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Tchétchénie : un conflit loin d’être fini - Analyse

L’imposition de la charia en Tchétchénie inquiète Moscou

Selon les experts, Kadyrov a ouvert la voie à l'indépendance en réprimant les opposants et en imposant sa vision radicale de l'islam.

Ramzan Kadyrov, 34 ans, est le président de la République de Tchétchénie depuis le 15 février 2007. Il est à la tête de milices redoutées qui sont accusées d’exactions et d’exécutions extrajudiciaires par les défenseurs des droits de l’homme. Viskhan Magomadov/AFP

L'imposition de plusieurs règles de la charia en Tchétchénie ces derniers mois signe une nouvelle prise de distance vis-à-vis de la Russie et pourrait menacer le contrôle exercé par Moscou sur sa république du Nord-Caucase.
La Russie compte sur le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, qui a été nommé par Moscou, pour y maintenir l'ordre. Mais selon des analystes, Kadyrov, en réprimant les opposants et en imposant sa vision radicale de l'islam, ouvre en fait la voie à l'indépendance.
Ramzan Kadyrov, qui a combattu les forces russes pendant la première guerre de Tchétchénie au début des années 1990 avant de se ranger du côté de Moscou lors de la seconde en 1999, estime que ces accusations visent à ternir sa réputation.
«Kadyrov a adopté la charia. Il a permis à la Tchétchénie d'atteindre un degré d'indépendance là où quinze ans de rébellion et d'insurrection n'y sont pas parvenus», estime Matthew Clements, spécialiste de l'Eurasie à l'IHS Jane's Information Group de Londres.
Début août, le mufti de Tchétchénie a ordonné la fermeture de tous les cafés et restaurants le temps du ramadan. Des femmes ont rapporté être importunées, voire harcelées par des groupes d'hommes portant la barbe et l'habit islamique traditionnel parce qu'elles ne portaient pas le foulard. Peu de temps auparavant, Ramzan Kadyrov avait déclaré à une chaîne de télévision officielle qu'il était reconnaissant envers des hommes qui avaient tiré au paintball en juin sur des femmes qui ne portaient pas de voile.
Selon Matthew Clements, si la Russie tolère la charia en Tchétchénie dans le cadre de la lutte contre l'activisme militant, elle pourrait changer d'avis si son pouvoir s'en trouvait menacé.
Le Kremlin s'efforce de contenir une insurrection islamiste qui s'étend dans le Nord-Caucase où les rebelles se battent pour la création d'un Caucase indépendant régi par la charia. La proximité de la région avec Sotchi, où doivent se tenir les Jeux olympiques d'hiver en 2014, est source d'inquiétudes. Des rebelles se cachent dans les montagnes situées près du site.

Police religieuse
Ramzan Kadyrov, musulman soufi fervent, a publiquement dit que la charia prévalait sur la loi russe tout en soulignant son engagement à appliquer cette dernière en Tchétchénie. Son porte-parole, Alvi Karimov, a démenti que la charia soit imposée dans le pays. «Venez voir par vous-mêmes comment tout fonctionne à la perfection», a-t-il dit à Reuters.
À l'exception de l'Ingouchie voisine, l'application de la charia dans le Caucase du Nord reste limitée à la Tchétchénie. Vakha Khashkanov, président du Centre tchétchène pour l'éducation spirituelle et morale, a récemment déclaré que tout principe autorisé par la charia et le Coran prendrait le pas sur ceux de la Constitution russe.
Kadyrov a en outre mis en place une milice personnelle de 5000 hommes, à l'image des polices religieuses présentes dans les pays musulmans. Selon les organisations de défense des droits de l'homme, la police applique la vision de l'islam de Kadyrov dans le pays: la vente d'alcool est strictement encadrée, les femmes doivent porter le voile et la polygamie est encouragée par les autorités. Kadyrov, de son côté, affirme que la police ne fait que maintenir l'ordre.
Si 90% du 1,1 million de Tchétchènes sont musulmans, l'éventualité de l'imposition par la force de la charia pourrait toutefois susciter des tensions sociales. Minkhaïl Ezhiev, militant des droits de l'homme et fondateur du Forum de la société civile tchétchène, y voit des risques. « La morale et l'éthique relèvent de la sphère familiale et ne devraient pas être imposées dans la rue», dit-il.
À Grozny, Kadyrov a construit la plus grande mosquée d'Europe, qui surplombe les bâtiments qui abritaient le siège du Parti communiste avant l'effondrement de l'URSS en 1991. Certains experts notent que Kadyrov pourrait être tenté de satisfaire les autorités soufies afin de rester au pouvoir. «Les ordres soufis sont liés à des structures tribales présentes depuis longtemps en Tchétchénie. Kadyrov compte sur eux et c'est pour cette raison qu'il impose des lois religieuses», dit Mourad Batal al-Chichani, expert indépendant de l'islam et du terrorisme à Londres.
L'imposition de plusieurs règles de la charia en Tchétchénie ces derniers mois signe une nouvelle prise de distance vis-à-vis de la Russie et pourrait menacer le contrôle exercé par Moscou sur sa république du Nord-Caucase.La Russie compte sur le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, qui a été nommé par...