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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- La coopération entre les Tribunaux pénaux internationaux et les États : le cas du TSL

Fady FADEL et Cynthia EID
L'un des défis majeurs des tribunaux pénaux internationaux est de ne pas disposer de services policiers propres et de services de renseignements autonomes. Par conséquent, tant au niveau de l'enquête menée par le bureau du procureur que sur le plan de l'exécution des ordonnances qui émanent des autorités judiciaires de ces tribunaux, la coopération avec les États s'avère importante, voire fondamentale pour mener à bien le mandat assigné aux tribunaux.
S'agissant par exemple des tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité (CS) de l'ONU (le TPIY[1] et le TPIR[2]), les résolutions contraignantes pertinentes engagent les États concernés et les États tiers à coopérer avec ces instances. Dans d'autres cas, de tribunaux pénaux internationaux, comme celui pour le Liban ou pour la Sierra Leone, la situation est complexe, au regard des documents juridiques de base, comme le statut ou le règlement de preuve et de procédure (RPP). Est-ce que les États tiers sont tenus de coopérer pleinement avec cette catégorie de tribunaux, ou bien faudrait-il d'autres instruments juridiques contraignants pour les engager dans ce processus ?
Dans le cadre de notre étude, nous allons nous limiter au cas du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) et examiner de près en quoi consiste la coopération avec les États tiers, tout en revenant à l'étape de l'enquête internationale entre 2005 et 2009 avant de nous pencher sur la situation juridique de cette coopération au regard du statut et du RPP relatifs au TSL.

1- La commission d'enquête internationale (UNIIIC[3]), prélude du TSL : coopération obligatoire à l'endroit des États tiers
Il ressort des résolutions 1636 et 1644 du CS que les États tiers sont tenus de coopérer avec la commission d'enquête internationale. En effet, outre le rappel fait dans la résolution 1636 où les États sont tenus de coopérer avec la commission en vertu des résolutions 1373 et 1566 relatives à la lutte contre le terrorisme, la résolution 1644 somme les États tiers de « prêter aux autorités libanaises et à la commission le concours dont elles pourraient avoir besoin et qu'elles pourraient solliciter à l'occasion de l'enquête et, en particulier, à leur fournir tous éléments d'information intéressant cet attentat terroriste (relatif à l'assassinat de Rafic Hariri) qui seraient en leur possession ».
Par ailleurs, les chefs de la commission d'enquête consacraient dans les rapports réguliers qu'ils rendaient au CS une partie spécifique au respect des États tiers quant à leurs engagements de coopération avec la commission (4).
Quelles leçons peut-on retenir de ces considérations ?
- En premier lieu, il convient de rappeler que l'UNIIIC a été créée par le CS en vertu de la résolution 1595, sans référence au chapitre VII de la Charte de l'ONU. En revanche, dans le dispositif de la résolution où le CS crée la commission, il est fait mention de termes qui appellent l'engagement du Liban à coopérer avec la commission ainsi que celui des États tiers pour prêter l'assistance requise (paragraphes 3 et 7). De plus, les résolutions qui s'ensuivent, les 1636, 1644, etc, font usage de termes plus clairs sur la coopération sans failles des États avec la commission.
- En deuxième lieu, il convient de noter que l'UNIIIC disposait d'une liberté de déplacement sur les territoires libanais et sur ceux des États tiers sans autorisation préalable. Cette liberté de déplacement s'inscrivait dans le cadre de l'accomplissement de la mission de la commission dans la lutte contre le terrorisme, comme il ressort des résolutions du CS 1373, 1566, 1595, 1636 et 1644. Les États tiers ne pouvaient pas refuser à la commission l'accès sur leur territoire sous prétexte qu'ils ne sont pas concernés par son mandat. Bien plus, ils étaient tenus de lui communiquer les informations requises dans le cadre de l'enquête sur l'attentat terroriste en question.
- En troisième lieu, bien que la Syrie ait été expressément mentionnée dans les résolutions 1636 et 1644 comme État tiers tenu de coopérer avec la commission sans réserves, c'est-à-dire tant dans la forme que dans le fond, on ne peut déduire que cette coopération obligatoire à l'endroit d'État tiers est exclusive pour la Syrie. D'ailleurs, le deuxième président de la commission d'enquête, M. Serge Brammertz, mentionnait dans ses rapports tantôt le manque de coopération d'État tiers, tantôt sa satisfaction du concours apporté par d'autres États, sans mentionner la Syrie à titre exclusif (5).
Au regard de ces données, force est de constater que la première étape de 2005-2009 ayant conduit par la suite à la création du TSL et à sa mise en place à partir de mars 2009 est marquée par l'exigence, voire l'obligation pour les États tiers de coopérer avec l'UNIIIC.
Qu'en est-il à partir de mars 2009 ? Est-ce que les États tiers sont toujours tenus de coopérer avec le TSL ? Ou bien sont-ils libérés du « joug » de la commission d'enquête puisque celle-ci a pris fin suite à la mise en place du bureau du procureur en mars 2009 ?

