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La Turquie dans un monde arabe en révolution - Conférence

Quel sera l’impact des révolutions sur le rôle régional d’Ankara ?

L'émergence de nouvelles démocraties arabes pourrait diminuer l'influence de la Turquie politiquement, mais pas économiquement, d'après les analystes.

Même si la Turquie ne s’est pas engagée militairement dans le conflit libyen, elle a dépêché le bateau Ankara pour évacuer des familles libyennes de Misrata vers Benghazi. Au moins 1 400 personnes ont fui Misrata à bord de l’Ankara. Marwan Naamani/AFP

Dans un contexte d'effervescence régionale, la position de la Turquie face aux révoltes qui se propagent dans le monde arabe depuis quelques mois reste l'une des plus intéressantes à appréhender vu sa situation particulière, pour ne pas dire unique, dans la région.
Depuis l'arrivée de l'AKP (Parti de la justice et du développement) au pouvoir, fin 2002, la Turquie joue un rôle particulier sur la scène régionale, intervenant notamment sur les lourds dossiers israélo-arabes et iraniens. Cette « entité vibrante en évolution constante », selon Rami Khoury du Issam Farès Institute, reste néanmoins tiraillée entre une politique étrangère de plus en plus tournée vers le Moyen-Orient, et ses tentatives ininterrompues d'adhésion à l'Europe depuis 2005. Une politique sur deux axes qui représente une dynamique unique dans la région.
Connaissant à la fois une économie florissante et une évolution incontestée au niveau de sa politique interne et étrangère, le pays cherche depuis près d'une décennie à développer des liens solides avec ses pays voisins. L'exemple qui illustre le mieux cette idée est la Syrie, avec laquelle la Turquie a signé plusieurs accords, commerciaux et économiques, notamment, depuis 2007.
La Turquie est également engagée sur le conflit israélo-palestinien, élément de perturbation le plus redouté dans la région. Les relations entre la Turquie et Israël ont été fortement secouées depuis l'attaque israélienne de « la flottille de la liberté » mi-2010, d'autant que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan n'avait pas été prévenu par son homologue israélien avant l'attaque. Il n'en reste pas moins que de bonnes relations diplomatiques entre les gouvernements turc et israélien restent essentielles en ce qui concerne l'intégration de la Turquie à l'Union européenne. Le lobby juif de Washington en particulier serait favorable à cette adhésion afin de gagner un allié de plus dans la région, selon l'intervenant Jihad el-Zein, éditorialiste au quotidien an-Nahar.
C'est dans ce contexte que la Turquie voit depuis quelques mois le monde arabe transformé par des révolutions populaires qui ont réussi, en Égypte et en Tunisie, par exemple, à faire basculer des régimes dictatoriaux implantés depuis des décennies. Dans certains pays, comme la Libye, la Syrie, Bahreïn ou le Yémen, la révolution perdure. La République turque voit ses intérêts régionaux menacés, d'autant qu'elle partage une partie de ses frontières avec la Syrie.
Pour Cengiz Çandar, éditorialiste au journal turc Radikal, la Turquie fait face aujourd'hui à des choix difficiles. Si elle a réagi avec une certaine rapidité sur les dossiers égyptien et tunisien, les révoltes syrienne et libyenne sont plus problématiques. « En tant que pouvoir émergeant au Moyen-Orient, la Turquie ne peut intervenir, en Libye, par exemple, de la même façon que les anciennes puissances coloniales européennes », comme la France ou l'Italie, note l'éditorialiste. Si la Turquie peut, par exemple, appeler au départ de Kadhafi, il lui est beaucoup plus difficile de s'engager militairement. Par ailleurs, M. Çandar rappelle les relations privilégiées entre le Premier ministre Erdogan et le président Assad. « La Turquie, surtout en tant que puissance régionale, ne peut toutefois rester sourde aux voix du peuple syrien », ajoute-t-il. La marge de manœuvre d'Ankara est donc assez étroite.
Pour Bahgat Korany, professeur en relations internationales à l'Université américaine du Caire, les relations entre la Turquie et le Moyen-Orient, si elles ont atteint un pic, sont appelées à évoluer en fonction des changements dans la région. La République turque se retrouve donc devant le défi de s'adapter à un processus de démocratisation de certains États arabes, « nécessaire afin de corriger le cours de l'histoire ».
À ce sujet, Rami Khoury rappelle que la Turquie a elle aussi vécu cette expérience de transition démocratique après la chute de l'Empire ottoman, une transition qui s'est étalée sur quatre générations. « Ankara voit donc dans les révolutions arabes un morceau compressé de sa propre histoire », souligne M. Khoury, qui ajoute que la Turquie « sait qu'elle a des leçons historiques à partager avec le monde arabe ».
Néanmoins, note M. Khoury, « le cycle des 30 ou 40 dernières années est en train de se briser. Des mécanismes sont créés qui vont limiter le rôle de la Turquie ». Jusque-là, le rôle essentiel de la Turquie consistait à réagir avec trois pouvoirs : Israël, l'Iran et les États-unis. « Aujourd'hui, nous commençons à voir des politiques étrangères en développement dans les pays arabes, l'ébauche de pays arabes indépendants et autonomes écoutant leurs propres besoins et demandes. Pour la première fois, par exemple, les Émirats interviennent militairement dans la région », note-t-il.
Selon M. Kourany, de nouvelles appréhensions émergeront des révoltes arabes, en plus de celles déjà existantes, notamment concernant les relations entre civils et militaires. Les révolutions arabes vont également entraîner une redistribution économique et des changements au niveau des relations entre les pouvoirs politiques et commerciaux. D'un point de vue économique, « la Turquie pourrait subir des pertes étant donné que les marchés arabes ne seront plus ce qu'ils sont aujourd'hui. Mais le tourisme et les investissements étrangers pourraient compenser ces pertes », estime Bahgat Kourany.
Dans un contexte d'effervescence régionale, la position de la Turquie face aux révoltes qui se propagent dans le monde arabe depuis quelques mois reste l'une des plus intéressantes à appréhender vu sa situation particulière, pour ne pas dire unique, dans la région. Depuis l'arrivée de l'AKP (Parti de la justice et du développement) au pouvoir, fin 2002, la Turquie joue un rôle...