Si, depuis l'accord de Doha, le Liban connaît une stabilité relative, le clivage entre deux visions inconciliables de la vocation du pays est toujours aussi profond. Il concerne à la fois un choix de société, et son alignement sur l'un des deux camps s'affrontant sur la scène régionale ; alternative que Walid Joumblatt a résumé dans une formule lapidaire comme un choix entre « Hanoi ou Hong Kong ». L'opposition entre les alliés locaux de l'axe syro-iranien et celle du camp souverainiste appuyé par l'Occident et les pays arabes « modérés » est trop grande pour espérer un règlement en profondeur de la crise. Il ne faut pas écarter le scénario où, fort du poids démographique de la communauté chiite et de son surarmement, le Hezbollah ne prenne le pouvoir avec ses alliés. Soit par les moyens légaux, soit par la violence, comme le laisse craindre le fait qu'il n'a pas hésité à l'employer par le passé et son terrorisme intellectuel permanent. Le sort du Liban dépendra donc autant du jeu politique interne que des divisions et des contradictions de la région dont il est l'éternel otage. Il risque d'autant plus d'en payer le prix fort qu'il est devenu un enjeu stratégique majeur de l'équilibre des forces sur l'échiquier géopolitique régional. Cet équilibre a été modifié par l'enlisement américain en Irak et en Afghanistan, ainsi que par l'incapacité d'Israël à venir à bout du Hezbollah. D'où le renforcement de l'axe syro-iranien, déterminé à faire du Liban un terrain privilégié de sa confrontation avec les États-Unis et Israël. Le pays subit également les répercussions de la résurgence du clivage historique entre sunnites et chiites, et la lutte de pouvoir entre ces deux communautés au plan local a pris le relais de celle qui les opposait aux chrétiens, désormais politiquement marginalisés.
La perte d'influence de Washington n'a pas pour autant bénéficié à l'Europe et à la France, et c'est les poids lourds régionaux qui occupent de plus en plus ce vide de puissance. L'équilibre du Proche-Orient est en voie d'être entièrement modifié et une nouvelle configuration se dessine. D'une part, avec la montée en puissance du triangle Téhéran-Damas-Ankara et, de l'autre, avec la constitution d'un croissant chiite allant de l'Iran au Liban, en passant par l'Irak qui hante l'Arabie saoudite et les petits États pétroliers du Golfe. S'agissant de l'Iran et de la Turquie, ce n'est qu'un juste retour des choses, ces deux pays ayant été pendant des siècles les puissances dominantes de la région. Quant au monde arabe, il est plus divisé que jamais. Ce n'est plus le nationalisme arabe, mais l'islamisme politique qui aspire à être le courant idéologique dominant au niveau régional. La prise de pouvoir des chiites et l'autonomie des Kurdes en Irak font peser sur lui une menace de fragmentation qui fait le jeu d'Israël. Enfin, la perspective de règlement de la question palestinienne est plus éloignée que jamais, bien qu'elle ne représente plus le risque principal d'explosion de la poudrière du Moyen-Orient.
(À suivre)
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