secrétaire à la Défense Robert Gates, partisan d’un retrait modeste, est rentré dans le rang en affirmant que M. Obama donnait «assez de moyens, de temps» et de souplesse pour réussir et ne pas mettre en péril les progrès réalisés depuis un an et demi. Les effectifs qui auront quitté l’Afghanistan à l’été 2012 correspondent à ceux que M. Obama avait envoyés dans le pays en décembre 2009. Ces renforts auront rempli leur mission de briser l’élan des talibans et d’empêcher el-Qaëda de s’implanter à nouveau, a estimé le président.
Le chef de l’État afghan Hamid Karzaï a salué l’annonce comme une «bonne mesure pour eux (les Américains) comme pour l’Afghanistan». Mais les talibans, dont l’insurrection a gagné du terrain ces dernières années et qui ont toujours fait du retrait total des «forces étrangères d’occupation» un préalable à toute négociation, l’ont jugée «symbolique» et «insuffisante». Alors que Robert Gates, secrétaire d’État à la Défense, avait confirmé la semaine dernière l’existence de contacts préliminaires avec la milice islamiste.
Mariam Abou Zahab, chercheuse au CERI et spécialiste de l’Afghanistan, revient sur les éléments-clés du départ des troupes d’Afghanistan.

Question - Barack Obama a décidé de retirer la totalité des 33 000 hommes envoyés en renfort en Afghanistan d’ici à fin septembre 2012 ; or son administration et le Congrès sont divisés. Le Pentagone prône une réduction modeste pour consolider des « gains fragiles » sur le terrain, de nombreux parlementaires et conseillers du président le poussent à un retrait plus important. Comment interprétez-vous la décision du président américain ?
Réponse - C’est une décision qui est surtout déterminée par des questions de politique intérieure américaine, donc par l’élection présidentielle, beaucoup plus que par un engagement de stabiliser la région. Ce qui est important, c’est que Barack Obama donne l’impression de faire ce qu’il dit. Ceci dit, c’est un retrait qui reste très modeste parce que n’oublions pas que Barack Obama, dans son discours de décembre 2009 pour un changement de stratégie en Afghanistan, avait opté pour le « surge », à savoir le renforcement des troupes américaines sur place et donc l’envoi de 30000 soldats en plus. Donc ce retrait annoncé ne change rien sur le terrain, même si bien sûr le Pentagone n’est pas d’accord avec ce retrait puisque les militaires exigent plus de troupes et plus de temps pour gagner.
Dans cette guerre longue de dix ans, il y a deux volets : le volet des pertes humaines et le volet économique. La politique étrangère américaine est déterminée par des considérations économiques, et l’élection américaine se joue sur l’économie et non la politique étrangère ; cela pourrait donc accélérer le retrait. M. Obama lui-même a d’ailleurs précisé que le retrait total des troupes pourrait se faire avant 2014.

Le sommet de l’OTAN à Lisbonne fin 2010 a entériné le principe d’un transfert des responsabilités en matière de sécurité aux forces afghanes en 2014. Les forces afghanes seront-elles prêtes à gérer la situation sécuritaire du pays en 2014 ?
Tout le monde est d’accord là-dessus, il y a un consensus général disant que les forces afghanes ne seront absolument pas prêtes en 2014 et
qu’ il faudrait beaucoup plus de temps. Ce sont des forces de sécurité qui ont beaucoup de problèmes. D’abord, c’est une armée qui dépend entièrement de la coalition par son soutien aérien, son armement et pour sa sécurité. En outre, le taux de toxicomanie au sein des forces afghanes est assez élevé. Par ailleurs, l’infiltration des talibans dans les rangs des forces de sécurité est un réel problème. On a voulu recruter énormément de monde et il y a moins de contrôle au moment de l’enrôlement.
Il faut également souligner un autre point : le coût très élevé de l’armée afghane. L’armée et la police ont un coût d’à peu près 8 milliards de dollars par an alors que les revenus du gouvernement afghan sont de deux milliards, ce qui veut dire que le gouvernement ne sera jamais capable d’entretenir ses forces de sécurité. Et ce n’est pas nouveau, cela fait maintenant près de deux siècles que l’Afghanistan essaie de construire une armée, mais il n’en a pas les moyens. De plus, une fois les troupes de la coalition retirées, la question est de savoir si l’armée afghane sera toujours motivée pour se battre.
Parallèlement, le gouvernement Karzaï n’est pas crédible et est vu comme illégitime par beaucoup en Afghanistan. On peut donc craindre également un effondrement de ce gouvernement après le retrait des troupes américaines.

