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Nos Lecteurs ont la Parole

I - France – Liban, la nouvelle donne géopolitique

Ibrahim TABET
Pays démocratique et pluricommunautaire entouré de puissances principalement musulmanes et autoritaires, le Liban est une exception arabe. Mais son existence en tant qu'État-nation et son identité posent toujours problème. Bien que partageant la même langue, les Libanais n'ont jamais formé une nation et le Liban est dans les faits une fédération de communautés religieuses à base non territoriale. Et si celles-ci partagent désormais le même vouloir vivre en commun, elles ont moins les mêmes mœurs en partage depuis la propagation par le Hezbollah des valeurs de la théocratie iraniennes au sein de la communauté chiite et l'apparition d'un courant intégriste minoritaire au sein de la communauté sunnite. Au vu de ces différences culturelles, amplifiées par les crispations identitaires induites par la mondialisation, ainsi que des affrontements politico- militaires sanglants qu'a connu le Liban depuis son indépendance, d'aucuns se demandent encore si la France a bien fait de le doter de ses frontières actuelles. Cela dit, à l'époque de la création du Grand-Liban, Israël n'existait pas. Et, plus que tout autre facteur, c'est l'afflux massif sur son sol de réfugiés palestiniens, bientôt armés jusqu'aux dents, qui a exacerbé ses contradictions internes et a été à l'origine des interventions déstabilisatrices et parfois dévastatrices de ses voisins israélien et syrien. Elles ont failli mettre « une croix sur le Liban ». Mais envers et contre tout, il est toujours debout, bien que sous protectorat syrien. Certes, le pays a profondément changé de visage et d'orientation politique depuis la fin de la prépondérance chrétienne. Mais celle-ci appartient autant au passé que l'irrédentisme musulman. Les sunnites comme les chiites sont aujourd'hui d'autant plus attachés à l'indépendance du pays qu'ils se partagent (ou se disputent) désormais l'essentiel du pouvoir à travers les deux grandes coalitions du 8 et du 14 Mars dominées respectivement par le Hezbollah et le mouvement du Futur de Saad Hariri. Quant aux partis politiques chrétiens, ils se repartissent entre ces coalitions, ce qui compense partiellement leur moindre poids politique en les plaçant en quelque sorte en position d'arbitre. Sans compter que la majorité des musulmans voient dans la présence chrétienne un appoint précieux face à la menace intégriste contre leur mode de vie. Cependant, à plus long terme, le déclin démographique inexorable des chrétiens risque de leur faire subir le même sort de citoyens de seconde zone que leurs coreligionnaires du monde arabo-musulman dont le nombre se réduit comme une peau de chagrin.
Si, depuis l'accord de Doha, le Liban connaît une stabilité relative, le clivage entre deux visions inconciliables de la vocation du pays est toujours aussi profond. Il concerne à la fois un choix de société, et son alignement sur l'un des deux camps s'affrontant sur la scène régionale ; alternative que Walid Joumblatt a résumé dans une formule lapidaire comme un choix entre « Hanoi ou Hong Kong ». L'opposition entre les alliés locaux de l'axe syro-iranien et celle du camp souverainiste appuyé par l'Occident et les pays arabes « modérés » est trop grande pour espérer un règlement en profondeur de la crise. Il ne faut pas écarter le scénario où, fort du poids démographique de la communauté chiite et de son surarmement, le Hezbollah ne prenne le pouvoir avec ses alliés. Soit par les moyens légaux, soit par la violence, comme le laisse craindre le fait qu'il n'a pas hésité à l'employer par le passé et son terrorisme intellectuel permanent. Le sort du Liban dépendra donc autant du jeu politique interne que des divisions et des contradictions de la région dont il est l'éternel otage. Il risque d'autant plus d'en payer le prix fort qu'il est devenu un enjeu stratégique majeur de l'équilibre des forces sur l'échiquier géopolitique régional. Cet équilibre a été modifié par l'enlisement américain en Irak et en Afghanistan, ainsi que par l'incapacité d'Israël à venir à bout du Hezbollah. D'où le renforcement de l'axe syro-iranien, déterminé à faire du Liban un terrain privilégié de sa confrontation avec les États-Unis et Israël. Le pays subit également les répercussions de la résurgence du clivage historique entre sunnites et chiites, et la lutte de pouvoir entre ces deux communautés au plan local a pris le relais de celle qui les opposait aux chrétiens, désormais politiquement marginalisés.
La perte d'influence de Washington n'a pas pour autant bénéficié à l'Europe et à la France, et c'est les poids lourds régionaux qui occupent de plus en plus ce vide de puissance. L'équilibre du Proche-Orient est en voie d'être entièrement modifié et une nouvelle configuration se dessine. D'une part, avec la montée en puissance du triangle Téhéran-Damas-Ankara et, de l'autre, avec la constitution d'un croissant chiite allant de l'Iran au Liban, en passant par l'Irak qui hante l'Arabie saoudite et les petits États pétroliers du Golfe. S'agissant de l'Iran et de la Turquie, ce n'est qu'un juste retour des choses, ces deux pays ayant été pendant des siècles les puissances dominantes de la région. Quant au monde arabe, il est plus divisé que jamais. Ce n'est plus le nationalisme arabe, mais l'islamisme politique qui aspire à être le courant idéologique dominant au niveau régional. La prise de pouvoir des chiites et l'autonomie des Kurdes en Irak font peser sur lui une menace de fragmentation qui fait le jeu d'Israël. Enfin, la perspective de règlement de la question palestinienne est plus éloignée que jamais, bien qu'elle ne représente plus le risque principal d'explosion de la poudrière du Moyen-Orient.
(À suivre)

Ibrahim TABET
Pays démocratique et pluricommunautaire entouré de puissances principalement musulmanes et autoritaires, le Liban est une exception arabe. Mais son existence en tant qu'État-nation et son identité posent toujours problème. Bien que partageant la même langue, les Libanais n'ont jamais formé une nation et le Liban est dans les faits une fédération de communautés religieuses à...

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