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Économie - Analyse

Le PPP au Liban, une fausse-bonne idée (II)

Dans la première partie de l'article publié hier, l'auteur avait évoqué trois arguments principaux qui justifient le recours au PPP au Liban, affirmant, par la suite, que le PPP risque de ne pas produire l'effet escompté sur le plan local pour différentes raisons.
Voici la suite de l'analyse :
Tout d'abord, l'argument le plus répandu, consistant à dire que grâce au PPP, l'État ne s'endette pas pour financer l'investissement nécessaire à la réalisation de l'infrastructure, car cette mission est dévolue au partenaire privé. Le cocontractant privé est effectivement celui qui contracte directement l'emprunt nécessaire au financement. Néanmoins, l'État devra, une fois l'infrastructure construite, lui verser une redevance (ou « loyer » ) chaque année afin de rembourser cette dette. Or, dans l'écrasante majorité des cas, ces redevances seront dues sur une période longue (entre 15 et 30 ans usuellement) et si théoriquement elles pourraient être réduites par l'application de pénalités pour non-respect des critères de performance, dans la pratique, l'emprunt contracté par la société est assorti de nombreuses sûretés (des garanties), notamment avec recours direct sur l'État. De ce fait, l'État se retrouve à devoir payer durant une période longue des échéances fixes, à nature quasi irrévocables. En matière de comptabilité, ces éléments constituent assez clairement une dette. Or, cette dette grèvera d'autant plus les finances publiques, car son coût sera plus élevé que si l'État avait emprunté directement (a priori, même un État en situation financière dégradée comme le Liban, peut emprunter sur du long terme à des marges moins élevés qu'un industriel privé).
Deuxièmement, la croyance, la plus dangereuse dans le cas du Liban, selon laquelle une maîtrise d'ouvrage privé fera nécessaire mieux qu'une gestion directe du public. Cette idée nous vient des économies des pays postindustrialisation (Europe-États-Unis) où l'État a connu un développement institutionnel fort et dispose donc d'administrations en mesure d'accomplir toutes les missions régaliennes (prélèvement de l'impôt, sécurité et défense, administration de la justice) ainsi que des missions de nature économique et sociale (sécurité sociale, entreprises publiques dans divers secteurs comme l'énergie ou le transport, etc.). Déjà, au sein de ses économies développées, la question mérite d'être posée et débattue, car la réponse n'est pas évidente (l'efficacité et la qualité de service sont probablement plus une question de management et de taille de structure que de nature et finalité de la structure - privé avec un objectif de rentabilité ou public avec un objectif d'intérêt général).
On pourrait alors simplement penser que dans le cas d'un État « effondré » (collapsed state) comme l'État libanais, le recours au privé pour la maîtrise d'ouvrage soit de bon sens. C'est ce que pensaient les théoriciens économiques de l'École de Chicago (école monétariste de Friedman) et qui conduisit le Fonds monétaire international à imposer un dégraissement drastique à des États déjà faibles en Afrique dans le cadre des plans d'ajustements structurels (issus du « consensus de Washington » en 1977) et mis en œuvre dans les années 80 suite à la crise de la dette des pays émergents (Mexique, 1982). La régression économique et sociale des pays ayant subi ces traitements de chocs a amené récemment leurs supporteurs à revoir leur copie. À ce titre, l'ouvrage de F. Fukuyama (auteur libéral qu'on ne peut soupçonner a priori de tendances socialistes-communistes) State Building : gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle (2005), est exemplaire, en exposant l'erreur commise de vouloir démanteler des États qui n'étaient pas encore construits, résultant en une destruction totale des cohésions sociales et à l'effondrement de ces pays (guerres civiles, désordres sociaux, mainmise des diverses mafias). Fukuyama lui-même reconnaît donc la nécessité, au sein des pays en voie de développement, de développer la capacité d'action d'un État au sein de sa société tant dans les domaines régaliens que certains domaines économiques et sociaux.

Sans État fort et compétent, les PPP risquent d'aggraver les problèmes socio-économiques
Or, dans le cadre libanais, mettre en œuvre des PPP ne conduirait qu'au même résultat, à savoir affaiblir un peu plus un État déjà pauvre en moyens et en efficacité. En effet, dans le cadre d'un PPP, la mission de l'État passe de maîtrise d'ouvrage/régie directe à une logique de contrôle de l'action du privé afin de pouvoir mettre en œuvre les mécanismes de pénalisation prévus contractuellement. Il ne s'agit pas d'une mission simple, et un État sans compétences techniques ne sera pas en mesure d'y faire face, et sera nécessairement perdant dans son rapport avec le cocontractant privé. Or, si l'administration n'est pas en mesure de mettre en œuvre les sanctions prévues dans un PPP (plus fortes que dans des marchés publics classiques), l'intérêt du PPP diminue fortement. En souhaitant développer les PPP avant la construction de l'État, nous sauterions au moins une étape institutionnelle : un État faible avec peu de compétences et une capacité de contrôle de l'action privée quasi nulle ne seront absolument pas en mesure d'accomplir les tâches exigeantes d'un PPP.
Les conséquences pourraient même être pires, l'État livrant de nouveaux pans de l'économie libanaise aux divers groupes d'intérêts politico-économiques toujours avides de piller l'État. On imagine très bien les consortiums privés qui pourraient répondre à des appels d'offres PPP : fonds privés venant d'horizons incontrôlables (blanchiment d'argent), constructeurs (entrepreneurs) ne respectant pas, déjà sans PPP, les réglementations d'urbanisme et de sauvegarde de l'environnement, etc. La concession est déjà présente au Liban et les résultats de celle-ci sont peu convaincants (cf. l'enlèvement des déchets par exemple). Bien évidemment, tous les industriels et toutes les sociétés privées libanaises ne pratiquent pas le clientélisme, la corruption, le blanchiment d'argent et autres activités criminelles. Mais dès lors qu'un programme de PPP serait mis en œuvre, celui-ci concernera très certainement des projets d'une envergure certaine où l'appétit des prédateurs bien connus de l'économie libanaise sera attisé.
En définitive, le PPP est bien une fausse bonne idée pour le développement économique et social du Liban. Il conviendrait plutôt de penser d'abord à la construction d'un État compétent capable d'administrer ses missions régaliennes ainsi qu'une activité économique et sociale minimum (son étendue devant dépendre d'un débat politique qui n'est pas d'actualité dans la situation actuelle de l'État libanais). Pour ceci, avant de penser donner de nouveaux marchés à des intérêts peu scrupuleux, mieux vaudrait commencer à poser la première pierre à l'édifice de l'État libanais et la sphère publique dans son ensemble : l'impôt, première mission et première ressource de l'État.

* Chargé d'investissement au sein du Fonds d'investissement et de développement des partenariats public-privé (FIDEPPP) géré par la société Natixis Environment & Infrastructures.
Dans la première partie de l'article publié hier, l'auteur avait évoqué trois arguments principaux qui justifient le recours au PPP au Liban, affirmant, par la suite, que le PPP risque de ne pas produire l'effet escompté sur le plan local pour différentes raisons. Voici la suite de l'analyse :Tout d'abord, l'argument le plus répandu, consistant à dire que grâce au PPP, l'État ne...

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