Plusieurs coups ont été portés ces derniers mois à el-Qaëda. Faut-il malgré tout s’attendre à des regains de violence en parallèle des étapes du retrait ?
Ce que craignent les Afghans et les nombreux observateurs, moi-même y compris, c’est un retour à la guerre civile, et cela est déjà palpable sur le terrain. L’Alliance du Nord, c’est-à-dire les non-Pachtouns du nord du pays, sont en train de se réarmer, de s’organiser et de réactiver les alliances avec l’Iran, la Russie et l’Inde, des pays perçus comme beaucoup plus fiables que les États-Unis.
Il y a toujours chez les Afghans une impression d’être abandonnés par les Américains, l’impression que les États-Unis ne sont pas un allié fiable, et cette peur d’un retour à la guerre civile du début des années 90 est là, beaucoup plus que la peur d’un retour des talibans.
De plus, le sentiment antiétranger est maintenant très fort en Afghanistan. Un diplomate occidental a dit quelque chose de très vrai il y a quelques jours : « Les Afghans avec leur cœur veulent qu’on parte, mais avec leur tête voudraient qu’on reste.

Comment analysez-vous les pourparlers avec les talibans ? Processus nécessaire, processus qui peut mener à des résultats ? Le fait même que ces pourparlers existent ne signifie-t-il pas l’échec des Américains en Afghanistan ?
On est quand même à un stade préliminaire des négociations. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il ne peut y avoir de victoire militaire en Afghanistan, donc il n’y a pas d’autre choix que de négocier. La question est désormais de savoir s’il en est encore temps. Il y a déjà eu des opportunités en 2008, donc avant l’annonce du «surge» par M. Obama, mais cet envoi de troupes supplémentaires a complètement échoué parce qu’il a fermé la porte aux négociations.
Par ailleurs, même si les Américains ont fixé un calendrier, la notion du temps dans cette région du monde diffère de celle des Occidentaux. Pour les Afghans, trois ans c’est demain, ce qui ne fait que radicaliser la position des talibans qui ne veulent négocier qu’après un retrait complet des troupes.
Dans ce contexte, on voit bien que toute la stratégie américaine a échoué, même s’il y a des victoires tactiques qui restent d’ailleurs extrêmement fragiles. On crie victoire dès qu’on a stabilisé telle région ; or, une fois que les troupes américaines se retirent, l’insurrection revient. À mon avis, il n’y a donc pas d’autre solution que des négociations.
Ces négociations peuvent aboutir à toutes sortes de résultats très différents. Il se peut par exemple – ce qui est souhaité par beaucoup en Afghanistan – que les talibans rejoignent le gouvernement.
Autre scénario, certains Américains voudraient donner une autonomie aux talibans dans certaines régions, ce qui à terme aboutirait à une division du pays en deux avec un Sud pachtoun et un Nord non pachtoun. Cela aurait évidemment des conséquences extrêmement graves dans la région, notamment au Pakistan.
Toutes les options sont assez inquiétantes, surtout que les Afghans ont l’impression qu’ils ne contrôlent rien dans leur pays. Ils ont l’impression que les décisions sont prises par d’autres. De plus, ce pays n’a pas, tel qu’il est, la capacité institutionnelle de pouvoir survivre à un retrait américain. Il n’y a pas non plus un cadre politique viable. Et on sait qu’avec le retrait, l’aide civile va également diminuer. Il y a énormément de projets qui sont en cours avec du personnel américain et autres. On peut donc comprendre que les Afghans soient très mitigés quant à ce retrait.
Barack Obama a annoncé mercredi dernier le retrait d’ici à l’été 2012 du tiers des forces américaines stationnées en Afghanistan, soit 33000 hommes. Le président des États-Unis a en outre ordonné le rapatriement dès cette année de 10000 des quelque 99000 soldats américains actuellement sur place. «Nous sommes au début – mais pas à la fin – de nos efforts pour terminer cette...