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Moyen Orient et Monde - Le point

Mission d’ingérence

L'ancêtre, c'est Hugo Grotius, juriste de son état et inventeur de la théorie permettant de se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Plus exactement d'intervenir quand, disait-il il y a près de quatre siècles dans son ouvrage De jure belli ac pacis, le tyran en viendrait à commettre des abus que la morale politique réprouve. Ce « droit d'ingérence », expression créée en 1979 par Jean-François Revel qui la situait dans le cadre d'un mandat onusien, a été reprise, avec le succès que l'on connaît, par un professeur de droit, Mario Bettati, et le « French doctor » Bernard Kouchner. Depuis la semaine dernière, on en voit une éclatante illustration sur ce rivage des Syrtes cher au cœur de Julien Gracq, un titre devenu nom de parfum... L'aviation de la nouvelle coalition - en attendant l'artillerie et les marines ? - y effectue des frappes ciblées dans le but de protéger la population civile.
Pour justifier cette intervention massive, le secrétaire US à la Défense Robert Gates a ajouté un bien curieux motif à ceux déjà invoqués par les alliés : le risque de voir la situation en Libye mettre en danger les révolutions encore fragiles en Tunisie et en Égypte en déclenchant un mouvement d'exode massif de réfugiés à leurs frontières. Après avoir exprimé de sérieux doutes sur l'efficacité de cette nouvelle guerre, le successeur de Donald Rumsfeld semble être revenu à de meilleurs sentiments, estimant que « des dizaines de milliers de vies » ont ainsi été sauvées. Pour ne pas être en reste, la presse yankee n'a pas manqué de relever que le pilote de l'appareil tombé la semaine dernière, victime d'un défaillance technique, qui avait trouvé refuge dans une bergerie, avait été retrouvé par les habitants du village qui lui ont donné force accolades et offert des jus de fruit avant de le remercier d'avoir bombardé leur pays (sic). C'est tout juste si les journalistes ne sont pas allés jusqu'à révéler que ces braves bergers s'étaient retenus pour ne pas entonner en chœur le « Star-Spangled Banner ».
En 1987, François Mitterrand, qui vient d'assister avec son Premier ministre Jacques Chirac à un colloque consacré aux problèmes humanitaires, juge qu'il pourrait faire sienne une formule qu'il vient d'entendre : « La morale de l'extrême urgence ». L'expression est belle ; elle demeure d'une brûlante actualité. Aujourd'hui, elle appelle une observation : pourquoi donc avoir attendu si longtemps pour la traduire en actes ? Hosni Moubarak a maintenu son pays sous sa poigne 30 ans durant ; entre 1978 et 1990 Ali Abdallah Saleh a été président du Nord-Yémen puis, depuis, du Yémen unifié (incluant Aden), soit un mandat de 32 ans ; Mouammar Kadhafi est entré en fonctions le 1er septembre 1969 ; en Syrie, le Baas règne sans partage depuis le coup d'État du 8 mars 1963 du général Amine el-Hafez, relayé en 1970 par Hafez el-Assad, initiateur d'un « mouvement de redressement » puis par son fils Bachar. Oh certes, l'histoire de ces quarante-deux dernières années aura connu des hauts et des bas, à la vérité plutôt ceux-ci que ceux-là pour certains de ces régimes. Mais à aucun moment, et en tout cas jamais ouvertement, l'Occident n'a parlé d'intervenir pour donner un coup de pouce aux premiers balbutiements d'une démocratie qui n'osait pas dire son nom. Bien sûr qu'il y eut des menaces de sanctions et même quelques coups de bâton, vite oubliés sous l'effet de la carotte aussitôt agitée. Pour de timides rappels à l'ordre, on aura dénombré moult nominations d'ambassadeurs, une invitation à assister à un défilé du 14 Juillet français, une presque crise évitée de justesse pour cause de refus de laisser le colonel libyen planter sa tente dans le parc de l'hôtel Marigny, des promesses rarement tenues de marchés massifs d'armes. Et, en retour, un silence complice, tout récemment rompu pour permettre aux maîtres du monde de cesser de se voiler la face et de prendre en marche le train de la liberté.
Plus éloquente que toutes les déclarations, une caricature a été publiée dans un grand quotidien américain, au tout début de ce « printemps arabe » dont soudain on parle tant. Le dessin représente Hillary Clinton déclarant : « Nous soutenons la révolte contre ceux que nous soutenions. » On le savait bien avant Akhenaton (le rappeur, pas le pharaon alias Amenhotep IV) : mieux vaut tard que jamais. Oui, mais le rattrapage auquel nous assistons présentement ne fera jamais oublier les trop longues années de neutralité presque bienveillante. Ni les regards hypocritement détournés pour éviter de voir les atteintes aux droits de l'homme dans d'autres régions. À croire que les Pyrénées seront toujours là, invoquées dès lors qu'il s'agit de définir de quel côté se situe une vérité ou une erreur interchangeables.
L'ancêtre, c'est Hugo Grotius, juriste de son état et inventeur de la théorie permettant de se mêler de ce qui ne nous regarde pas. Plus exactement d'intervenir quand, disait-il il y a près de quatre siècles dans son ouvrage De jure belli ac pacis, le tyran en viendrait à commettre des abus que la morale politique réprouve. Ce « droit d'ingérence », expression créée en 1979 par...
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