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Culture - Exposition

« Quatre chemins » mènent à Chris Marker

Des centaines de photographies et des dizaines de projections vidéo fixent des images, des portraits, des regards, des mouvements de foule, des moments historiques, des élucubrations philosophiques... et des animaux. L'œuvre de Chris Marker, au Beirut Art Center, laisse assurément une marque indélébile.

Un visage témoin de bouleversements historiques.  Photo Michel Sayegh

Comme son nom ne l'indique pas, Chris Marker est bien français. Selon la formule qui lui est désormais consacrée, il serait « le plus célèbre des cinéastes inconnus ». Mais on lui colle également l'étiquette d' « icône française du cinéma et des nouveaux médias ».
Artiste éclectique, Chris Marker est à la fois cinéaste, photographe, cameraman, technicien, journaliste, artiste multimédia, créateur et baroudeur. Mais à tous ces labels, il préférerait de loin celui de « bricoleur ».
Pour les informations biographiques (qui restent assez retreintes, car l'artiste est loin des épanchements médiatiques), il est utile de savoir qu'après avoir suivi les cours de philosophie de Jean-Paul Sartre, il aurait rejoint la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Employé ensuite par l'Unesco, il parcourt le monde et rend compte de ses observations dans ses films et les revues auxquelles il collabore. Après un documentaire « subjectif » en 1952 sur les Olympiades, Olympia 52, il coréalise un court-métrage en forme d'essai avec Alain Resnais, Les statues meurent aussi, dénonciation acerbe du colonialisme. Marker impose sa marque et devient, en France, l'un des grands rénovateurs du court-métrage et du documentaire. Il voyage beaucoup, notamment dans les pays socialistes, réalise des documentaires sur Pékin, la Sibérie ou Cuba. Témoin infatigable des changements qui frappent les continents, il promène sa caméra et son objectif tel un chasseur à la recherche de sa proie. Il dira d'ailleurs : « La photo, c'est la chasse. C'est l'instinct de chasse sans l'envie de tuer. C'est la chasse des anges... On traque, on vise, on tire et clac ! Au lieu d'un mort, on fait un éternel. »
Sa renommée internationale est lancée avec un court-métrage de science-fiction, en 1962, La jetée, montage déconcertant d'images fixes aussi illustres en voix off.
Mais celui qui avoisine aujourd'hui les 90 ans s'est également fait historien, sociologue, ethnologue et poète. Il a manipulé - et manipule toujours aussi bien - les mots (les légendes de ses photos constituent une réflexion philosophique à part entière), les idées, les sons et les images, livrant au spectateur une réflexion inspirée, avec un réel talent littéraire, sur le monde contemporain, ses problèmes et son avenir.
Depuis plus de cinquante ans donc, Marker s'est penché sur des sujets aussi imbriqués que « les paradoxes du temps », « le processus sélectif de la mémoire » et « le poids de l'histoire ». Ses films auscultent aussi le monde, ses violences, ses luttes et ses contradictions.
L'exposition qui lui est consacrée au Beirut Art Center comporte quatre projets ou volets - d'où, sans doute, l'intitulé « Par quatre chemins ». Il y a donc : « Staring Back » (2007), Owls at Noon Prelude : The Hollow Men (2005), « Immemory » et « Inner Time of Television » (2007), cette dernière en collaboration avec le Otolith Group.

« Staring Back » : des visages témoins
Sur les murs immaculés du BAC, des visages en noir et blanc fixent l'objectif des yeux, d'un regard pénétrant, perdu, insistant ou fixe. Peu importe. « They stare », écrit l'artiste, ne trouvant pas l'équivalent français du verbe. Il les a saisis à l' instant où ils pensent.... Quoi ? On ne sait pas. On devine. On se perd. Déstabilisé, le voyeur devient l'objet d'attention incongru de ces personnes anonymes immortalisées, dans un moment de l'on ne sait trop quoi. Ces visages, Marker les a croisés au cours de ses voyages. Ils sont devenus, à leur tour, les témoins de son regard incisif. Car ces portraits ne sont pas fortuits. Ils ont été pris lors d'événements politiques. Marche du Pentagone en 1967, barricades de mai 68, manifestations au Japon et au Tibet, manifestations anti-CPE de 2006 à Paris. Le cinéaste appréhende sa caméra comme une arme contre la police. Il cite Abbie Hoffman : « Nous étions jeunes, nous étions désespérés, arrogants, idiots. Têtus, mais nous avions raison. »

La guerre, les poèmes et les femmes
« Owls at Noon Prelude : The Hollow Men » est une installation multimédia de 19 minutes, sur huit écrans. Cette œuvre s'inspire du poème de T.S. Eliott Les hommes creux (1925) et reflète la dévastation engendrée par la Première Guerre mondiale en Europe. L'artiste mélange ses méditations sur le poème avec des images de soldats blessés, de ruines, d'atrocités guerrières et des visages de belles femmes. « La Grande guerre revient nous hanter, en écho à ce qui se passe dans les Balkans et au Moyen-Orient », lit-on sur le mur. Souvenir ou témoignage du massacre d'une civilisation par elle-même ?

« Immemory » : une madeleine interactive
Un canapé, une souris et un écran plat accroché au mur. C'est ainsi que se présente « Immemory ». Une installation interactive, un CD-Rom qui n'est ni un documentaire ni une fiction. Quelque chose entre les deux, sans doute. Acteur et spectateur impliqué dans tous les événements sociaux et politiques qui secouent le globe, Marker tente par ce travail de « réunir les fragments du puzzle de sa vie ». « Immemory » est découpée en huit zones, constituées la plupart du temps de ses archives personnelles. Ce découpage recoupe ses centres d'intérêt : voyage, photographie, cinéma, mémoire, musée, poésie, guerre, mort, etc. Et le cliqueur est invité à voyager comme il veut, selon l'itinéraire qu'il se choisit lui-même. L'artiste souhaiterait qu'il y ait ici assez de codes familiers (la photo de voyage, l'album de famille, l'animal-fétiche) pour « qu'insensiblement le lecteur-visiteur substitue ses images aux miennes, ses souvenirs aux miens et que mon "Immémoire" ait servi de tremplin à la sienne pour son propre pèlerinage dans le temps retrouvé » .

« Owls legacy », ou le décorticage des mots grecs
Pour explorer les liens entre la Grèce antique et le monde contemporain, la Fondation Onassis a confié à Chris Marker la réalisation d'une série en treize parties qui peuvent être vues séparément, abordant chacune un thème spécifique. Chaque partie est projetée en contenu sur un écran. Sur treize écrans de télévision, donc, passent débats, réflexions et images variées.
Les intellectuels interviewés livrent une réflexion assez pointue et plutôt barbante pour le commun des mortels sur l'histoire et le patrimoine culturel de la Grèce. À signaler que l'Otolith Group été fondé en 2002 par l'artiste Anajalika Sagar et le spécialiste en sciences culturelles Kodwo Eshun. Ils entreprennent des recherches, réalisent des videos-essais et soutiennent aussi la distribution de cette série de Chris Marker. Cette exposition s'accompagne de projections de films realisés par Chris Marker au BAC et au cinéma
Métropolis.

*Au Beirut Art Center, Jisr el-Wati, jusqu'au 29 janvier, du lundi au samedi, de 12h à 20h. Tél. : 01/397018.
Comme son nom ne l'indique pas, Chris Marker est bien français. Selon la formule qui lui est désormais consacrée, il serait « le plus célèbre des cinéastes inconnus ». Mais on lui colle également l'étiquette d' « icône française du cinéma et des nouveaux médias ». Artiste...
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