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Lifestyle - Hotte d’or

Que l’on me foudroie

J'avais décidé un peu plus par obligation que par choix (j'avais des états d'âme) de prendre trois semaines de congé sans solde. Mon rédacteur en chef a été délicieux de compréhension. J'avais une nouvelle fois besoin de m'étendre. De m'épandre. Je ne sais pas bien ce qui m'a rendue plus dramaqueenesque qu'Emma Bovary ou, pire, que mon homonyme, cette courge de Marguerite Gauthier, cette dame aux camélias qui n'en finissait jamais de geindre et de se laisser mourir - quelle idée saugrenue aussi : les camélias n'ont pas d'odeur. J'ai consacré ces trois semaines à une espèce de végétation constructiviste. J'ai été un légume doté d'un certain QI, d'un QI certain même. Je me suis consacrée à une entreprise que j'avais pratiquement délaissée depuis quelques années faute de carburant et de combattants : la lecture. Pendant ces trois semaines de voyage(s) immobile(s), je n'ai acheté aucun vêtement, aucun sac, aucune chaussure, aucune fourrure, aucun bijou, fait aucun restaurant, pris aucun avion, aucun ferry, aucune navette, aucun express. Pendant ces trois semaines, je n'ai lu qu'un livre. Un seul. Je l'ai lu, relu, encore relu, je l'ai dit, redit, répété, ce livre, je l'ai annoté, je l'ai gueulé, je l'ai vomi, je l'ai recréé à ma propre sauce, je l'ai fantasmé, je l'ai désincarné, je l'ai anamorphosé. Pendant trois semaines, à raison d'une bouteille de Veuve Clicquot rosé par scène, j'ai lu la Phèdre de Racine. Silencieusement, religieusement, minutieusement. J'ai eu beaucoup d'orgasmes, gigantesques, où mes neurones (ce qui en reste) ont exulté : Quand tu sauras mon crime et le sort qui m'accable, je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable. Ou alors : Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, un trouble s'éleva dans mon âme éperdue. Éperdue. J'ai dû prononcer ce mot un demi-million de fois. Pire : Si je la haïssais, je ne la fuirais pas. Il y avait bien sûr, aussi, ces maux-là : Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire. Ils m'ont électrocutée à plusieurs reprises. Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur m'a fait verser quelques larmounettes. On ne peut vaincre sa destinée, malgré son côté un peu Les feux de l'amour, m'a fait frissonner. Je m'employais à me glisser dans les souliers de tous les personnages, même cette peste gourgandine d'Aricie, qui était folle amoureuse (et était aimée en retour) du beau-fils de Phèdre, le fils de son mari Thésée, l'affolant Hippolyte que j'ai aisément imaginé sous les traits dentelés mais hypervirils de Jude Law. J'ai naturellement été Phèdre. Je suis éminemment phédrienne d'ailleurs. Phédrienne ou phédresque, je ne sais pas ce qu'on dit. Phédrissime. J'ai envie, j'ai besoin d'une immense histoire d'amour. Pas une histoire de culs, pas une histoire à l'eau de rose, pas une amourette d'un après-midi avec un joueur de football très junior ou une aventure platonique avec un gentil monsieur collectionneur
d'art ; non, je veux et j'exige une immense, une himalayenne histoire d'amour, totale, globale, forcément fatale, un tsunami de papillons dans mes tripes et d'étincelles dans mes neurones, des séismes telluriques dans mon triangle des Bermudes, des paillettes kaléidoscopiques sur mes rétines ; bref, je voudrais moi aussi hurler que ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée, c'est Vénus tout entière à sa proie attachée, je veux, en haletant, mourir d'aimer deux mots à la bouche : miam-miam.

 

margueritek@live.com

J'avais décidé un peu plus par obligation que par choix (j'avais des états d'âme) de prendre trois semaines de congé sans solde. Mon rédacteur en chef a été délicieux de compréhension. J'avais une nouvelle fois besoin de m'étendre. De m'épandre. Je ne sais pas bien ce qui m'a rendue plus dramaqueenesque qu'Emma...
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