2- La coopération des États tiers avec le TSL à partir de mars 2009 : ombres et lumières
Dans son quatrième rapport présenté en application de la résolution 1757 du CS6, le secrétaire général de l'ONU annonce au paragraphe 26 que le TSL commence à fonctionner à partir du 1er mars 2009. Par conséquent, la transition entre la commission d'enquête et le bureau du procureur commence à prendre effet à partir de cette date, afin de garantir le bon fonctionnement du tribunal. Or il convient de se demander si la coopération « obligatoire » des États tiers avec la commission d'enquête reste en vigueur et réelle avec le bureau du procureur, ou si elle cesse de l'être puisque une entité autre vient d'être mise en place à partir de mars 2009 (A). Nous verrons par la suite en quoi consistera la coopération des États tiers avec les autres organes du TSL au regard du RPP et du dernier rapport du président du TSL, le juge Antonio Cassese (B).

1.1- La substitution de l'UNIIIC par le bureau du procureur : d'une obligation de coopération à une sollicitation de coopération
Certains juristes et experts en droit international considèrent que le fait que le bureau du procureur opère toujours dans le cadre de l'enquête sur l'attentat terroriste du 14 février 2005, les dispositions relatives aux résolutions du CS 1595, 1636 et 1644 doivent être appliquées en l'espèce. En effet, puisque l'étape présente se trouve dans la phase de l'enquête, celle-ci doit être menée selon les termes des résolutions précitées et les États tiers doivent coopérer avec le bureau du procureur sans failles ni réserves.
Or nous voyons dans cette logique du raisonnement des failles basées sur les textes de référence. En effet, dans les résolutions précitées, il n'est fait nullement mention d'enquête « à l'état pur ». On parle de coopération avec une entité précise, à savoir l'UNIIIC dont le mandat est d'enquêter sur l'attentat terroriste du 14 février 2005. Par conséquent, l'obligation de coopération des États se trouve orientée vers un organisme spécifique, tel que noté dans les résolutions 1595, 1636 et 1644.
En outre, il est fait clairement mention dans l'article 17 de la première annexe à la résolution 1757 que « les dispositions voulues seront prises pour garantir une transition coordonnée entre les activités de la commission d'enquête internationale indépendante créée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1595 (2005) et celles du bureau du procureur ». Ce qui veut dire que la commission d'enquête prend sa fin à partir du 1er mars 2009, date de mise en place en bonne et due forme du TSL, dont le bureau du procureur fait partie. Une entité s'éteint (l'UNIIIC) et une autre naît (bureau du procureur), sans que cela touche à l'objet de la première et à une partie de l'objet de la seconde, à savoir l'enquête.
(À suivre)

Fady FADEL et Cynthia EID
Université antonine - LIBAN

1) Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
2) Tribunal pénal international pour le Rwanda.
3) United Nations International Independent Investigation Commission.
4) Par exemple, le 7e rapport du chef de l'UNIIIC, le 15 mars 2007, §§ 99-102.
5) Par exemple, le 8e rapport du chef de l'UNIIIC le 12/07/2008, §§ 96-100.
6) Quatrième rapport du secrétaire général de l'ONU présenté en application de la résolution du CS 1757/2007, S/2009/106.
L'un des défis majeurs des tribunaux pénaux internationaux est de ne pas disposer de services policiers propres et de services de renseignements autonomes. Par conséquent, tant au niveau de l'enquête menée par le bureau du procureur que sur le plan de l'exécution des ordonnances qui émanent des autorités judiciaires de ces tribunaux, la coopération avec les États s'avère...

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