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La Turquie dans un monde arabe en révolution - Éclairage

La Turquie, un modèle pour les pays arabes, mais attention aux entorses

Si Ankara peut s'enorgueillir d'avoir une scène politique concurrentielle, elle pèche sur l'égalité des sexes, la liberté religieuse ou encore certains aspects de la loi électorale...
« Se trouvant entre l'Est et l'Ouest, la Turquie joue un rôle de pont entre l'Europe et le Moyen-Orient », souligne Frank Tétart, rédacteur en chef du magazine trimestriel Moyen-Orient. Aux portes de l'Europe, Ankara a des aspirations européennes mais ces dernières années sa politique étrangère est de plus en plus axée sur le monde arabe. Néanmoins, pour M. Tétart, « cet intérêt que porte la Turquie au Moyen-Orient n'est pas un schisme avec l'Ouest. C'est le besoin de jouer un rôle à l'échelle internationale », et ce notamment lorsque Ankara et le Brésil avaient proposé un plan de sortie de crise sur le nucléaire iranien.

Un modèle entaché de préoccupations
Fadi Hakura, expert de la Turquie à la Chatham House à Londres, va encore plus loin estimant qu'Ankara est un modèle pour la région. La Turquie, ou plus particulièrement l'AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir) « est un modèle pour les Frères musulmans d'Égypte ainsi que pour le parti Ennahda en Tunisie et le Parti de la justice et du développement au Maroc. Ce n'est pas un accident si le nouveau parti créé par les Frères musulmans en Égypte s'appelle Liberté et développement. Il a été inspiré par l'AKP », note l'expert.
Concernant la politique interne de la Turquie, elle a pu être présentée, surtout ces derniers temps, comme un modèle possible, dans le cadre du mouvement de révolutions arabes. « Il est vrai que c'est une combinaison passionnante de démocratie avec un système gouvernemental semi-laïc et une scène politique très concurrentielle. Cela est une source d'inspiration pour les pays arabes. Mais le processus démocratique turc suscite quelques préoccupations, illustrant les pièges qui attendent les pays arabes, particulièrement l'Égypte et la Tunisie, lorsqu'ils voudront démocratiser leur société, », estime M. Hakura.
L'une de ces préoccupations est l'extrême polarisation de la société turque. « Il y a des divisions autour de trois axes : Kurdes versus Turcs ; alaouites versus sunnites ; kémalistes versus islamistes (ou bien laïcs versus conservateurs). Cette dernière division a été vue notamment lors du dernier referendum constitutionnel l'année dernière. Cette polarisation n'est pas saine pour une démocratie en développement », estime M. Hakura.
L'autre préoccupation concerne le système électoral, « très antidémocratique », selon le spécialiste. L'une des règles électorales stipule que les partis obtenant 10 % ou moins des voix sont automatiquement exclus du Parlement. « Ce seuil électoral est le plus élevé d'Europe, plus élevé même qu'en Russie et en Ukraine. Si les pays arabes doivent tirer une leçon de cela, ils doivent aller vers un système plus proportionnel, peut-être comme le système allemand avec un seuil de 5 % », insiste Fadi Hakura.
La liberté d'expression n'est pas non plus le point fort de la Turquie. « Entre 2002 et 2007, la Turquie se tenait, d'après l'indice de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, au 98e rang. Aujourd'hui, elle a glissé à la 138e position, rappelle M. Hakura. Soixante-dix journalistes sont en prison, 5 000 font l'objet d'une enquête criminelle, 12 000 sites Internet sont bloqués. Les pays arabes devraient faire attention à cela pendant leur processus de démocratisation. »
L'égalité des sexes fait également partie des points faibles de la Turquie. « Il y a dix ans, un tiers des femmes turques faisaient partie de la vie active. Aujourd'hui, ce taux est descendu à 23 %. Il s'agit du taux le plus bas au Moyen-Orient, après l'Égypte, la Syrie, et la Tunisie », indique l'expert.
Quant à la liberté de religion, bien que la Turquie ait un système laïc, l'État promeut assez fortement l'islam sunnite dans les écoles et le « Diyanet », le département des Affaires religieuses, règlemente la religion. « Le débat sur la liberté religieuse a lieu aujourd'hui en Égypte, où l'article 2 de la Constitution stipule que l'islam sunnite est la religion d'État. Les coptes se sentent donc à l'écart », rappelle M. Hakura.
« Se trouvant entre l'Est et l'Ouest, la Turquie joue un rôle de pont entre l'Europe et le Moyen-Orient », souligne Frank Tétart, rédacteur en chef du magazine trimestriel Moyen-Orient. Aux portes de l'Europe, Ankara a des aspirations européennes mais ces dernières années sa politique étrangère est de plus en plus axée sur le monde arabe. Néanmoins, pour M. Tétart, « cet...